L'année qui vient de s'écouler a été décisive dans la bande du Sahel, qui a de plus en plus sombré dans le marasme politique et sécuritaire. Deux tendances lourdes de conséquences se sont manifestées dans cette région: la résurgence des coups d'État militaires et le désengagement des puissances mondiales qui étaient auparavant intervenues dans les conflits armés locaux.
Le Mali et le Burkina Faso se sont enlisés dans la tourmente politique et les aléas des transitions chaotiques. Les régimes militaires en place peinent à affronter les deux défis cruciaux du dialogue national inclusif et de la lutte contre les mouvements radicaux armés.
Au Tchad, l'initiative de dialogue national a accouché d'un compromis fragile qui ne conduira probablement à aucune issue aux problèmes internes complexes engendrés par la disparition subite du général Idriss Déby. Le cercle s'est élargi aux confins de la région: en Guinée, où les militaires qui ont renversé le président élu Alpha Condé ont échoué dans le processus de transition démocratique, mais aussi au Mali, en Gambie et en Guinée-Bissau, où les tentatives de prise de pouvoir par les armes refont surface.
Le Soudan et la Libye, qui sont la base arrière de la bande du Sahel, s'empêtrent dans leurs problèmes intérieurs. Il y a lieu de mentionner ici que les pays du Sahel sont en train de passer de régimes militaires classiques dirigés par les chefs de l'institution armée au modèle de pouvoir prétorien des milices et des unités spéciales, dont le rôle s'est accru dans le cadre des guerres civiles et de la lutte contre le terrorisme violent. Dans ces pays, l'institution militaire, à l'image des autres institutions étatiques, s'est effondrée, et devient inapte à remplir son rôle régalien traditionnel, sous la conduite d'une autorité légitime et souveraine.
Privatisation de la violence
Deux phénomènes concomitants ont vu le jour dans ce contexte: la percée des groupes d'autodéfense communautaires constitués par les gouvernements locaux et les opérateurs armés étrangers, à l'instar de l'organisation paramilitaire russe, le groupe Wagner, omniprésente au Mali. Ces deux phénomènes traduisent le schéma graduel de privatisation de la violence qui est le contraire de la jonction de monopolisation de la violence légitime servant de base de légalité pour l'État moderne.
Face à ce péril sécuritaire, et en l'absence de partenaire fiable au sommet du pouvoir, les forces politiques organisées se sont embrouillées dans les méandres des transitions critiques. Après deux décennies de déboires des démocraties civiles corrompues et boiteuses, les voies d'alternance pacifique et apaisée au Sahel apparaissent sombres et délicates. La région, qui a attisé au cours des années précédentes l'intérêt de la communauté internationale, est en train d'être boudée par ses partenaires étrangers.
Après le retrait français du Mali entamé en août dernier, l'initiative européenne Task Force Takuba est dans l'impasse et la Minusma (la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali) devient inopérante. Tout le dispositif international mis en place pour la stabilisation sécuritaire au Sahel a ainsi fait long feu.
Le danger commence même à s'étendre à l'ensemble des pays du golfe de Guinée, qui sont actuellement en proie aux attaques récurrentes des mouvements radicaux violents. Après le Nigeria, dont le Nord est souvent envahi par le groupe terroriste BokoHaram, l’incendie s’est étendu au Cameroun, au Bénin et à la Côte d'ivoire et risque d'embraser toute l'Afrique centrale. La région du Maghreb, dont le sort est organiquement lié à celui de la bande du Sahel, ressent fort la crise politique et sécuritaire sahélienne qui a un impact évident sur le contexte géopolitique nord-africain.
Avec la recrudescence des sentiments antifrançais au sein des élites sahéliennes et l'essoufflement de la présence européenne dans la région, les juntes au pouvoir dans les pays sahéliens multiplient les offensives de charme vis-à-vis de la Russie et la Chine, deux puissances non occidentales présumées être plus disposées à s'accommoder des autoritarismes militaires, et plus efficaces dans la confrontation des mouvements séparatistes et des groupes radicaux violents. Ce changement en cours du paradigme géopolitique affectera à coup sûr tout le contexte africain.
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Seyid Ould Bah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.
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