Un point de presse, quatre ministres sur la sellette

19 April, 2023 - 17:10

À dire vrai, le point de presse concluant le Conseil des ministres du 5 Avril 2023 n’a offert que trois ministres – Nani ould Chrougha, Mokhtar ould Dahi et Abdesselam ould Mohamed Salem – à l’attention des journalistes et assimilés invités à les entendre. Mais le nom du quatrième, Kane Ousmane, n’en fut pas moins l’objet de commentaires à l’issue de la rencontre et je l’ai donc intégré dans ce petit exposé…

Par rapport à Nani ould Chrougha, je peux dire en toute honnêteté deux choses. La première est que je ne le connaissais pas personnellement, avant que ne lui soit confié le rôle de porte-parole du gouvernement. La deuxième est qu’encore à une date récente, je ne l’aimais pas particulièrement. Pourquoi, je ne le sais. Peut-être était-ce que son nom, à l’instar d’autres, me paraissait sonner comme une fausse note dans le gouvernement. Un préjugé qui ne s’explique pas, alors que beaucoup d’entre nous voyaient la reconduction d’Ould Chrougha dans le gouvernement d’Ould Ghazwani comme une « réactivation » de la gabegie.

Depuis qu’il a pris le témoin des mains d’Ould Eyih, je le vois souvent dans des points de presse. Au début, je lisais dans son comportement envers les journalistes, une agressivité verbale et un autoritarisme assez déplaisant. Peut-être cela s’expliquait-il par une montée d’adrénaline à devoir faire face, à chaque point de presse, à des journalistes qui ne l’aimaient pas et voyaient encore en lui, trois ans après le départ d’Ould Abdel Aziz du pouvoir, un très proche de l’ex-Président depuis quelques temps poursuivi par la justice pour des conflits multiples avec la loi.

Comme il est de tradition, le Conseil des ministres s’est réuni le mercredi 5Avril sous la présidence de Son Excellence Mohamed ould Cheikh ElGhazwani, dixième président mauritanien à assumer cette tâche mythique. Un conseil de ministres qui prend des décisions parfois importantes, parfois impopulaires, mais reste toujours un événement très important. Très important notamment pour ceux concernés par lesdites décisions. Heureuses pour certains, malheureuses pour d’autres. Mais, bref : le Conseil des ministres examine surtout et adopte les projets de décrets qui lui sont soumis et, en ce 5 Avril, deux de ceux-ci attirent l’attention.

Le premier fixe les modalités pratiques autorisant l’ouverture d’établissements pharmaceutiques habilités à importer et à distribuer les médicaments en gros. Il se réfère à l’application des dispositions qui ont modifié l’article 41 de la loi 2010-022 du 22 Février 2010 et compte mettre une nouvelle fois de l’ordre dans l’épouvantable désordre généré par la loi votée en 2010, dont l’un des articles permettait des importations de toutes sortes et de toutes natures.

 

Personnalités réactivées

 

Le second a fait de nouveaux et heureux élus en nommant le président et les membres du Conseil d’Administration de l’Agence Mauritanienne de Sécurité Sanitaire des Aliments (AMSSA).  Généralement, le renouvellement ou la nomination de membres de conseil d’administration permet au Conseil de ministres de « recycler » des responsables ou des personnalités publiques qui ont joué des rôles importants dans la vie de la nation au cours de leur carrière administrative ou politique. Ce sont donc des personnalités «réactivées » par le régime qui ne veut ou ne peut les envoyer à la « casse », surtout lorsque ces personnalités sont issues de réservoirs électoraux importants et incontournables.

C’est pour parler des décisions prises par le conseil des ministres que le porte-parole du gouvernement Nani ould Chrougha et deux autres ministres – Mokhtar ould Dahi et Abdesselam ould Mohamed Salem–ont fait l’honneur aux journalistes de leur donner d’amples explications sur celles-là et répondre à leurs questions. Je suis arrivé en retard, ce jour-là, mais suffisamment tôt, tout de même, pour prendre note des interventions des trois ministres. Tout s’est passé dans le calme et dans le respect des uns : les journalistes ; envers les autres : les ministres.

On était, ce jour-là, loin de l’atmosphère de certains points de presse passés au cours desquels de petits « accrochages verbaux » avaient eu lieu entre certains journalistes « bas de gamme » et les ministres. L’ambiance était très conviviale, presque le calme plat. Peut-être parce que les journalistes étaient plus concentrés sur ce qu’ils pourraient éventuellement « soutirer » aux ministres pour leur rupture du jeûne, en ce mois béni de Ramadan.

