Ce sont là deux évènements majeurs qui pourraient marquer l’année 2023 en Mauritanie. Depuis que les partis de la majorité et de l’opposition ont convenu de préparer les élections municipales, régionales et législatives, la classe politique s’agite, du moins celle encore audible. Du côté de la majorité présidentielle, notamment l’INSAF et l’UDP, on déploie les troupes sur le terrain à la conquête de l’électorat. On n’est certes pas encore en campagne – celle-ci ne doit démarrer officiellement qu’en Avril-Mai – mais son atmosphère est déjà perceptible. Des réunions, visites de proximité et autres porte-à-portes nocturnes ont commencé dans les quartiers de Nouakchott et même à l’intérieur du pays. Décidé à maintenir sa mainmise sur l’échiquier politique, le principal parti de la majorité présidentielle a pris les devants. En mettant d’abord de l’ordre en ses rangs et restaurer la discipline avant de coopter ses candidats. C’est son défi majeur. L’INSAF pourrait compter sur l’appui du gouvernement et le renfort du président de la République. Mohamed Cheikh El Ghazwani entreprend depuis peu des visites de proximité pour inaugurer ou poser les premières pierres de divers chantiers ce qui booste, on le voit bien, les activités de son parti en lui fournissant des arguments de campagne. Les media publics sont mis à contribution pour vulgariser les réalisations du gouvernement depuis trois ans. On assiste à une éclosion d’initiatives de cadres et notables, hélas souvent à caractère tribal et régional, voire familial. Pourtant la législation a interdit ce genre de manifestations dans un pays qui se dit démocratique et musulman, où donc tous les citoyens sont frères et sœurs, même si de criantes inégalités sont entretenues, comme on le perçoit tous les jours dans les rues, villes, villages, campements et autres.
Déjà à ce niveau de précampagne, on peut se demander à juste raison si le point d’accord entre le ministère de l’Intérieur et les partis politiques concernant le financement des campagnes pourra être respecté. Les missions des partis et, surtout, le déplacement des cadres de l’État membres du parti INSAF sont de nature à déséquilibrer le débat. Alors que ledit financement n’est pas encore disponible, les unes et les autres commencent à courir le pays.
Pendant que le parti du pouvoir maille de ses missions le territoire national, l’opposition se cherche. Elle est tenaillée entre le respect des termes de l’accord avec le ministère de l’Intérieur et l’impérieuse nécessité de nouer des alliances pour éviter la débâcle. Une partie de cette opposition conteste déjà le chronogramme de la CENI et sa validation par le gouvernement. L’alliance RFD, UFP et UNAD (CFCD) estimait, lors d’une conférence de presse tenue le 21 Décembre dernier, que les conditions n’étaient pas réunies pour la tenue des élections et demandait des concertations autour de grandes questions nationales comme l’unité nationale, l’état-civil, la gouvernance, l’éducation, etc. Ces concertations, dit la CFCD, permettraient d’envisager un scrutin inclusif et serein. De son côté, l’alliance Espoir a lancé, après avoir décrit une situation politique et économique délicate, un appel aux forces progressistes et patriotes pour unir leurs forces afin de relever le défi des prochaines élections et de la stabilité.
Reconnues ou en attente de l’être, d’autres formations de l’opposition sont en pleines manœuvres d’approche. Tous les acteurs politiques ont compris l’enjeu de ce qui va se jouer en Mai prochain : unir leurs forces ou faire le jeu de la majorité présidentielle qui ne ménagera, comme tout le monde l’imagine, aucun effort pour réduire à la portion congrue l’opposition.
Elément perturbateur
Pendant que les deux camps se préparent aux prochains scrutins, l’ex-président Mohamed ould Abdel Aziz est revenu comme pour perturber le jeu. Il occupe le terrain depuis quelques mois et se positionne comme une alternative à l’opposition traditionnelle. Dernière déclaration en date, suite au refus des autorités de le laisser voyager à l’étranger, il a qualifié l’opposition de « tétanisée » et donc incapable de jouer pleinement son rôle. On scrutera le rôle qu’occupera le parti Ribat auquel ont adhéré l’ex-Président et ses amis et sympathisants. Après une sortie réussie à Nouadhibou, Ould Abdel Aziz a cru pouvoir se lancer dans la reconquête des cœurs mauritaniens, en dépit du fort discrédit porté à son encontre par des accusations gravissimes pour un ancien président de la République : détournements de biens publics et obstruction à la justice de son pays. Son avenir se joue en ce mois de Janvier 2023 où s’ouvrira son procès. Après avoir défié le pouvoir, Ould Abdel Aziz fera face à la justice qui le condamnera ou le blanchira. Vu la gravité des accusations, il lui sera très difficile d’échapper à la prison. La crédibilité du pouvoir est ici en cause, nombre de Mauritaniens se demandant si la justice enverra l’alter ego de Ghazwani au bagne. Un moyen de le faire taire et de le mettre hors d’état de nuire ?
Avec le procès de l’ex-Président, le système en place pourra en tout cas se vanter d’avoir offert un exemple aux Mauritaniens, à l’Afrique et au Monde entier, à l’instar de la Guinée qui juge actuellement l’ex-chef de la junte, Dadis Kamara. Pourvu que le procès ne s’enlise pas et ne serve de prétexte aux extrémistes et pyromanes pour semer des troubles dans le pays ! Dans un contexte où les terroristes jihadistes regagnent du terrain au Mali, pays frontalier de la Mauritanie et au Burkina Faso, étendant leurs exactions jusqu’aux pays du golfe de Guinée, voilà encore une autre partie de sa crédibilité que joue le gouvernement mauritanien...
Dalay Lam