Depuis que les premiers actes en vue des prochaines élections municipales, régionales et législatives ont été posés : mise en place de la CENI, adoption de son chronogramme et, tout récemment, lancement du recensement administratif à vocation électorale ; c’est le grand branlebas pour ceux qui nourrissent l’ambition de se porter « candidats à la candidature », ainsi que ceux placés en des postes de responsabilité.
Dès la veille même du démarrage du RAVEL, certains se sont mis à la pêche aux voix. Il s’agit de mobiliser parents, proches et voisins en collectant leurs pièces d’identité afin de dresser une liste de potentiels soutiens puis, une fois le recensement démarré, de les amener à s’inscrire dans des bureaux-cibles, pour qu’on puisse les y transporter, si nécessaire, le jour du vote. D’autres n’hésitent pas à proposer de l’argent pour récupérer des cartes d’identité pour empêcher leurs titulaires de voter. Une domestique dit avoir été interpellée par un inconnu qui lui a demandé de lui donner sa carte d’identité contre 5000 UM, en lui indiquant qu’elle la récupérerait après le vote. La dame dit avoir refusé, fermement décidée à voter pour qui elle voudra.
Recensements parallèles
La mobilisation est traditionnellement organisée par voisinage,
affinité familiale, tribale et même communautaire. Mais, cette année, les imams sont aussi mis à contribution : on leur demande de recenser les coordonnées de tous leurs fidèles (NNI, téléphone…). À en croire un responsable d’une mosquée en banlieue, l’objectif avoué est de permettre aux fidèles de bénéficier de l’aide des autorités aux lieux de culte. Comme si cet appui devait être désormais conditionné à la fréquentation de ceux-ci. Plusieurs citoyens rencontrés n’ont pas manqué d’exprimer leur réserve, en refusant de se faire inscrire sur des listes douteuses, craignant surtout que leur vote ne fasse l’objet de détournement. En tout cas, la pêche aux voix est bel et bien lancée et ceux qui vont à petits pas risquent d’en faire les frais.
Ces recensements parallèles s’accentuent au fur et à mesure que les élections approchent. Les citoyens sont invités à s’inscrire en masse sur la liste électorale pour s’acquitter de leur devoir civique. Heureusement que la présence physique pour relever les empreintes digitales est exigée ; sinon, on allait assister à une fraude à grande échelle.
En plus de mobiliser des soutiens, les candidats à la candidature doivent se battre pour obtenir l’investiture de leur parti ; à défaut, trouver d’autres points de chute. Quand ils ne sont pas choisis, certains militants indisciplinés n’hésitent pas à claquer les portes de leur formation politique ainsi saignée lors des élections. C’est la fameuse « transhumance » qu’une loi a permis de limiter, surtout en ce qui concerne les postes électifs (maire et député). Tout maire, député ou président d’un conseil régional qui démissionne de son parti est ainsi tenu de lui rendre sa charge.
Les militants ne croient que très peu aux partis qui peinent à faire régner la discipline en leur sein. Le trafic d’influence, l’argent, le tribalisme, le régionalisme et même l’ethnie déterminent toujours la nomination des candidats et ni les partis ni le gouvernement ne semblent décidés à faire adopter une loi fixant les critères de désignation de ceux-là.
Querelles de tendances
L’Assemblée nationale, les conseils régionaux et les conseils municipaux en pâtissent lourdement. Le principal perdant reste le citoyen qui se retrouve avec un figurant dans des institutions où se prennent des décisions engageant le quotidien et l’avenir.
Soucieux d’éviter des couacs lors du choix des candidats, l’INSAF, principal parti de la majorité présidentielle, travaille à instaurer la discipline en son sein. Plusieurs missions de sensibilisation ont été ainsi dépêchées dans les régions pour en écouter les différents acteurs. Même si les querelles de tendances se sont quelque peu estompées depuis les dernières élections de 2018, l’heure des choix reste une préoccupation majeure du parti. « La demande est très forte mais l’offre très réduite », lâche un haut cadre de celui-ci. « Il faut savoir opérer des choix judicieux via des critères objectifs », souligne-t-il, « sinon l’on ouvre la voie aux contestations et à des départs vers d’autres partis de la majorité. »
Certains profitent toujours de telles circonstances pour se faire leur place au soleil. La nouvelle liste nationale des jeunes et les conseils municipaux et, surtout, l’érection de Nouakchott en trois wilayas avec vingt-et-un députés élargit certes l’offre mais aiguise aussi de nouvelles ambitions. Les conseils régionaux poseront peut-être moins de problèmes car, après un mandat, tous les présidents voudront être reconduits : on ne les jugera certainement pas sur leur bilan. Mais pour l’heure et dans un cas comme dans l’autre, il faut se battre dur pour obtenir une place au soleil.
Du côté de l’opposition, on attend toujours la dernière minute pour publier les listes candidates. Là aussi, les difficultés sont énormes pour désigner les candidats et les placer sur les différentes listes. Comme dit tantôt, elle pourrait accueillir des transfuges du pouvoir mécontents de n’avoir pas été investis. Et la voilà elle aussi à mobiliser de potentiels soutiens en les poussant à se faire inscrire sur les listes électorales. L’enjeu est crucial pour cette opposition qui risque fort, si elle n’y prend garde, se retrouver laminée à cause de ses divisions.
Sur le terrain, les citoyens ne se bousculent pas devant les bureaux de recensement. C’est au compte-gouttes qu’on les voit s’y présenter. Pourtant la décision de la CENI de laisser les citoyens s’inscrire et voter en n’importe quel bureau des différentes circonscriptions du pays devrait pousser les habitants de Nouakchott à se bousculer car beaucoup préfèrent voter chez eux, à l’intérieur du pays. Attendent-ils la publication des listes candidates ou les derniers jours pour se ruer sur les sites de recensement ? Wait and see !
Dalay Lam