Drame à la prison centrale de Nouakchott

15 March, 2023 - 18:40

Nouakchott, dimanche 5 Mars vers 21 h. Le climat s’est radouci après une chaude journée. En ce début de nuit, piétons et véhicules commencent à se faire rares au quartier Capitale. Mais voici que les passagers de voitures passant devant la prison centrale remarquent quatre hommes portant des sacs et au visage enturbanné s’éloignant à pas rapides de la prison, avant de monter à bord d'une Toyota Avensis qui semblait les attendre. L'un d'eux se met au volant, démarre sur les chapeaux de roue et file vers le Nord-est. Oh ! Un homme en tenue allongé dans son sang devant la prison ! Des gardes accourent pour fermer la rue et éloigner les badauds. Un peu plus tard, des blindés de la Garde présidentielle ferment les avenues passant devant la banque centrale et la présidence. On commence à spéculer sur un éventuel coup d'État. Puis on apprend, un quart d'heure plus tard, qu'il s'agit d'une spectaculaire évasion qui a permis à quatre prisonniers « salafistes » de prendre le large, après avoir tué le chef de poste Sellahi ould Mbol, dit Keur Maceïn, et la sentinelle extérieure surnommée Mohamed 36. Vingt minutes plus tard c’est l’alerte générale et l'unité anti-terroriste de la Garde cerne le quartier.

 

Une opération bien préparée

Analysant le scénario de cette opération, on s'aperçoit qu'elle a été préparée et exécutée de mains de maître. Tout d’abord dans le choix de son horaire, idéal. En fin de weekend alors que la moitié des gardes sont ailleurs et que les présents regardent un match de football à la télé. Au demeurant un classique en Mauritanie où pratiquement chaque évasion fut marquée par la distraction de gardes rivés à la télé. Ainsi lors de la grande évasion de Dar Naïm en 2017 durant laquelle la plupart de ceux-ci regardaient un feuilleton.

Si le défunt chef de poste n'avait pas eu la vigilance de cadenasser les cours un peu plus tôt, tous les prisonniers, dont d'autres salafistes, allaient prendre le large. Ignorant les intentions des quatre conspirateurs, le pauvre chef de poste avait accepté de ne pas les enfermer tout suite afin de les laisser profiter un peu plus de l’air frais. Après avoir fermé la grande porte, il était entré en son quartier et c’est là qu’ils l'avaient abattu d'une balle de pistolet silencieux en pleine tête. Et de rouvrir illico la grande porte et filer. La sentinelle tente d'en attraper un, le voilà lui aussi neutralisé d'une balle à la gorge. Les gardes à la télé passeront un moment à rien remarquer. Assez de temps en tout cas pour laisser aux fuyards celui de disparaître. Leur véhicule abandonné est retrouvé une heure plus tard à Dar Naïm avec le pistolet silencieux. 

Le ministère de l'Intérieur publia alors un communiqué faisant état de la fusillade et lance un avis de recherche à l’encontre de Mohamed Rassoul Chbih, né en 1995 à Néma et condamné à mort ; Salek Cheikh né en 1984 à Atar, condamné lui aussi à mort; Mohamed Yeslem Mohamed Mahmoud né en 1998 à Teyaret et Abdel Kerim Abou Baker Seddigh, condamnés tous deux à huit de prison. Le lendemain, le réseau Internet mobile était coupé.

 

La psychose des Nouakchottois

Un climat de peur et de désillusion s’abattit sur Nouakchott. On croyait sans failles l'approche sécuritaire tant chanté par nos media officiels. Maintenant, le quadrillage subit de toute la ville ne rassurait plus guère. Beaucoup de parents d'élèves ont empêché leurs enfants d’aller à l'école les jours suivants. Certaines ambassades ont déconseillé à leurs ressortissants de s'aventurer dans les quartiers populaires. Les rumeurs commençaient à se répandre : un des prisonniers aurait été dénoncé par sa maman, un quartier était cerné, on ne savait lequel...

 

La traque des fuyards

Trois jours plus tard, un célèbre blogueur affirmait que les quatre terroristes avaient été arrêtés à Dar El Barka. Mais le soulagement de l'opinion publique très inquiète de l’épée de Damoclès qu’elle ressentait au-dessus de sa tête fut très vite déçu par un catégorique démenti officiel. Il aura donc fallu attendre le samedi 11 pour apprendre que le groupe avait été neutralisé en Adrar. Trois d’entre eux abattus et le quatrième fait prisonnier. L'opinion publique n’en demeure pas moins inquiète au constat des évidentes complicités dont ceux-là disposaient à Nouakchott. Qui et comment avait-on pu introduire le pistolet silencieux dans la prison ? Qui mit à disposition les deux véhicules utilisés au cours la cavale des fuyards ? Des cellules dormantes du terrorisme seraient-elles donc tapies ici et là, à Nouakchott ou ailleurs dans le pays ?

Mosy