Monsieur le Président, arrêtez, s’il vous plaît, ce fameux procès tant attendu ici et là ! Vous le savez comme nous le savons nous aussi : notre justice reste dépendante de vous et des fervents sempiternels acteurs de la mafia-político-financière qui dominent encore et toujours notre pauvre peuple malaxé dans son âme par l’injustice.
Stoppez, s’il vous plaît, cette burlesque et théâtrale mascarade de procès : elle ne sert ni le pays, ni vous-même, ni vos congénères militaires ou civils, ni encore bien moins le peuple mauritanien qui vous a confié, au regard de votre serment à le servir, la gouvernance et la gestion de ses intérêts fondamentaux. Il vous observe aujourd’hui dans l’étonnement – la stupéfaction, dirais-je même – tout à la fois intrigué et désolé. Et malgré tout dans l’attente de ce dont pourrait accoucher ce processus dont l’orientation factice semble prendre un chemin qui ne sied guère à vos promesses électorales et à votre programme présidentiel.
Les unes et l’autre ne visaient-ils pas a priori une vraie et juste lutte contre l’impunité générale, la gabegie, le détournement des deniers publics, en vue de construire un État de Droit réel et non pas une partialité étatique, visiblement rocambolesque à l’œil nu ?
Monsieur le Président,
Souvenez-vous de votre première déclaration au stade CheikhaBoïdiya de Nouakchott. Ah, combien était-elle responsable, rassurante, réaliste, attractive et prometteuse ! Elle l’était dans les objectifs à atteindre et les priorités à affronter. À l’exposer, vous affichiez une sincérité naturelle, l’expression presque visuelle d’un esprit de bonne moralité spirituelle et matérielle face à un très dense public composé de simples citoyens apolitiques et d’hommes politiques de tous bords, dont une bonne partie de l’opposition. Pourtant, elle vous accueillit et applaudit, cette masse, au point que son enchantement produisit, vous le savez, un mécontentement immédiat, notable et notoire parmi ceux qui vous accompagnent aujourd’hui… Il s’en suivit votre élection à la présidence de la République avec une confortable majorité du peuple mauritanien. Certes, cette majorité qui vous a, ce jour-là, écouté, entendu, compris et encouragé ne comptait pas ceux qui vous leurrent et pressent aujourd’hui dans le sens de leurs intérêts égoïstes et sournois. Ceux-ci avaient alors l’esprit ailleurs, naviguant dans les faux-fuyants dilatoires et l’atermoiement, embourbés qu’ils étaient dans l’indécision, ne sachant par quel chemin passer pour, d’une part, satisfaire un Président qu’ils chérissaient sinon adoraient – votre prédécesseur – dont ils attendaient la définition d’une tactique électorale à suivre et, d’autre part, le sort définitif et l’avis du général que vous fûtes, du nouveau candidat que vous étiez. N’est-ce pas qu’après, à un moment précis de notre récente histoire, vous avez compris que la voie conduisant au palais présidentiel n’était pas si facile que vous le pensiez ? Plutôt un parchemin, doux mais plein d’embûches, pièges, traquenards et embuscades, au sens même militaire du terme.
Alors, Monsieur le Président, à quelle source vous êtes-vous abreuvé et inspiré, de quel type de génies maléfiques vous êtes-vous entouré, de quelle catégorie d’individus abjects si peu soucieux du sort de notre pays avez-vous été l’otage – Et pourquoi d’ailleurs ? – pour qu’une fois installé au pouvoir, vous vous soyez détourné, léthargique, de votre programme initial jusqu’à vous concentrer sur un tel un procès ? Mais, bref, je vous épargnerai de tenter élucider ces énigmes qui se résument en fait à une seule question dont le peuple et les lecteurs connaissent déjà la réponse.
Monsieur le Président
C’est pour dire, monsieur le président de la République, que vous êtes en train de vous écarter du bon chemin. Celui que vous auriez dû emprunter dès votre accession au pouvoir et s’y attacher dans une volonté ferme sans controverses. Un fiasco rédhibitoire… à moins que vous ne vous ressaisissiez dans l’extrême urgence pour rattraper le temps perdu, celui qui passe et ne se rattrape pas. Revenez au tableau exhaustif des exigences du peuple qui vous a élu ; et au peuple seulement. Essayez de satisfaire ses doléances, toutes justes, pour tirer enfin les bonnes leçons de ses malheurs et partant, tracez et conduisez les bonnes voies centrées sur la résolution de ses problèmes. Certes les marques de votre désistement sont déjà indélébilement entachées d’une volonté trébuchante mais ne craignez rien ni personne ! La Constitution qui vous protège saura vous défendre de la mafia politico-financière qui pourrait vous juger demain, comme elle s’y exerce en ce moment à l’encontre d’Ould Abdel Aziz, celui qui les a tous enrichis et à qui ils ont tout appris de nuisible et néfaste. Tout un paradigme de consubstantialité qui évolue dangereusement et qui ne vous épargnerait guère demain, si notre pays continuait à endurer les vicissitudes du système qui l’accable.
