Jeudi 9 Février vers 16 heures, le jeune homme de teint bronzé qui vient de garer son véhicule en face du commissariat de police Dar Naïm 2 ne sait pas qu'il y a rendez-vous avec son destin. Il ignore qu'il ne sortira pas vivant de ce lieu. Trente minutes plus tôt, trois policiers en civil s’étaient présentés à son domicile de Riyad pour lui présenter une convocation à ce commissariat. Il leur répondait : « je suis à vous sans tarder. »Les voilà tous les quatre au commissariat. Le commissaire Isselmou ould Sidewa avait auparavant avisé le chef de poste en faction, le brigadier Ahmed ould Mohamedou, en lui ordonnant de placer le nouveau venu en garde-à-vue. Et celui-là de mentionner maintenant à la main courante, sous le numéro 696, avoir mis en garde-à-vue, jeudi 9 Février 2023à 16 h 45, le sieur Souvi Soumaré né en 1984 au Ksar, en indiquant son numéro de téléphone et précisant qu’il lui a saisi son portable, les clefs de sa voiture et une somme de 50 000 MRO que celui-ci portait sur lui. « J’arrive », lui dit son commissaire qu’il vient à l’instant d’informer de la situation présente. Celui-ci arrive au commissariat quelques minutes plus tard. « Où sont allés les agents du CSPJ qui ont amené le prévenu ? », s’enquiert-il. « Ils sont repartis aussitôt », lui répond le brigadier. « Téléphone-leur de revenir dare-dare ! » Un peu plus tard, les trois agents de la brigade spéciale entrent dans le bureau du commissaire. Le frère du détenu arrive à son tour et demande au commissaire des explications sur l'arrestation de son frère qu’il souhaite rencontrer. « Tu ne peux pas le voir maintenant. Laisse ton numéro de téléphone au poste, tu seras contacté ultérieurement», lui dit-on. Une fois le frère parti, le commissaire demande au chef de poste d'emmener Souvi à son bureau. Chose faite aussitôt. On entend ensuite des bruits de violence et de bagarre. Une heure plus tard, le commissaire appelle le brigadier pour lui demander des menottes et une corde. Lorsqu’Ahmed ould Mohammedou entre dans le bureau de son chef avec les objets demandés, il remarque que le prévenu est inconscient et taché de sang.
Vers le crépuscule, le commissaire ordonne d’emmener celui-ci à l'hôpital Cheikh Zayed. Le médecin de garde y constate le décès du jeune homme. On téléphone alors à son frère pour l'en informer. Une foule se forme autour de l'hôpital et une autre autour du commissariat. Le commissaire essaie au début de convaincre le frère du défunt qu'il est mort naturellement. Un médecin de l'hôpital abonde en ce sens en établissant un certificat de décès de mort naturelle. Le frère de Souvi ne s'en laisse pas compter. Ces policiers et ce médecin ne paraissent pas savoir que ce cadavre est celui du jeune activiste Souvi ould Cheïbany, alias Boumenna ould Jibril ou Souvi Soumaré, ressortissant du Hodh El Gharby qui a toujours prôné un discours modéré et unificateur, fustigeant systématiquement les propos extrémistes de tous bords. C'est pourquoi lui avait-on donné le surnom de « Sawtechaab » (la voix du peuple). Des émeutes éclatent alors à Nouakchott et l'opinion publique se soude pour condamner le meurtre et se solidariser avec la victime et ses parents. Les hautes autorités n’hésitent pas à réagir et l'ordre est donné d’accomplir une autopsie en bonne et due forme du cadavre. Trois de nos meilleurs médecins légistes sont réquisitionnés à cette fin et le résultat ne s'est fait pas attendre : le jeune activiste est mort de strangulation et comporte deux vertèbres cervicales cassées. Le parquet de la wilaya-Nord décide alors de mettre aux arrêts le commissaire Isselmou ould Sidewa et ses trois sbires du CSPJ : Limam, Bocar et Bilal ; ainsi que le chef de poste Ahmed ould Mohammedou et trois autres agents. Le commissariat Dar Naïm2 est temporairement mis hors service. Des dizaines de milliers de personnes ont assisté aux obsèques de feu Souvi. Une énorme collecte – aux dernières nouvelles, elle aurait déjà dépassé les 45 millions MRO –est organisée en faveur de la famille du défunt. Tout le pays y a participé. La Direction générale de la Sûreté a désigné une commission d'enquête dirigée par un fin limier le commissaire Bowbenni. Elle a commencé par écouter les principaux suspects que sont le commissaire et les trois éléments du CSPJ de la wilaya-Nord, dont la cheffe aurait déclaré – c’est une information à confirmer – ne pas être au courant de la réquisition de ses hommes par le commissaire Ould Sidewa. « Ce dernier dispose de solides appuis», nous a indiqué une source digne de foi, précisant que ledit commissaire« agit parfois sans passer par sa hiérarchie. »
