Depuis quelques semaines, on assiste à un manifeste regain d’intérêt pour l’unité nationale. L’appel dit de Djéol qui fait jaser les pouvoirs publics et le parti INSAF en est une illustration. Les media publics relaient des échos de ce qui ressemble à une pétition que les Mauritaniens auraient à signer sans discuter…ni probablement y comprendre grand-chose. Variante de la fameuse politique du « Savoir pour tous » du début des années 2000 ?
Dans cet appel paraphé dans la ville de Samba Guéladiégui par le président de la République, le président du Conseil Régional du Gorgol et le maire de ladite ville, on condamne, comme lors du discours de Ouadane – une cité du patrimoine national – toutes formes de discriminations et l’on appelle à raffermir la cohésion sociale. Du déjà vu et entendu, diront les pessimistes. Si l’intention est bonne, elle risque, comme toutes celles qui l’ont précédée, de sombrer dans l’oubli… comme le discours de Ouadane. La volonté affichée par le président de la République est certes louable mais il doit aller plus loin. On connaît depuis des décennies les obstacles qui se dressent sur le chemin de cette unité nationale. Pourquoi ne pas s’y attaquer frontalement et les abattre enfin ? Seul le président de la République peut le faire. Il s’était engagé, lors de sa déclaration de candidature le 2 Février 2019, à restaurer toutes les victimes d’injustice dans leurs droits, suscitant ainsi immense espoir et adhésion des Mauritaniens. Le Raïs en a les moyens, quand bien même l’on sait qu’autour de son pouvoir, certains lobbies extrémistes ayant peut-être trempé dans le douloureux dossier du passif humanitaire, véritable goulot d’étranglement de ces moyens, s’opposent à toute volonté d’en finir avec ce drame, poussant les régimes à user du cosmétique, en s’accrochant à la loi d’amnistie de 1993, qualifiée par les victimes et des associations des droits de l’Homme de « scélérate ».Un véritable frein. D’autres mauritaniens se complaisent dans le déni : pas de problème d’unité nationale mais plutôt un problème de « gouvernance ». D’autres encore éructent que tout ce qui touche l’armée est une ligne rouge à ne jamais franchir. D’autres enfin encouragent la marginalisation de certaines composantes du pays et exacerbent même les frustrations.
Aborder les questions qui fâchent
En dépit de ces obstacles majeurs, les veuves, les orphelins, les rescapés et les ayants droit ont cependant exprimé leur disponibilité à trouver une solution consensuelle et définitive au dossier derrière lequel ils courent depuis si longtemps. Mais au vu de ce qui se fait depuis des décennies, on peut suspecter les différents régimes, excepté celui très court de feu Sidi Cheikh Abdallahi, de manquer de courage politique. Ils ne dépassent guère les velléités et les bonnes intentions. Les mesures de l’ex-président Aziz n’ont fait exacerber les divisions des associations des victimes de la répression des années 89/91. Pensait-il vraiment qu’une prière aux morts et une distribution d’argent aux veuves et aux rescapés suffiraient à tirer un trait sur une page si sombre de notre histoire nationale ? Le passif humanitaire était réduit à son volet militaire mais il en comporte beaucoup d’autres, notamment celui de leur globalité, reliant la place des langues nationales pulaar, soninké et wolof dans le système éducatif et dans les media publics à la question des déportés de 89, en passant par le partage du pouvoir (discrimination positive) réclamée par les Négro-mauritaniens. En somme, un problème de cohabitation malmenée depuis 1986. Dans de récentes déclarations, Ibrahima Sarr, président de l'AJD/MR, Samba Thiam, président des FPC, et Lô Gourmo, vice-président de l'UFP, ont émis des réserves sur l'appel de Djéol. Ils attendent des actes. La question de la cohabitation est la seule qui mérite d'être discutée, a souligné le premier.
L’approche d’Ould Abdel Aziz était maladroite et contre-productive. C’est pourquoi son successeur tente de la régler depuis son arrivée au pouvoir. Malheureusement, on semble aujourd’hui reprendre quasiment la même recette : faire une omelette sans casser les œufs ; penser régler cette question nationale du passif humanitaire en octroyant des « réparations » et, partant, évacuer les autres légitimes revendications des victimes : les devoirs de mémoire, de vérité et de justice. Depuis 1990, les ayants droit des victimes et les rescapés ne cessent de réclamer la lumière sur ce qui a conduit à la mort entre 89 et 90 de leurs chers époux ou papas… L’objectif n’est pas de juger les coupables pour les exécuter mais pour que plus jamais cela ne se reproduise dans ce pays. Bannir l’impunité. C’est d’ailleurs pourquoi une partie des victimes réclame de recourir, s’il le faut, à la justice transactionnelle, via une commission vérité-réconciliation, à l’image de ce qui s’est passé au Maroc, au Rwanda et en Afrique du Sud, tandis que l’autre continue à réclamer justice et jugement des auteurs des crimes de sang. Le dossier évolue lentement et l’on attend ce que le Commissariat aux droits de l’Homme et à l’action humanitaire, à qui le dossier a été transmis depuis peu, proposera comme solution.
Appeler les Mauritaniens à bannir les discriminations, à abandonner les comportements rétrogrades, à contribuer à consolider et raffermir l’unité nationale et la cohésion sociale est certes un acte fort de la part du président de la République. Mais force est de constater qu’on semble hésiter à mettre sur la table les véritables obstacles à cette unité. La manière dont la loi d’Août 22 portant réforme de l’Éducation a été préparée, approuvée et promulguée en est une illustration. Seul un véritable dialogue politique, préparé sérieusement de manière inclusive, est à même de laver le linge sale en famille.
Ben Abdalla