C’est en principe demain que l’ex-président Mohamed ould Abdel Aziz sera appelé à la barre. Pour la deuxième fois donc. Triste fin pour un homme qui rêvait d’un retour triomphal au Palais gris construit sous le régime de Maaouiya. Triste fin pour celui qui avait atteint une popularité inimaginable imposée par une dictature à laquelle aucun responsable, quel qu’il fût et quel que fût son rang social ou son degré de responsabilité, ne pouvait refuser d’obéir ni s’avancer à contredire les ordres.
Très affaibli moralement, psychologiquement et physiquement l’homme doit répondre d’accusations très graves. Au regard de ce qui s’est déjà passé et des témoignages parfois concordants sur ses agissements incompatibles avec l’exercice du pouvoir que lui conférait la Constitution, il lui sera difficile de nier des faits avérés et étayés par de nombreuses preuves patiemment réunies.
Qui est le menteur ? Aziz ou les témoins ?
Il est évident qu’il s’y emploiera néanmoins et tentera de donner des explications à ses actes, ordres et instructions le plus souvent données par personnes interposées. Mais où cette attitude le conduirait-elle ? Nier les faits qui lui sont reprochés reviendrait à se comporter, vis-à-vis de certains témoins, en lâche incapable de reconnaître ses responsabilités dans les agissements de ces très proches collaborateurs. Pour sortir grand, voire grandi, de ce procès – ce serait à coup sûr dans son intérêt – il vaut mieux pour lui de reconnaitre celles-là dans les faits reprochés à ses coaccusés dont ses ordres l’ont rendu comptable. Ce serait, par exemple, commettre une très grave erreur s’il niait avoir ordonné à ses anciens « bénis-oui-oui » –Dieng Diombar, ancien ministre des Finances, et le général Bekrine, ancien directeur général de la Sûreté nationale – d’agir comme ils ont fait. Une véritable autodestruction et auto-explosion de la forte personnalité qu’il semblait se donner quand il était au pouvoir. Auquel cas il quitterait probablement la barre les yeux baissés, incapable de regarder en face ses anciens collaborateurs.
Et si Ould Abdel Aziz se découvrait sous son vrai visage ?
Mohamed ould Abdel Aziz sait parfaitement bien que l’innocence ne joue pas en sa faveur, tant au regard des charges que des faits retenus contre lui. Lui et ses avocats savent très bien qu’il est coupable. Coupable par la flagrance des délits et surtout au regard des témoignages relatant son implication et son engagement personnel dans la perpétration de ceux-là. C’est d’ailleurs pourquoi d’aucuns sont persuadés qu’un balisage a été dressé uniquement dans le but de charger l’ex-Président et de lui faire reconnaître ses fautes. Le fait par exemple que des témoignages aient porté sur certaines affaires de gabegie et pas d’autres ou que des témoins qui devraient se retrouver dans le box des accusés aient été appelés comme témoins et ainsi dispensés de répondre à des questions gênantes pour eux…Bref, tout concourt à prouver que l’ex-Président était bel et bien au centre du collimateur de la justice et dans la ligne de mire d’une condamnation à laquelle il ne pourrait en aucun cas échapper.
Si Ould Abel Aziz se retrouve à la barre plutôt qu’à la tête d’une liste INSAF, cela peut signifier qu’à ce point persuadé d’être blindé par l’article 93 de la Constitution, il ne se fit à aucun moment souci de ses actes, parfois flagrants et même très terre-à-terre et provocateurs. Il n’est aucunement besoin d’être un avocat de la compétence de maître Clédor ou de la jolie Sandrella pour comprendre que le choix des sept premiers témoins qui ont défilé à la barre ne fut en rien fortuit. En présence de l’accusé, la justice a « fait dire » à ces témoins – et pas n’importe lesquels – ce qu’il n’aurait jamais imaginé s’attendre à entendre de ces témoins-là, justement et précisément. Ces témoins-clés pour la justice sont des responsables qui ne pouvaient en aucun cas, selon Ould Abdel Aziz, témoigner à charge contre lui. Ils l’ont pourtant fait en l’indexant publiquement.
Mortellement blessé victime de son clan
Tellement occupé par ses affaires à buts lucratifs durant ses deux mandats, le tombeur de Ould Cheikh Abdallahioublia les règles qui régissent son clan, celui-là même qui a fait et défait tous les présidents qui se sont succédés dans ce pays et dont l’intérêt de chacun des membres prime avant tout mais où l’on ne badine pas avec certaines choses. On peut certes voler, piller, détourner et s’enrichir illicitement mais il ya des règles à tout. Et, malheureusement pour lui, Ould Abdel Aziz a franchi toutes les lignes rouges imposées par le clan à ses membres. Il est allé si loin que les plus influents membres du clan n’étaient finalement plus politiquement géolocalisables et craignaient pour leur survie politique. Sous le régime d’Ould Abdel Aziz – surtout à la fin de son règne – le clan était menacé dans son fondement même.
Si la plupart des Africains et des Mauritaniens considèrent le corbeau comme un porte-malheur, il apparaît, aux yeux des scientifiques, comme un animal extrêmement intelligent vivant en clan bien organisé et structuré, régi par des règles auxquelles nul ne peut déroger. Lorsqu’un membre de la communauté des corbeaux commet une faute qui transgresse celles-là, le voilà encerclé par tous ses congénères et jugé dans un cérémonial funèbre. Et c’est solidairement et collectivement qu’ils participent à son exécution, s’il est condamné à mort.
L’histoire d’Ould Abdel Aziz, avec, face à lui, des magistrats pour le juger ; à sa gauche, un procureur qui n’est certes pas là pour lui faire des cadeaux ; et, à sa droite, des avocats de la partie civile qui veulent faire prendre au peuple sa revanche ; ressemble étrangement à celle d’un corbeau jugé par son clan. Il sortira de ce tribunal mort ou vif. Ou plutôt vif mais mort de honte, s’il ne prend pas sur lui et devant l’Histoire l’héroïque décision de reconnaître tous les faits qui lui sont reprochés et d’endosser les conséquences de ses actes, en disant : «oui, j’ai agi et mal agi, je le reconnais et vous demande pardon à vous tous ».
*Journaliste indépendant