Il y a l’avant et l’après Mohammed. Comparer ces deux époques, c’est comparer les ténèbres et la lumière. La vertu et le vice. La vérité et le mensonge. La morale et l’immoralité. En somme, c’est comparer des situations antinomiques.
Dans la période préislamique, les Arabes vivaient dans la Jahiliya. En l’absence de tout interdit qui différencie le bien du mal, les hommes donnaient libre cours à leurs désirs et étaient guidés par leurs seuls instincts. La frontière entre l’animalité et l’humanité était, c’est le moins que l’on puisse dire, fort élastique. Dieu n’avait pas de place dans la société. Avant l’Islam, le monothéisme (judaïsme et christianisme) – à l’exception de cas isolés– n’a jamais véritablement pris pied en Arabie. Certains arabes, peu nombreux dont le prophète, sont restés de façon innée des Hanafis, c’est-à-dire des fidèles à la religion d’Abraham et n’ont jamais adoré d’idoles.
Avant l’Islam, les arabes vivaient donc dans cette Jahiliya que les musulmans ont appelé l’ère de l’ignorance et de l’obscurantisme. Il n’y avait pas d’échelle de valeurs et le polythéisme était la pratique courante. On adorait les idoles. Des statues étaient entreposées à l’intérieur de la Kaâba. Quelques centaines d’idoles étaient également alignées à l’extérieur dans l’enceinte de la Maison d’Allah. Pire, chaque tribu avait même ses propres divinités coutumières. La tradition rapporte un cas ubuesque : la tribu des Banou Halifax adorait une statue faite de farine et de dattes qu’ils mangeaient en période de disette.
D’autres tribus confectionnaient des idoles au pied desquelles on présentait des offrandes que les chacals venaient dévorer la nuit avant de pisser sur leur socle. Ce qui inspira les célèbres vers du poète arabe stigmatisant de telles divinités : "Une divinité sur laquelle pissent les chacals ? Avili soit celui sur qui pissent les chacals."
Deux agissements du calife Omar – avant l’Islam – l’un comique, l’autre tragique, résument bien l’esprit de cette période de la Jahiliya. Il préparait pour ses voyages une idole sous forme de statuette en dattes. A l’occasion, il se prosternait devant cette idole pour invoquer sa bénédiction et quand il avait faim, il en mangeait un peu.
Le second agissement est tragique. Alors qu’il creusait une tombe pour y enterrer vivante sa fille – une pratique courante –, celle-ci d’un geste affectueux enleva la terre de sa barbe.
C’est dire que la déliquescence des valeurs morales était générale. Les filles étaient enterrées vivantes. Le meurtre, la débauche, la prostitution, les mariages incestueux, l’injustice avaient libre cours. Tout était permis et il n’y avait pratiquement pas de frontières entre le bien et le mal. La raison du plus fort prévalait. La seule protection était celle du clan ou de la tribu sur fond d’alliances et de contre alliances qui se faisaient et se défaisaient au gré des multiples incidents inter tribaux. Pendant que les arabes se complaisaient dans ce contexte permissif exempt de tout référent moral, que le vin coulait à flots et qu’ils rivalisaient de poèmes dédiés aux notables tribaux ou au courage, à l’intrépidité et aux hauts faits d’armes de leurs cavaliers, personne ne se doutait qu’un événement allait survenir pour bouleverser leur vie et changer la face du monde. Cet événement, on l’aura deviné, c’est la naissance, à la Mecque, du Prophète Mohammed.
La naissance du Prophète
Mohammed (PSL) naquit en l’an 570 de l’ère chrétienne. Cette date de la naissance du Prophète fait la quasi-unanimité des biographies du Messager d’Allah aussi bien musulmans qu’occidentaux. Cela n’a pas empêché pourtant une poignée d’intellectuels essentiellement européens connus pour leur hostilité viscérale à l’Islam de chercher à créer une controverse à ce sujet. Leur objectif est d’essayer de jeter le trouble et la confusion dans les esprits en créant « un doute » quant à l’historicité de l’Islam et du Prophète.