Ceci dit, monsieur le président de la République, je me permettrai en conséquence de vous faire part de mon humble avis, ou plutôt conseil, que je considère nationaliste, quant aux voies et options qui s’offrent encore à vous pour sauver notre pays des imprévisibles catastrophes de toute nature. D’autant plus que tous les ingrédients susceptibles de provoquer celles-ci sont en réelle ébullition : notre pays souffre de la division ethnique, culturelle et sociale, de l’absence structurelle et structurante de la répartition des biens. Il est démuni, appauvri, malmené dans toutes ses composantes ethniques et raciales par un ramassis d’individus qui y sévissent depuis 1978 (plus exactement, 1985). Ne dépassant paradoxalement pas une centaine de personnes, ce groupuscule s’est constitué, dans la solidarité, en une espèce de micro-classe socio-économique détenant toutes les richesses du pays. Pire, une classe qui se renforce continuellement, à travers une combinaison systémique de legs de tous types, de tous horizons, automatique et générationnel, consistant à incruster les fils et petits-fils de quelques civils, de quelques hauts gradés militaires et de conspirateurs aguerris dans l’administration de l’État et autres institutions publiques et privées, afin d’éterniser les malheurs des citoyens et de conserver à tout prix le pouvoir.
Monsieur le Président
Pour le présent, n’oubliez pas que nul n’est à l’abri des soubresauts politiques de toutes natures et que « celui qui s’abrite sous les jours est nu », comme on dit en hassaniya. Veuillez donc faire comme si vous veniez de vous installer au pouvoir – perte de temps récupérable en quelque sorte – et prenez les décisions dignes de votre rang, de votre stature, de vos origines et celles issues du respect des préceptes du Tout Puissant, du Tout Miséricordieux et des recommandations de Son prophète Mohammed (PSL).
Le procès d’Ould Abdel Aziz et consorts devait relever de la lutte contre l’impunité, appuyée sur les conclusions de la Commission parlementaire constituée à cet effet. C’était votre leitmotiv fondamental qui semble s’être malheureusement volatilisé et avoir pris une déviation fort peu crédible. Car sur plus de trois cent cinquante personnes impliquées, preuves à l’appui, seules une dizaine de personnes ont été inculpées ; les autres sont, à ce jour, soit nommés à nouveau ministres, soit maintenus aux postes qu’ils détenaient précédemment ; en tous cas, systématiquement protégés par le pouvoir, y compris les hommes d’affaires, clés du système de votre prédécesseur : conséquences et preuves de la continuité de l’enrichissement illicite. Notez bien ici que les citoyens y voient une discrimination évidente.
Mais vous avez le choix. En un, faire en sorte que l’on juge, dépossède, exproprie, sans exception, tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont contribué au désastre économico-politique et socio-culturel durant la décennie. Ils sont tous connus et identifiables. Certains sont encore au pouvoir, d’autres au parti enfanté de l’UPR et reconduits ; d’autres, hommes d’affaires, conservant leur suprématie et leurs avantages grâce aux biens spoliés au peuple ou nouveaux issus du même milieu mafieux, préparés pour la relève de demain. Je le répète : tous doivent être jugés au même titre et dans les mêmes conditions qu’Ould Abdel Aziz. Ceux que l’on veut épargner sont riches, très riches même, grâce à leurs dépôts en devises dans les paradis fiscaux étrangers et autres banques occidentales. Au pays, ils ne possèdent, semble-t-il, que très peu ou carrément rien. Malins et truands qu’ils sont, ils savaient pertinemment que cette gabegie de la décennie allait s’arrêter un jour ou l’autre. Certes, monsieur le Président, cette option, vos démarches et votre style de gouvernance semblent l’avoir marginalisée, l’on ne sait pourquoi. Que coûterait au pays le fait de juger et d’envoyer en prison ces personnes, les déposséder de ce qu’ils ont enterré, en les obligeant, par la force et la sévérité carcérale, à rapatrier et déterrer les biens volés ? La réponse est facile et nous la connaissons déjà : ceci ne coûtera au pays que d’enfermer ces crapules avec les rats et les moustiques pour que de suite ils s’exécutent. Autrement dit, le procès qui se déroule aujourd’hui n’est pas juste. Et soyez sûr, monsieur le Président, qu’il vous coûtera, sans l’ombre d’un doute, aujourd’hui ou demain.
L’alternative est plus courte à exposer : si vos analyses, les inutiles et stupides conseils qu’on vous prodigue ici et là ou que l’on cache au peuple, pour d’autres raisons, expliquent votre manque de fermeté – caractérielle, génétique ou de tout autre ordre– allez donc faire savoir au peuple que vous avez décidé de faire appel à notre traditionnelle irrationalité récurrente : Oublions TOUT, encore une fois de plus : عف الله عن ما سلف !!!
