Le Calame : Quelle évaluation faites-vous de ces deux semaines consacrées aux questions de procédures ?
Maître Yarba ould Ahmed Saleh : Durant ces deux semaines, les avocats des accusés et, en particulier, de l’accusé principal, monsieur Mohamed ould Abdelaziz, ont adopté une stratégie simple : retarder autant que faire se peut l’examen des faits concrets reprochés à leurs clients. Ils ont à tour allégué que sa détention à la veille de son procès était illégale, « exigeant » – le mot est de mes confrères de la partie adverse – de la Cour la levée du mandat de dépôt décerné contre lui. Ils ont concomitamment – et paradoxalement – entrepris une autre démarche en demandant la mise en liberté provisoire de leur client. Ces démarches étant, au regard du Droit, dépourvues de fondement légal et à tout le moins de pertinence, la Cour les a rejetées sans détours.
Conformément à la ligne de défense « tout sauf l’examen des faits », les avocats de l’accusé Mohamed ould Abdelaziz ont soulevé l’incompétence de la Cour, sur la base de l’article 93 de la Constitution prétendant qu’un ancien président de la République n’est passible que de la haute Cour de justice et pour haute trahison. En somme, ils acceptent de mettre en cause l’honneur de leur client mais non les origines de son immense fortune. Allez savoir pourquoi ! Abusant à volonté de la patience de la Cour, ils ont indéfiniment prolongé les débats.
Cette « exception », pour verser dans le jargon juridique, ayant été rejetée, nos confrères avocats de la partie adverse ont alors annoncé qu’ils vont introduire un recours d’inconstitutionnalité contre des dispositions de la loi « anticorruption » – pourtant promulguée en 2016 par l’ancien président en personne ! – et du Code de procédure pénale en vigueur depuis plus de soixante ans prohibant l’utilisation des moyens d’enregistrement sonores et audiovisuels, institué essentiellement pour préserver aux accusés leur dignité, même au cours d’un procès pénal.
Comme le prévoit la loi, la Cour a décidé de suspendre la procédure en attendant que le Conseil constitutionnel se prononce sur ce recours en inconstitutionnalité ; il doit le faire dans un délai de quinze jours à compter de la date de sa saisine qui doit aussi se faire sous quinzaine. Mais « Est nu », dit un adage bien de chez nous, « celui qui se cache derrière les jours ! »
- Bien avant le procès, on a assisté et continue à assister à une espèce de guerre médiatique entre la défense et la partie civile. D’aucuns pensent que sur ce point, la défense a une bonne longueur d’avance sur les représentants de l'État que vous êtes. Vous ne partagez certainement pas cet avis ?
- Les avocats d’Ould Abdelaziz occupent les media, nous occupons le prétoire. C’est classique : la partie qui n’a rien de cohérent à soutenir devant le juge encombre les media de ses incohérences et positions approximatives sur les questions techniques, évitant l’examen des faits qui sont têtus, comme disait l’autre. Ce procès se gagne-t-il sur le plan de la Com ou devant le prétoire ? Un procès se gagne devant les juges, par des arguments juridiques pertinents. Le théâtre et le simulacre se jouent ailleurs ; ils ont leurs acteurs et leurs fans.
- Les charges retenues contre les accusés sont très lourdes. Ne vous facilitent-elles pas la tâche ?
- Un procès n’est jamais gagné d’avance, quelles que soient l’ampleur de l’accusation, la simplicité du mode opératoire de l’accusé ou la gravité des actes qui lui sont reprochés.
- On entend vos confrères évoquer des questions de fonds. Pouvez-vous nous en dire un mot ? Et quand est-ce qu’on va y arriver ?
- Les questions de fonds relèvent d’une kyrielle d’agissements allant de l’appropriation au grand jour et sans pudeur du patrimoine foncier de l’État à la dissipation des deniers des sociétés publiques, en passant par la prise en catimini d’intérêts dans les marchés publics et le blanchiment d’argent. J’en ai certainement omis !
- Vous n’allez certainement pas nous révéler ici la stratégie de la partie civile mais on peut imaginer qu’elles seront l’occasion pour les avocats de l'État de convaincre le tribunal ?
- Notre stratégie est simple : remplir en toute responsabilité notre mission dans toute la dignité de notre profession et conformément aux règles d’éthique qui fondent celle-ci.
- Ce procès est une première en Mauritanie. Que peuvent attendre les mauritaniens de son issue ?
- Ce procès fera, je l’espère, école. La conception patrimoniale de l’État en prendra un coup sévère. Nos partenaires de développement prendront notre pays au sérieux. Il ne signe pas une convention internationale, comme celle portant lutte contre la corruption, pour la laisser lettre morte.
Propos recueillis par Dalay Lam
Interview réalisée, il y a une dizaine de jours. Elle n’a pu être actualisée pour des impératifs de bouclage mais elle le sera dans notre site web.