La version des accusés
Les déclarations du commissaire accusé de meurtre sont basées sur une plainte adressée au procureur par monsieur Abou Demba Fall à l’encontre de Souvi Soumaré, alors que, comme dit tantôt, le nom officiel de la personne martyrisée au commissariat est Boumenna ould Jibril. Le numéro de téléphone de celui-ci mentionné dans la plainte n’est pas celui mentionné par le poste de police au moment de la garde-à-vue. Toujours est-il que la plainte fait état d'une arnaque dont monsieur Abou Demba prétend avoir été victime de la part de Souvi. Abou lui aurait versé 80000 MRU pour lui obtenir un visa vers l'Europe mais Souvi n'aurait pas tenu ses engagements et, toujours selon le plaignant, aurait même changé d'adresse. Il y a aussi le rapport n° 24/2023, adressé par le commissaire au DRS de Nouakchott-Nord, qui semble mal concocté et truffé de contradictions. Daté du 9 Février, ce rapport mentionne que faute de personnel pouvant garantir la présence du détenu, ils avaient jugé utile de le menotter pour le mettre en sécurité ; cela n'avait pas plu au prévenu qui, hystérique, se serait violemment cogné la tête sur le mur jusqu’à ce que mort s'en suive. Et le commissaire de citer à l’appui de ses dires un rapport du chef de poste Ahmed Mohammedou mais ce dernier a déclaré aux enquêteurs n'en avoir jamais établi à ce sujet.
Le scenario du meurtre
Cette enquête n'avait pas laissé beaucoup filtrer en ce dimanche 19 Février qui a pourtant vu la signature des derniers PV d'enquête à déferrer demain au Parquet. Des sources dignes de foi en rapportent cependant qu’à l’entrée de Souvi dans le bureau du commissaire, un des membres du comité d'accueil l'avait aussitôt injurié. La réaction du jeune homme fut immédiate. « Monsieur le commissaire, je ne suis pas un criminel. Pourquoi donc ce traitement ? Ce monsieur doit aussi retirer immédiatement son insulte envers ma personne. – Et si je ne la retire pas, qu'est-ce qui se passera ? », demande l'agent du CSPJ. « Je serai obligé de répondre du tac-au-tac et la réaction sera en ce cas incontrôlée. » Le policier gifle alors le jeune homme à toute volée. Celui-ci réagit par un violent coup de tête au visage du policier qui tombe assommé. Le commissaire et les deux autres hommes lui sautent dessus et finissent par l'étrangler jusqu'à ce qu'il s'évanouisse. Entretemps, leur collège reprend conscience et commence à taper sur le prisonnier inconscient. Craignant le pire, le commissaire lui ordonne de s'arrêter. Un peu plus tard, Souvi reprend conscience et essaie de se relever. À ce moment l'un des agents lui fait un croc en jambe et l’infortuné retombe aussitôt sur la tête qui commence à saigner. Ils essaient de le relever mais ne peuvent que constater son décès.
Des questions cependant se posent. Pourquoi avoir ciblé Souvi? Pour le compte de qui a-t-il été ciblé ? Voulait-on réellement le tuer ou tout simplement l'intimider? Avaient-ils reçu l'ordre de l'arrêter ou l'ont-ils fait d'eux-mêmes ? Tel qu’il est ci-dessus présenté –et la source initiale de cette présentation ne peut bien évidemment provenir que de l’un et/ou l’autre des quatre accusés… – le déroulement du drame comporte encore beaucoup de zones d’ombres et d’imprécisions, voire d’« oublis ». À quoi servit notamment la corde que le commissaire avait demandée au brigadier ? Espérons que les résultats de l'enquête calmeront la légitime soif de vérité de l'opinion publique.
Mosy