J’étais pour ma part très attentif à ce que l’on nous communiquait. Normal, me direz-vous, puisqu’il me fallait comprendre ce que chacun des ministres disait pour pouvoir l’exploiter. Cela dit, je suis un journaliste peut être différent des autres. Je ne prends pratiquement jamais de notes mais plutôt des repères dans les mots-clés qu’emploient les ministres pour pouvoir reconstituer leurs interventions.

 

Face aux journalistes, trois ministres potentiellement « pechmerguables »

Face à moi, trois ministres donc. Naniould Chrougha que je n’aimais pas particulièrement sans trop savoir pourquoi, comme dit tantôt. Mais depuis qu’il est porte-parole du Gouvernement, j’éprouve chaque jour un peu plus d’estime envers lui. Je dois avouer qu’il m’a envoûté par sa gentillesse, sa courtoisie, sa simplicité et sa bonne éducation. Mais plus encore par l’intelligence avec laquelle il explique ce qu’il veut expliquer et passe sous silence ce qu’il veut taire.

Ce jour-là, j’ai trouvé un Ould Chrougha particulièrement calme. Beaucoup plus calme et posé que d’habitude. Sûr de lui. Très clair et précis dans ses commentaires énoncés avec une très grande maîtrise. J’ai senti chez lui comme un « rebondissement » à la hausse de sa compétence et surtout de sa cohérence dans les propos. Ould Chrougha porte-parole du gouvernement n’est pas n’importe qui. Également ministre de l’Équipement, il porte sur ses épaules la lourde responsabilité de mettre en valeur la quasi-totalité des infrastructures de bases d’ordre prioritaire qui doivent concrétiser dans les faits les « Taahoudatys » d’Ould Ghazwani. Son département pèse la bagatelle de 45 milliards d’anciennes ouguiyas. C’est cette odeur de billets de banque que dégage le budget de son département qui fait peut-être de lui le ministre le plus « prisé » des journalistes qui se présentent aux points de presse plus souvent pour chercher ses faveurs que pour couvrir un événement. Plus j’écoute attentivement Ould Chrougha et plus il me donne l’impression de quelqu’un qui sait ce qu’il fait, ce qu’il doit faire et y arrive, dans un environnement rendu extrêmement difficile par certains hommes d’affaires véreux à la tête d’entreprises traditionnellement incontournables dans le domaine des marchés publics des BTP.

Autre orateur en ce point de presse du mercredi 5 Avril, le ministre de la Santé Moctar ould Dahi. Derrière sa petite taille et son regard très sournois, se cachent les compétences du responsable d’un des départements les plus difficiles à gérer. Perdue entre de véritables trafiquants pharmaciens, des médecins peu coopératifs, un personnel médical ou paramédical impossible à gérer, sa petite taille ne l’empêche nullement de s’en sortir avec brio. Ould Dahi a hérité de problèmes accumulés par ses prédécesseurs en d’autres circonstances qui rendent difficiles et étroites ses marges de manœuvres pour asseoir une politique sanitaire adaptée aux réalités du pays.

Ould Dahi est le chouchou des journalistes. Longtemps porte-parole du gouvernement, il connaît chacun d’eux et assimilés dans ses moindres détails. En ce mercredi 5 Avril, il est venu nous expliquer combien l’article 41 de la loi 2010-022 du 22 Février 2010 manquait d’éléments   pour éviter les erreurs du passé commises dans l’importation et de la commercialisation des médicaments en gros.

Troisième intervenant, le ministre du Pétrole, des Mines et de l’Énergie Abdesselam ould Mohamed Saleh, venu nous instruire du sens et du contenu de sa communication relative à la gestion des instances du cadastre minier. Elle vise, a-t-il dit, à apurer toutes les instances cadastrales, afin que le cadastre minier puisse être ouvert au public, fin Juin 2023, en toute transparence et en toute équité entre les différents opérateurs, sans discrimination et conformément aux dispositions légales et règlementaires en vigueur.

Abdesselam ould Mohamed Saleh fut très longtemps et violemment secoué par des articles publiés par des journalistes de bas de gamme dénonçant certains accords conclus par sa signature entre notre pays et des multinationales dans le domaine de l’approvisionnement en hydrocarbures. Je ne connais pas personnellement ce ministre. Mais au cours du point de presse de ce 5 Avril, il s’est toujours sorti indemne de toutes les accusations portées contre lui pour dénigrer le régime d’Ould Ghazwani et m’a agréablement surpris quand il conclut, à la fin de l’exercice : « nous devons tous admettre que l’époque des prises de décisions hasardeuses et impopulaires est révolue. Le pays évolue maintenant dans un environnement international qui impose des règles que la Mauritanie est tenue de respecter ». C’est vraiment bien dit. Surtout bien dit de la part d’un responsable qui jouit d’une très grande crédibilité morale qu’il a d’ailleurs héritée d’une « généalogie administrative » de référence et d’une intégrité jamais démentie. Son défunt père était l’incarnation même des valeurs morales.

