Comment éradiquer les fléaux de la pauvreté et de la précarité en Mauritanie et alléger considérablement les charges sociales de l’Etat ? Un moyen original et inédit : L’administration nationale de la zakat. Etude sur la zakat, adressée au président de la République en date du 8 aout 2019.
I. SOMMAIRE
* Pour le musulman, la zakat est une obligation religieuse au même titre que la prière. Tout chef d’Etat musulman est tenu de veiller à son acquittement, même par la force. Reste à trouver le moyen adéquat pour sa collecte et sa distribution.
* Création d’une Administration nationale de la zakat (ANZ), érigée en institution constitutionnelle pour sortir du cadre archaïque, désordonné et peu fiable de la distribution traditionnelle de la zakat.
Comme on le verra plus loin, le budget de l’ANZ une fois la machine lancée, sera, probablement, aussi important que le budget de l’Etat. Il se chiffrera, sans doute, en centaines de milliards d’ouguiyas.
* Avec cet apport colossal en argent frais, la zakat permettra d’améliorer le niveau de vie des classes sociales démunies, contribuant ainsi à apaiser les esprits et à calmer les tensions.
* Outre le fait qu’elle viendra alléger considérablement les dépenses sociales de l’Etat : universités, hôpitaux, logements sociaux, … la zakat apportera aux nombreuses personnes éligibles, un revenu mensuel constant pour l’éradication de la pauvreté.
* Le chevauchement de la zakat et de l’impôt n’engendrera pas un manque à gagner pour l’Etat. La zakat est une dîme sur la fortune et non pas sur le revenu, comme l’impôt. Bien au contraire, la zakat va booster l’activité économique et, par effet induit, accroître les recettes fiscales.
* Le budget de l’ANZ ne sera pas géré par les services de l’Etat. Cette gestion sera assurée par une institution indépendante et autonome (l’ANZ) qui tire sa force et sa légitimité de la Constitution.
* Pour une transparence totale du fonctionnement de l’ANZ, le contrôle de la comptabilité et de la gestion de cette institution pourront faire l’objet d’un audit par un cabinet international d’experts indépendants qui publiera chaque fois, à cet effet, un rapport annuel sur son propre site.
* Devant la crainte de voir une partie, même infime, de leur argent leur échapper, nombre d’hommes d’affaires et de gens fortunés vont, probablement, se dresser contre l’aboutissement de cette initiative et tout faire pour l’étouffer dans l’œuf.
Pourtant, il est prouvé que l’acquittement de la Zakat a un effet multiplicateur sur le patrimoine.
La mise en œuvre d’une telle initiative est de nature à mettre le pays à l’abri de graves secousses sociales, aux lendemains incertains.
* Par ailleurs, les énormes revenus générés par l’ANZ mettront aussi à l’abri, durablement, contre les problèmes de déficits budgétaires qui, souvent, conduisent à solliciter un accord d’ajustement structurel avec le FMI.
* Tout donne à penser qu’une telle initiative emportera l’adhésion massive et spontanée des Mauritaniens. Elle constituera, par ailleurs, une première mondiale qui sera, probablement, copiée par les Etats arabes et musulmans.
Elle pourra même s’avérer être un modèle de solidarité sociale originale qui sera enseigné dans les universités du monde entier.
* On verra aussi, dans cette initiative, la négation du prisme déformant de l’idéologie dévastatrice des mouvements « jihadistes » qui altèrent l’image de l’Islam qui est une religion de paix, de tolérance, de partage et de solidarité.
II. ESQUISSE D’UN ORGANIGRAMME POUR L’ADMINISTRATION NATIONALE DE LA ZAKAT
III. L’ETUDE
La Zakat au temps du Prophète et des califes bien guidés
Pour pallier la propension à l'égoïsme, inhérente à la nature humaine, l'islam a institué la zakat. Du temps du Prophète et des califes bien guidés, la zakat était perçue et redistribuée équitablement entre les pauvres et les nécessiteux, contribuant ainsi à un nivellement par le bas de la société.
Dans les pays musulmans, l'acquittement de la zakat est une obligation religieuse au même titre que la prière. Ne pas acquitter cette dîme est une rébellion contre Allah et Son prophète.
En terre d'islam, il incombe au détenteur du pouvoir, monarque ou président, de faire respecter l'observation de ce pilier de l'islam. C'est une lourde responsabilité dont il devra répondre, personnellement, dans l'Au-delà, devant le Souverain Juge.
Son caractère obligatoire est indiscutable. Dieu a dit à l'adresse de Son prophète: "Prélève sur leurs biens une aumône (zakat) pour les purifier et promouvoir leur foi; prie aussi pour eux, ta prière leur donnera plus de sérénité. Allah entend tout et sait tout".1
Ce verset est une INJONCTION divine, un ORDRE donné au prophète. C'est pourquoi, quelle que soit la mauvaise foi ou les dérobades des uns ou des autres, rien ne pourrait soustraire le musulman au versement de cette dîme.