Heureusement, la Providence a voulu qu’il y eût un repère indiscutable pour fixer la date de la naissance du Prophète. Cette date est restée dans la mémoire de tous les arabes, avec au premier chef les mecquois. Car cette année où le Messager d’Allah est venu au monde, le Vice-roi abyssin du Yémen, Abraha, à la tête d’une imposante armée avec un gigantesque éléphant en tête, marcha sur la Mecque pour détruire la Kaâba, autrement dit la maison de Dieu. Cela se passa en l’an 570, de l’ère chrétienne. Le Vice-roi du Yémen – le Yémen était à l’époque occupé par l’Abyssinie chrétienne – représentait le Négus, c’est-à-dire l’empereur. Abraha bâtit à Sanâa une somptueuse cathédrale à la gloire du Négus avec le marbre retiré des ruines d’un palais de la Reine de Saba, de l’or, de l’argent, de l’ivoire, de l’ébène et autres matériaux précieux. Abraha voulait substituer à la Kaâba cette cathédrale comme lieu de pèlerinage des arabes qui étaient dans leur écrasante majorité des polythéistes. A la suite d’un incident isolé – un arabe, par défi, a souillé cette église –, le Vice-roi du Yémen décida, en représailles, de détruire la Kaâba et d’évangéliser les arabes.
Les arabes avant l’Islam avaient l’habitude de commencer à compter après la survenue d’un événement marquant jusqu’à ce qu’un autre événement d’une ampleur identique intervienne comme par exemple la reconstruction de la Kaâba.
Tous les chroniqueurs sont, une fois de plus, unanimes pour souligner la concomitance des deux événements : la date de la naissance du Prophète et l'expédition d'Abraha à la Mecque en 570 de l'ère chrétienne. Un troisième évènement est intervenu la même année : il s'agit de la mort d'Abdallah, le père du Prophète quelques semaines seulement avant la naissance de Mohammed. Envoyé par son père à la tête d'une caravane à Yethrib pour chercher une provision de dattes, Abdallah mourut dans cette cité, la future Médine. A sa naissance, c'est donc son grand père qui le baptisa du nom Mohammed. Un nom inusité chez les arabes. Abdelmotalib pressentait un grand dessein pour son fils. Abdelmotalib exerçait la charge de distributeur des vivres et d'hôte des pèlerins de la Mecque.
Les premiers signes de la prophétie
Après la mort d'Abdelmotalib, son fils Abou Taleb, devenu chef des Beni Hachem prit sous sa protection son neveu, le jeune Mohammed. Il l'aimait autant, sinon plus, que ses propres enfants dont Ali (le futur calife) qui deviendra, plus tard, le gendre du Prophète en épousant sa fille Fatima Zahra.
Abou Taleb avait une nombreuse progéniture. Pour alléger les charges familiales, Mohammed travaillait de temps à autre, comme berger. Ces nombreuses journées passées dans la solitude à garder les chèvres et les moutons l'initieront à la méditation.
La Mecque étant un carrefour commercial incontournable, Mohammed prit goût au commerce caravanier. Une fois, il supplia, en pleurs, son oncle Abou Taleb de l'emmener avec lui en Syrie. Compte tenu du jeune âge de son neveu – douze ans selon certains biographes – l'oncle refusa d'abord. Puis il finit par accepter et Mohammed fit partie du voyage. La caravane s'arrêta dans une station-relais habitée par un moine chrétien (nestorien) du nom de Bahira. Ce prêtre connaissait bien les Ecritures saintes. Son monastère abrite une imposante bibliothèque avec de rares et précieux manuscrits religieux. Le monastère de Bahira est bâti sur une élévation. Une espèce de promontoire qui permet à l'ermite de contempler les environs à perte de vue. Il observait depuis quelque temps déjà le mouvement de la caravane koraïchite.
Annoncée déjà dans les Livres saints, la rumeur circulait sur l'imminence de la venue d'un nouveau prophète. Intuitivement, Bahira observa deux faits bizarres qui lui permirent de faire tout de suite la relation entre le prophète annoncé et la caravane. Il constata d'abord qu'un petit nuage très bas se déplaçait à l'allure de la caravane et ombrageait en permanence une ou deux personnes. Quand la caravane s'arrête, le nuage s'arrête aussi au-dessus de ces deux personnes faisant constamment écran contre les rayons du soleil. Puis Bahira constata un deuxième fait tout aussi surprenant : quand les caravaniers marquèrent une pause en s'abritant sous un arbre, celui-ci abaissa ses branches pour ombrager davantage les deux voyageurs.