Dans les deux hypothèses ainsi élucidées, vous devriez, monsieur le Président, faire suivre votre décision – celle qui vous semblerait dans l’immédiat la plus appropriée aux circonstances politiques, sociales et économiques – par un revirement spectaculairement nationaliste dans le sens d’une responsabilité hautement non partagée, sinon dans l’intégrité morale, spirituelle et l’honnêteté. Face à tous les responsables de cet imbroglio, cette décision devrait commencer par des redressements fiscaux d’ampleur dont a besoin notre Trésorerie nationale à l’encontre de ceux qui se sont enrichis illicitement en les incitant à investir dans le pays au profit de l’économie nationale. ils sont nombreux et vous les connaissez ; l’exclusion de l’administration publique et privée de tous les voleurs qui s’y trouvent encore ; l’interdiction systématique à ces bandits d’exercer toute activité politique ou d’adhérer à un parti politique national . Tout ceci appliqué à tous ceux impliqués dans la liste établie par la Commission parlementaire et dont les rapines pillées au détriment de la nation se trouvent un peu partout à l’étranger.
Il ne devrait être ici besoin de vous dire ou rappeler que ces décisions ne sauraient être utiles à notre pays si elles n’étaient accompagnées par le règlement encore en suspens des problèmes généraux et particuliers de la nation. En les annonçant tout haut, ces recommandations doivent être suivies et résolues très sérieusement, dans la transparence totale et le renforcement absolu de l’État de Droit. Permettez-moi d’en citer brièvement quelques unes:
-Le report immédiat des élections législatives, régionales et municipales pour les précéder d’une large concertation politique et sociale à caractère national , même s’il était constitutionnellement nécessaire de faire appel à l’appui du peuple. Celui-ci vous soutiendra sans doute, si votre bonne foi se manifeste dans le courage et l’abnégation.
-la répartition juste et cohérente de nos richesses nationales, avant même l’apparition du premier mètre cube de gaz ;
-L’introduction d’une JUSTICE renouvelée dans le bannissement incessant de l’incompétence de notre système judiciaire qui doit être au service réel des citoyens dans un bilinguisme arabe- français et un enrichissement de la classe professorale juridique.
- Un indéfectible soutien et un renforcement financier et matériel au développement des partis de l’opposition, dans le cadre d’une composition ou recomposition honnête et intègre en concertation digne avec le pouvoir car l’absence de la contradiction ne pourra jamais faire avancer l’État de Droit.
-Une éviction grandissime de tous les escrocs politiques du parti que vous présidez, en fait : il est un des petits-fils de la nomenklatura issue du PRDS et donc des privilégiés élevés à l’autel du racisme, du régionalisme, du tribalisme mesquin évidemment complice de la destruction de notre pays. Ces fléaux sont à l’origine du mal qui empêche notre pays d’avancer en ce 21ème siècle déjà incertain et pour ce faire des lois doivent être promulguées et appliquées afin de bannir définitivement de l’échelle de nos valeurs, ces ridicules mensonges historiquement faux et dénués de fondements.
Monsieur le Président,
Ce ne sera qu’à ce prix, permettez-moi enfin de le souligner, que vous gagnerez la confiance de votre peuple. Un dur labeur, certes, mais en comptant sur les citoyens épris de justice et les compétences oubliées, écartées et opprimées, vous avancerez rapidement vers les objectifs de votre programme électoral. Sans quoi, monsieur le Président, vous iriez droit au mur, un mur bien plus long et large que la muraille de Chine…
Réveillez-vous et sachez que la revanche des peuples est cruelle ! Elle sait émerger d’une très simple et banale histoire, quand la plénitude du non-droit et la paupérisation des masses atteignent leur paroxysme. Sauvez-vous et surtout sauvez-nous ! Demain, nous n’aurez ni frère, ni cousin, ni tribu, ni ethnie, ni race pour votre défense. Seul, c’est au peuple que vous aurez, ici-bas, à faire face et dans l’Au-delà, ce sera au Très Miséricordieux Allah qu’il vous faudra rendre comptes. Que Lui diriez-vous ?
Sur ce, veuillez croire, monsieur le président de la République, en l’expression de ma très haute considération, confiant que je suis en votre clairvoyance et votre foi en Allah, celles qui vous aideront dans le sauvetage de notre très cher peuple…Aussi inconscient soit-il et peu enclin au sacrifice, comme l’espèrent pourtant dans leur quasi-totalité ceux qui vous encerclent aujourd’hui, il est à bout de son endurance. Vous devriez donc tenter d’ancrer dans votre esprit que l’évolution naturelle de l’Univers saura remédier à toutes les situations, des plus spontanées et inattendues, indépendamment des hommes et des femmes contraints ou non par la conjoncture…
Senny Khyar
Conseiller des affaires étrangères à la retraite