Je le dis sous serment et en toute indépendance. En ce mercredi 5 avril 2023, j’ai découvert trois ministres – Ould Chrougha de l’Équipement, Ould Dahi de la Santé et Ould Mohamed Saleh du Pétrole et des Mines – extrêmement lucides, compétents et surtout très confiants dans la gestion administrative de leur département respectif. Ces trois-là semblaient porteurs de messages nouveaux cherchant à nous prouver que le régime d’Ould Ghazwani est réellement en train d’éradiquer les dernières séquelles de la « Décennie de la gabegie ». Leurs déclarations témoignaient d’une volonté de rupture avec le régime d’Ould Abdel Aziz. Cela dit et comme d’habitude en fin de tout point de presse, les peshmergas du bas de gamme de notre profession ne s’en sont pas moins tous rués sur les ministres pour essayer de leur soutirer des rendez-vous, en l’espoir de les y voir mettre les mains à la poche. La gabegie n’a pas que des sommets, elle a aussi des bases…

 

Échelle variable de valeurs

Sortant de la salle de conférence, j’ai entamé une discussion avec un ami journaliste à qui je fis part de mon plaisir de découvrir chez NaniouldChrougha un sens du devoir et de la responsabilité très poussé. J’avais été vraiment impressionné par la profonde sincérité de ses propos et explications quant aux décisions prises par le Conseils des ministres. Mon ami entrait pour sa part dans les premières années de son troisième âge et était particulièrement rongé par le « peshmerguisme » des ministres. « OuldChrougha est surtout très généreux », me dit-il. Très généreux, je n’en doutais pas mais j’avais surtout constaté qu’il était très bien éduqué et courtois.  J’ai dit à mon ami qui semblait avoir « encaissé » que la compétence d’un ministre ne se mesure pas en termes de générosité. OuldChrougha est généreux c’est vrai, beaucoup de gens le disent, mais il est surtout compétent et honnête et c’est bien ce qui fait la valeur intrinsèque d’un ministre.

« Si la générosité était le seul facteur déterminant et indicateur de la compétence », ajoutai-je pour blaguer, « monsieur Kane Ousmane, le ministre de l’Économie et du secteur productif neserait pas classé ministre le plus performant du gouvernement actuel !». Depuis sa nomination, monsieur Kane est en effet classé par le sondage du Groupe de Presse Francophone de Mauritanie, en tête des ministres du gouvernement et celui qui a assuré, depuis l’indépendance de ce pays, le rendement le plus élevé en termes de mobilisations des ressources pour le secteur productif.

Certains journalistes « spécialisés » dans la « cotation » de la générosité des ministres, le classent, eux, au bas de leur liste. Cela ne lui enlève en rien sa première place dans le classement des ministres performants. Un classement inchangé depuis 2019, où Kane Ousmane est talonné par le ministre de la Défense Hananaould Sidi, suivi par Sid’Ahmedould Mohamed, ministre de l’Habitat et de l’aménagement du Territoire. J’ai essayé de faire comprendre à mon collègue usé par la « chasse aux sous » que le baromètre qu’il utilise pour classer les ministres ne jauge que les sentiments que certains journalistes nourrissent à l’égard de ceux-là. Cela n’a rien avoir avec la compétence et la performance. Ce n’est un secret pour personne : il y a des ministres à la fois très généreux et très compétents, c’est évident ; des ministres très compétents mais pas généreux du tout ; et encore des ministres tout à la fois ni généreux ni compétents. Mais le critère de générosité n’est pas pris en compte pour leur confier des portefeuilles. Heureusement d’ailleurs.

Cette distinction est l’œuvre de journalistes de bas de gamme. Et aussi – justement, puisque nous y sommes – parmi ces journalistes classant les ministres en fonction de leur générosité, il y a de « faux journalistes », de « vrais faux journalistes » et des « faux vrais journalistes ». Et c’est peut-être pourquoi   Kane Ousmane, d’après un journaliste – ou un qui prétend l’être – se serait un jour vanté en disant : « je n’ai jamais reçu un seul journaliste dans mon bureau ». C’est qui explique peut-être pourquoi les journalistes le classent meilleur ministre dans une matière (compétence) et pire dans une autre (la générosité). Et donne à méditer le flou que donnent certains journalistes à son image d’excellent ministre, le meilleur de ce gouvernement…

Mohamed Chighali

Journaliste indépendant