Le principal parti de la majorité présidentielle, l’INSAF, publiait, depuis la semaine dernière, ses listes candidates au compte-gouttes. Les militants, les sympathisants et une partie de l’opinion s’impatientaient, le temps pressait aussi. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que l’accouchement n’a pas été facile. Beaucoup de césariennes pratiquées. À en croire certaines sources, trop de propositions des instances locales du parti n’ont pas été retenues, elles auraient même été changées…par une commission restreinte – PM, ministre secrétaire général de la Présidence, dircab du Président et du président dudit parti – tranchant les divergences et opérant des retouches.
Résultat des courses, beaucoup de mécontentements et de grognes…Un travail accompli à dessein de susciter une large contestation, se demandent certains observateurs et cadres du parti, voire carrément de nuire au pouvoir ? Carle travail abattu par la direction de l’INSAF et de ses commissions de supervision ne devait a priori pas conduire à mécontenter les gens. Or force est de constater qu’en dépit de toutes les précautions et avertissements publiés depuis des mois, le parti s’est retrouvé avec une pléthore de prétendants pour une offre très limitée. Et, sans critères objectifs et discriminatoires pour choisir les candidats ni primaires internes, le parti a fait les frais du subjectif. Visiblement, pas plus la politique de la carotte et du bâton prêtée au président de la République, à la sortie de l’audience qu’il avait accordée au bureau exécutif de son parti, que les menaces brandies contre les récalcitrants et autres opportunistes n’ont réussi à dissuader grand monde. Des échos de l’intérieur du pays font état de nombreuses défections.
Par endroits, le parti a choisi de maintenir certains, parfois depuis très longtemps élus. Des inamovibles. Ailleurs, il a choisi des nouvelles têtes et de revenir à certains « équilibres » locaux (tribus et ethnies). Plus surprenant – pour ne pas dire incompréhensible et très frustrant – c’est le retour de certains fossiles et autres zombies des PPM, PRDS, ADIL et UPR. Le renouvellement de la classe politique attendra donc Godot. Les jeunes cadres qui espèrent accéder à des postes électifs vont devoir continuer à ruminer colère et frustrations. Et la liste nationale des jeunes dont on attend encore la publication risque fort d’accentuer les mécontentements : les fils-à-papa raviront fort probablement les bonnes positions. Bref, l’oligarchie est toujours en marche, loin devant la démocratie…
Pratiques condamnables
Retour et renforcement de la féodalité, dosage tribalo-ethnique mais, aussi et surtout, recours massif à l’argent, voilà ce que nous enseigne la lecture de ces listes. Des chefs généraux de tribu, des généraux des armées et hauts cadres ont manifestement réussi à placer leur progéniture, consolidant ainsi une oligarchie militaro-civile. Les hommes en kaki ont pris le goût du luxe et entendent le pérenniser. Le pari est en tout cas réussi au niveau des forces de défense et de sécurité. Ils ont bien étudié l’Histoire – notamment le fameux « partage » du congrès de Berlin (Novembre 1884) –sinon les contes d’Amadou Koumba et celui de la hyène... Il n’en empêche pas moins, jugent certains analystes et cadres du parti, que l’INSAF court de gros risques par endroits où beaucoup de militants seront probablement tentés par le vote-sanction. Les fameuses coordinations nationale, régionales et départementales à la tête desquelles sont placés des hommes très décriés – parfois sans aucune connaissance et influence sur le terrain – sauront-elles redresser la barre avant les élections ? Wait and see!
Les investitures de cette année feront-elles en outre entrer au Parlement force d’hommes d’affaires ? Plusieurs partis ont en effet démarché divers commerçants en leur proposant des têtes de liste ou bonne place en celles-ci, contre le financement de leur campagne. On l’imagine bien : ces gens n’iront pas au Parlement pour défendre l’intérêt des électeurs mais leurs propres affaires, grâce à leur carte de parlementaire et autre passeport diplomatique. Ne nous trompons pas, ils n’y vont pas pour parler des soucis des populations démunies, de l’augmentation ou de la baisse des prix, encore moins des conditions de vie des travailleurs…Et un ex-ministre de tonner : « De telles pratiques sont condamnables, elles prostituent notre démocratie déjà si difficilement perfectible ! »
Il reste à savoir ce que deviendront les mécontentements. Les frustrés espèrent-ils se faire parrainer par d’autres partis de la majorité, avant de revenir, fleur au fusil, au sein de l’INSAF ? Celui-ci mettra-il en exécution sa menace de sanctionner les transhumants ? Le président de la République – dont l’épouse s’est investie cette dernière semaine pour plus d’implication des femmes dans les listes – récompensera-t-il et/ou punira-t-il ceux qui auront agi à l’encontre des orientations de son parti ? Il faut ici noter que le pouvoir est, comme en 2013, suspecté de rouler pour deux autres partis de la majorité, pour ne pas les nommer – en « orientant » certains vers ces deux officines. On se rappelle à cet égard du coup de main donné à l’époque par Ould Abdel Aziz à Sursaut et Karama…
Dernière hypothèse non négligeable : les mauvais choix du parti INSAF profiteront-ils à certains partis de l’opposition ? Difficile de répondre à ce stade du processus mais une chose est certaine : le maintien ou le retour de vieux barons du PRDS et de l’UPR ou, encore, l’imposition, par les mêmes barons du pouvoir, de candidats sans assises locales risquent fort de révolter les jeunes et les femmes, en particulier dans la Vallée où l’on ne cesse de voir s’élever une lame de fond. À qui profitera-t-elle ? Mystère et boule de gomme, comme dit l’autre… mais toujours est-il qu’elle grandit.
Dalay Lam