Revenir sur le drame au cours duquel Souvi ould Cheïne a trouvé la mort est inutile. L’enquête diligentée et les conclusions de l’autopsie ont établi que son décès faisait bien suite à des tortures. Mais les larmes des parents de la victime même pas encore séchées, voilà que coulaient celles d’une autre famille dont l’enfant serait lui aussi décédé suite à des sévices. Encore une sale affaire de meurtre dans un commissariat d’une police devenue tristement célèbre et synonyme d’épouvante ?
On a en tout cas comme l’impression que la police éprouve des difficultés à sortir de son auberge empuantie par maintenant trois cadavres en moins de quatre mois, si l’on tient compte de cet autre jeune abattu, lui, en pleine rue, lors des récentes manifestations à Boghé. Pour beaucoup de Mauritaniens, ce n’est pas une malédiction qui affecte les commissariats de police de proximité mais bien plutôt le fiévreux excès de zèle de certains de ses agents baignant dans l’incompétence totale et la dépravation de leur mission censée protéger les citoyens. Sale temps donc pour les flics, sale temps pour les juges mais, également et surtout, sale temps pour le régime et les autorités administratives confrontés à une situation intenable réactivant la violence et l’agitation populaire.
Une police de proximité semant la terreur
Dans n’importe quel pays du monde, quand la police piétine les lois et les textes qui régissent les droits et les libertés des citoyens, ses commissariats se transforment en enfer. On y perpétue des pratiques datant de la Gestapo, mais aussi plus récemment « améliorées » dans les sinistres prisons [sionistes], colombiennes ou encore guantanamoyeuses. Ces tortures sont devenues monnaie courante dans des édifices publics policiers et des centres secrets de détention où des êtres humains sont parfois utilisés comme des cobayes.
Certains de ces centres poursuivent même des objectifs « pédagogiques » et didactiques dans l’expérimentation de tortures inédites sur des détenus reconnus coupables d’activités terroristes, sinon supposés liés à des groupes reconnus ou simplement présumés terroristes[p1] . Ces atrocités sous toutes leurs formes : physiques, psychologiques, mentales, morales ou autres ; sont dénoncées par divers mouvements militant pour leur abolition totale, sans aucune dérogation. Tandis que d’autres invoquent « l’intérêt général » pour éviter le pire ou écarter des dangers. Mais, si l’on a pu voir, ailleurs dans le monde, de telles pratiques ainsi tolérées pour leur « intérêt » sécuritaire, ce n’était pas du tout le cas chez nous, avant notre accession au statut de République. Une époque que nous devrions tous souhaiter effacer de nos mémoires ?
Sous le régime d’Ould Taya, durant les années dites de braise qui suivirent la tentative avortée du coup d’État des FLAM, ces odieuses méthodes se sont propagées jusqu’à atteindre l’au-delà de l’imaginable et du tolérable. Et ce sont malheureusement les gens de couleur (les Halpulaarens) qui en ont payé le prix. Dans les commissariats de police et les camps Boiro comme Inal ou Oualata, exécutions, mutilations et autres atrocités ou sévices ont répondu, souvent aveuglément, à des comportements touchant à l’ordre public, à la sécurité nationale ou à la stabilité du régime.
Parfois d’une extrême violence, ces réponses étaient invariablement répugnantes. Toujours dénoncées, jamais vraiment éradiquées, elles constituent aujourd’hui l’un des talons d’Achille de la cohésion sociale et de l’unité nationale. Or nous ne sommes plus, aujourd’hui, à l’époque d’Ould Taya. Trente-trois ans se sont écoulés depuis les événements des années 86/89. Leur rappel avec insistance encore aujourd’hui ne sert peut-être que de label à des activistes de tous bords cherchant obstinément à arracher quelques sous à de naïfs européens ou américains plus sensibles aux problèmes des autres pays qu’à ceux du leur, parfois pourtant les mêmes qu’ailleurs.
Des policiers dont la date de péremption est largement dépassée ?
On ne peut pas comprendre pourquoi certains policiers, dont la durée de fonction semble étrangement « s’éterniser », s’attardent encore à des pratiques que les plus élémentaires règles de Droit humain dénoncent et condamnent énergiquement. Ce qui s’est passé ces derniers mois – de l’humiliation que certains de ces policiers ont fait subir à l’ex-chef de l’État en le forçant, manu militari, à monter à l’avant d’un pick-up ; à l’assassinat de Souvi ould Cheïne sous la torture dans un commissariat – prouve simplement que la mise à jour des règles définissant la mission de notre police n’a pas été effectuée. Ni sous le régime d’Ély ould Mohamed Vall, ni sous le régime d’Ould Abdel Aziz, celui-là même qui fit malmener physiquement, moralement et psychologiquement Ould Ghadde, un sénateur pourtant protégé par son immunité parlementaire.
Ce qui arriva dans les locaux du commissariat de Dar Naïm où Souvi ould Cheïne laissa la vie et ce qui s’est passé au commissariat de Sebkha prouvent qu’à ce jour encore, certains policiers n’obéissent à aucune loi. Pas plus celle des procédures que leur impose leur statut d’auxiliaires de justice que celle dictée par les plus élémentaires règles de bon sens. C’est en quelque sorte une véritable force publique en perdition. Mais, quoiqu’il en soit et quelle que soit la gravité de ce qui s’est passé, rien ne doit pousser certains mauritaniens à prôner la violence ou à encourager de jeunes désœuvrés et en mal-de-vivre de descendre dans la rue pour semer la zizanie et le chaos.
Quand je vois des leaders politiques comme Biram Dah Abeid, Ould Sidi Maouloud ou Me El Id Ould Mbareck se donner en spectacle sans décourager la violence en attisant les braises d’un feu allumé par les vagabonds de Nouakchott, Boghé, Maghama, M’bagne et Kaédi – la dorsale de la revendication – j’ai évidemment honte pour mon pays. Mais, au-delà de ce dégoût, j’ai surtout peur pour l’avenir de ce pays que certains jettent inconsciemment en pâture à des chiens aboyant à longueurs d’événements parfois sans importance.
Certes, nous demandons tous justice pour Souvi, Oumar Diop et Mohamed Lemine ould Samba décédé à Boghé. Mais nous ne devons pas réclamer cette justice par des violences injustifiées. La violence n’a jamais résolu le moindre problème, nulle part dans le monde. Au contraire, elle le complique toujours, surtout lorsqu’il est détourné par d’irréductibles fanatiques de la violence verbale à des fins cyniques qui peuvent entraîner des conséquences extrêmement graves pour la stabilité d’un pays, comme on peut le voir ces jours-ci non loin de chez nous.
[p1]S