D'après Ibn al-Abbas, le Messager d'Allah envoya Mouaâd au Yémen et lui dit: "Appelle les gens à témoigner qu'il n'y a pas de dieu autre que Dieu et que je suis Son prophète. S'ils acceptent, fais leur savoir que Dieu leur a prescrit cinq prières par jour et nuit. S'ils l'acceptent, fais leur savoir que Dieu a frappé leurs biens d'une aumône légale (zakat) qui doit être versée par ceux, parmi eux, qui sont aisés et donnée à ceux, parmi eux, qui sont dans le besoin".2
Pour sa part, Abou Dharr a rapporté: "Je me dirigeai vers le Prophète qui se trouvait à l'ombre de la Kaâba. Lorsqu'il m'a vu, il dit: "Ils sont des perdants, par le Seigneur de la Kaâba!" Abou Dharr poursuivit: "Je m'assis tout près de lui, mais comme je ne pus rester longtemps, je me levai et dis: "Ô Envoyé de Dieu, que je sacrifie pour toi père et mère! Qui sont ces perdants?". Il me répondit: "Les plus fortunés, à moins qu'ils ne dépensent leur argent par-ci, par-là, en aumônes (il fit des gestes devant lui, derrière lui, à sa droite et à sa gauche) (…)."3
Le détenteur du pouvoir, dans un pays musulman doit faire, si nécessaire, usage de la force pour le recouvrement de la zakat. C'est ce que fit, sans hésiter, Abou Bakr qui venait d'être investi calife de l'Envoyé de Dieu. En effet, à l'annonce de la mort du Prophète, beaucoup de tribus bédouines, voulant s'affranchir de la tutelle du pouvoir central de Médine, ont refusé de payer la zakat. Le contexte d'alors était très délicat. Les bédouins sont en révolte et un peu partout de faux prophètes se manifestent suivis par de nombreux adeptes.
Dans la Ville Lumineuse, en deuil, on appréhendait les menaces qui pesaient sur la pérennité de l'Etat islamique naissant.
Les Compagnons conseillèrent au nouveau calife de faire preuve de retenue et de surseoir, momentanément, à sa décision de forcer les rebelles à s'acquitter de la zakat.
Intransigeant, Abou Bakr, contre l'avis général, jura qu'il leur fera payer la dîme exactement comme du vivant du Prophète et ce, quelles qu'en soient les conséquences. Il ajouta qu'il s'agit là de l'application d'une prescription religieuse qui ne peut faire l'objet d'aucune tergiversation. Commencèrent alors des guerres dites "guerres d'apostasie" que le calife matera avec beaucoup de fermeté.
L’ANZ, une aubaine pour les pauvres et pour l’Etat
De nos jours, la collecte et la distribution de la zakat par un organisme d'Etat autonome s'avère, plus que jamais, être une priorité absolue. Le chômage endémique, la misère et la pauvreté qui frappent cruellement nombre de pays arabes, pourront être jugulés, en grande partie, grâce à un usage rationnel et inédit du produit d'une zakat généralisée et bien encadrée.
Si on excepte des expériences encore embryonnaires comme en Malaisie ou au Soudan, la zakat est gérée par des associations caritatives, notamment dans les Etats du Golfe.
Quelle que soit la générosité des donateurs, une telle gestion segmentée, fragmentée, ne peut répondre aux besoins de la masse des pauvres et des nécessiteux. Seule une institution centrale indépendante avec des moyens matériels et humains conséquents pourrait relever le défi de recenser et de venir en aide aux populations ciblées.
Pour sortir du carcan traditionnel actuel de cette distribution archaïque, désordonnée et peu fiable, de surcroît non conforme avec la sounna, on pourra envisager la création, dans chaque Etat arabe, d'une Administration Nationale de la Zakat, érigée en institution constitutionnelle. Un référendum ou une réforme constitutionnelle votée par le Parlement, adoptera cette modification constitutionnelle qui confèrera à cette nouvelle Administration un caractère national d'utilité publique. Une loi organique en précisera l'organigramme et les modalités de fonctionnement.
A première vue, le chevauchement de la zakat et de l'impôt pourrait faire craindre un manque à gagner pour les recettes de l'Etat.
Pour couper court à cette éventuelle polémique, il faut tout de suite préciser que la zakat est une dîme sur la fortune et non pas sur le revenu, comme l'impôt. C'est dire que ces appréhensions ne sont pas fondées. Bien au contraire, le prélèvement de la zakat va booster l'activité économique et par effet induit, accroître les revenus engendrés par l'impôt. En clair, les recettes fiscales seront plus importantes avec l'institution d'une zakat centralisée. Comment?
D'abord l'assiette de l'impôt et autres taxes va être considérablement élargie car les assujettis seront beaucoup plus nombreux.
En effet, si on excepte les grands et moyens opérateurs économiques, le nombre des personnes imposables est, somme toute, restreint. Car ce sont, pour la plupart, des citadins qui ont pignon sur rue. En revanche, les petits commerçants, les éleveurs, les agriculteurs du fait, notamment, de leur éparpillement échappent, dans leur grande majorité, au fisc.
Avec l'institution d'une Administration nationale de la zakat (ANZ), presque tout le monde sera concerné par l'acquittement de cette dîme. Des listes dûment établies par les services de l'ANZ seront alors disponibles, lesquelles constitueront un important potentiel de foyers fiscaux. Les revenus ainsi générés seront redistribués et auront un impact certain sur l'activité économique grâce notamment à la consommation des ménages ce qui, in fine, dopera la croissance.
Toutes les activités de l'ANZ comme la collecte de la zakat, la rémunération des fonctionnaires ou le fonctionnement de cette institution, seront autofinancés par cette même ANZ.
Non seulement l'ANZ apportera un revenu mensuel constant (revenu d'éradication de la pauvreté /REP) pour les populations déshéritées, mais en plus, elle viendra alléger de façon significative les dépenses d'investissement de l'Etat dans les écoles, les universités, les dispensaires, les hôpitaux, les mosquées et autres infrastructures de base.
Moussa Hormat-Allah
Professeur d’université
Lauréat du Prix Chinguitt
(A suivre)
Renvois
[1]. Sourate Le Repentir, Verset 103.
2. Hadith rapporté par Boukhari.
3. Hadith rapporté par Mouslim.