Dans quelques jours, les conseils municipaux, régionaux et le Parlement seront installés. Ils vont entrer en exercice pour la noble mission qui leur est assignée : celle de servir les concitoyens qui les ont élus et même ceux qui s’y sont refusés. Mais ce qui préoccupe le plus les Mauritaniens, c’est le remaniement ministériel qui devrait intervenir avant la fin de ce mois de Juin. Des rumeurs commencent à circuler et quelques plumes commandées sortent, comme d’habitude, leurs propres équipes. Des fakes news iront inonder la Toile pendant quelques jours, le temps que le nouveau Parlement s’installe. Les conseils régionaux et municipaux n’ont, eux, que peu d’impact sur le quotidien des citoyens mauritaniens. On ne s’en rappellera souvent qu’après cinq ans, et plus épisodiquement lors des visites ou cérémonies officielles où l’on verra nos élus arborer leur écharpe.
C’est dans les faits le gouvernement qui gère le pays. Aussi le choix de ses membres compte-t-il beaucoup pour les gens. Qu’en fera donc le président de la République qui s’apprête à boucler son premier mandat ? Succédant à un prédécesseur incarnant un pouvoir fortement centralisé et hyper-personnalisé, Mohamed ould Ghazwani hérita d’un très lourd passif. Fort et redouté, Ould Abdel Aziz s’était acharné, dix ans durant, à clochardiser une grande partie de la classe politique. Il n’était pas entouré de ministres et directeurs, mais de collaborateurs et d’exécutants. Le procès de la Décennie en a apporté les preuves.
Confronté, à son arrivée au pouvoir, au choix de se débarrasser de ces « cire-bottes » – ce que l’écrasante majorité des Mauritaniens attendait – ou de préserver le dispositif en l’état, il a choisi la seconde option, gardant la plupart des hommes et femmes de son exalter ego. Le tribalisme et les dosages ethnico-régionaux ont la peau dure en Mauritanie…Résultat des courses, à ce jour : la gabegie et la frénésie à s’enrichir impunément, le clientélisme et les injustices ont survécu. Peut-être plus à ciel ouvert – quelques efforts à les limiter sont notables – mais ces tares demeurent tenaces, hélas.
Navrante illustration
Quatre années sont ainsi passées et les Mauritaniens continuent à attendre le changement promis ; les gouvernements passent et se ressemblent à quasiment s’y méprendre. De rares nouvelles figures cohabitent avec des recyclés ou des transfuges d’autres partis. Toujours donc le panachage entre le nouveau et de l’ancien, depuis (au moins) 2009, même s’il ne satisfait pas globalement le président de la République ? Certains ministres et hauts responsables sont à ce point transparents qu’ils ont fini de démontrer leurs limites, pour ne pas dire incompétences. Les retards constatés dans l’exécution des Taahoudaty – le programme électoral du candidat Ghazwani – en sont la navrante illustration.
Au plan politique, les recyclés tapis dans l’ombre ont réussi à bloquer toute transformation sérieuse et productive du principal parti du pouvoir, l’INSAF. En effet et malgré le changement de nom, cette structure n’arrive pas à s’imposer et à imposer sa vision au président de la République. Les choix des candidats aux dernières élections ont démontré que tout se décidait au sein d’un comité d’arbitrage composé de membres du gouvernement et du cabinet de la Présidence. Ceux de son bureau exécutif convoqués au Palais n’ont pas compris la pertinence de leur présence aux côtés du Raïs.
La récente victoire de l’INSAF aux scrutins des 13 et 27 Mai derniers est fortement contestée par l’opposition et une partie de l’opinion. Ses rapports avec les partis de la majorité présidentielle se sont dégradés lors de ces élections, le Premier ministre qualifiant ceux-ci de concurrents, voire adversaires. Mais, au final, rien de vraiment spécial, à part ce que l’ensemble des acteurs politiques considère comme une décrispation de l’arène politique. Les rapports tendus entre l’ex-Président et son opposition ont cédé la place à des audiences et amabilités, ce qui n’a pas pour autant permis d’organiser un dialogue politique inclusif visant à débattre de questions urgentes ; notamment celle liée à l’unité nationale dont on vante les vertus… mais sans jamais se donner les moyens véritables d’y parvenir. Du moins jusque-là.
Le nouveau gouvernement qui devrait être concocté par le Président au sortir de ces élections ne semble donc guère pouvoir différer des précédents. Le contexte est certes particulier, les Mauritaniens ayant à retourner aux urnes dès 2024 pour élire ou réélire leur chef. Mais le scrutin de Mai dernier n’a rien apporté de nouveau dans la configuration politique, les rapports de force entre le pouvoir et l’opposition demeurent très largement en faveur du premier. En gagnant avec une majorité plus que confortable, l’INSAF peut se vanter d’avoir ouvert le boulevard au président de la République pour sa réélection. La machine est plus que rodé pour y parvenir. Ceux qui seront nouvellement cooptés dans le nouveau gouvernement en ont déjà assimilé les leçons.
Le changement attendra
L’autre atout pour le pouvoir reste que l’opposition ne réussira très probablement pas à se ranger derrière une candidature unique, alors que celui-là dispose toujours des moyens d’organiser à sa guise des élections que celle-ci n’acceptera pas de perdre…Vieille rengaine depuis 1992. La seule question pendante reste donc celle de la nature du gouvernement à venir : politique ou technocrate ? La première option viserait à préparer la prochaine présidentielle et la seconde à poursuivre et parachever les chantiers en cours. L’actuel Premier ministre cadre-t-il pour l’un et l’autre ? L’homme ne fait pas de dégâts ; il est qualifié de « transparent » par bon nombre d’observateurs et l’essentiel de l’action gouvernementale semble lui échapper : elle se déciderait ailleurs, prétendent même certains. Beaucoup d’analystes l’avaient d’ailleurs donné partant lors du dernier rajustement gouvernemental. Son engagement dans la campagne électorale, ses déclarations très osées et ses origines sociales et régionales pourront-ils le sauver ou lui donner un coup de grâce ? Waid and see !
C’est donc dire que les mauritaniens qui avaient espéré un changement avec le marabout-président attendront encore. Les jeunes et les femmes dont on vante la montée au sein du Parlement et des conseils régionaux et municipaux ne pourront pas irriguer de sang neuf les instances de décision. Ils sont formés, voire formatés, à l’école des sempiternels laudateurs, opportunistes et gabegistes. L’école du patriotisme et du civisme a fermé ses portes depuis bien des années : les éventuels nouveaux venus ne seront pas coptés pour leurs compétences mais bel et bien, hélas, pour leurs origines tribales, régionales, ethniques et même familiales.
Être le fils d’un général, d’un ministre, d’un député ou autre ponte constitue un atout déterminant. Dans ces conditions, comment les injustices et la mal gouvernance ne prospèreraient-elles pas ? Le président Ghazwani peut-il s’attaquer et éradiquer ce mal ? Scier la branche sur laquelle repose ce système qui régente ce pays depuis 1978 ? Au lieu de réduire les inégalités et la pauvreté, les ressources que pourraient générer le gaz et le pétrole ne risquent-elles pas d’aiguiser plutôt les appétits de nos gouvernants et, partant, accentuer les querelles et compétitions de positionnement ? Tel pourrait bien être le seul véritable enjeu de la prochaine présidentielle.
Dalay Lam