Le prophète et le moine
Stupéfait par ce qu'il a vu, Bahira rassembla toutes ses provisions puis vint au-devant de la caravane et demanda aux marchands koraïchites de partager avec lui un repas qu'il a préparé à leur honneur. Ils se rendirent alors au monastère laissant Mohammed sur place pour garder les bagages et les chameaux. Bahira demanda à ses invités s'ils sont tous là. Ils répondirent qu'ils sont tous là sauf un gamin qui est resté auprès des bagages. Bahira insista pour le faire venir. Il voulait que tout le monde prenne part au festin. En réalité, il voulait voir tout le monde pour s'assurer de la véracité de son intuition. Il connaît la description, à travers les Ecritures saintes, du paraclet, le prophète attendu. Dès qu'il l'aperçut, Bahira fut convaincu qu'il s'agit bien du Prophète annoncé. Mais il voulait en avoir la certitude absolue en vérifiant un point précis. Après le repas, il demanda à Mohammed s'il pouvait lui montrer son dos. Mohammed enleva son manteau et Bahira vit tout de suite ce qu'il cherchait : une marque entre les épaules, une excroissance à un endroit précis : le sceau de la prophétie tel que décrit dans les Ecritures saintes. Bahira demanda à Abou Taleb son lien de parenté avec Mohammed. C'est mon fils, répondit le chef koraïchite. Impossible dit le moine. Le père de ce garçon ne peut être encore en vie. C'est mon neveu, finit par reconnaître Abou Taleb. Bahira lui dit : ce garçon est promis à un grand dessein. Je vous conseille de le ramener parmi les siens et de veiller sur lui. Puis, il ajoute : faites bien attention : Si les juifs apprennent ce que je sais, ils chercheront par tous les moyens à le tuer.
De retour à la Mecque, Mohammed continuait à s'intéresser au commerce caravanier. Alors qu'il n'avait encore que dix neuf ans, il se voyait même confier la mission de conduire plusieurs caravanes. Son sérieux, sa probité et sa compétence en faisaient une référence en la matière.
Un mariage béni
Une riche veuve de l'oligarchie mecquoise, du nom de Khadija, voulut s'attacher ses services. Khadija était une cousine éloignée des Beni Hachem. Elle proposa à Mohammed de devenir son fondé de pouvoir moyennant une importante rémunération. Mohammed devait s'occuper en son lieu et place de ses transactions commerciales avec la Syrie. Elle lui donna comme assistant un jeune serviteur du nom de Meysara.
En route pour la Syrie, la caravane fit halte à la célèbre station-relais de Boustra, à proximité d'un monastère dans le sud de la Syrie. Pendant qu’il se reposait sous un arbre, Meysara discutait, plus loin, avec Nestor, le moine chrétien qui habitait les lieux. Nestor dit à Meysara de lui parler de l'homme sous l'arbre. Le jeune esclave lui dit tout ce qu'il savait sur Mohammed. Non, dit Nestor, l'homme qui est sous l'arbre est un prophète…Quinze ans plus tôt le moine Bahira avait tenu les mêmes propos sur Mohammed. Bahira est-il mort et a-t-il été remplacé par Nestor ? En tous cas, la quasi-totalité des biographes du Prophète sont unanimes pour dire qu'il s'agit du même monastère. Hier occupé par Bahira et aujourd'hui par Nestor.
De retour à la Mecque, Mohammed vint trouver Khadija et lui fit un compte rendu détaillé de toutes les transactions commerciales qu'il a faites. Celles-ci étaient excellentes et les bénéfices engrangés furent importants. Après le départ de Mohammed, Khadija eut droit à un deuxième compte rendu, celui de son serviteur Meysara. Il vanta les mérites et les qualités morales de Mohammed et lui rapporta les propos que le moine Nestor a tenus sur lui. Puis, il dit qu'il n'a jamais fait un voyage en Syrie plus agréable, et qu'à aucun moment ils n'ont souffert de la chaleur car un nuage les ombrageait en permanence et les protégeait ainsi des rayons du soleil. Khadija était conquise par le sérieux et la beauté de Mohammed. Elle lui fit comprendre par la suite qu'au cas où il serait intéressé, elle serait disposée à l'épouser. Mohammed accepta et le mariage fut célébré. Mohammed avait vingt cinq ans et Khadija quarante. Mohammed n'a jamais adoré les idoles. Il était par tempérament réfractaire aux us et coutumes de la Jahiliya, la période préIslamique. Discret, presque introverti, il donnait l'impression de vivre dans un monde parallèle. Il appartenait à une minorité de Hounefa qui croient en un Dieu unique, comme leur ancêtre Abraham. Mohammed se retirait régulièrement – comme plusieurs mecquois – pour des périodes de retraite dans les cavernes des montagnes pour méditer et prier. Il se retirait ainsi au Mont Hiraà quelque cinq kilomètres de La Mecque.
'’Conformément à cette coutume ancestrale, Muhammed emportait avec lui quelques provisions et consacrait plusieurs nuits à l'adoration de Dieu. Puis il s'en retournait parmi les siens (…)".
C'est précisément lors d'une de ses retraites épisodiques dans la caverne de Hira que le Prophète recevra la Révélation. Un événement qui allait changer le cours de l'histoire de l'humanité.