La République Islamique de Mauritanie (RIM) a décrété 2015 année de l’enseignement. C’est le Président lui-même qui l’a annoncé. Un véritable travail d’Hercule, pour assainir ces écuries d’Augias que constituent les établissements de tous les ordres de l’enseignement. En une seule année, s’il vous plaît. Preuve que le Président et ses conseillers ne savent rien de la forte déliquescence où décrépit le système éducatif mauritanien, depuis, au moins, deux à trois décennies. L’ampleur de la tâche est si grande, vous diront les professionnels, que c’est à peine si une décennie de travaux et de réflexions soutenues arriverait à mettre un peu d’ordre, dans cette innommable cacophonie où se meuvent, à tort et à travers, plus d’une vingtaine de mille des effectifs de la Fonction publique. En Mauritanie, les problèmes de l’éducation touchent tous les domaines. A commencer par la gestion du personnel, complètement déstructurée, objet de toutes les fantaisies et combines. La direction des ressources humaines use et abuse des instituteurs et des professeurs, au gré de la camaraderie, des affinités politiques et des ordres en provenance des « en-haut » civils et militaires. Et, malgré la mesure de restitution des enseignants du fondamental et du secondaire, si souvent détachés en d’autres départements que leur ministère de tutelle, des centaines voire plus restent encore hors-circuit, se complaisant à toutes sortes d’activités sans aucun rapport avec l’éducation. Des activités parfois complètement rébarbatives et déshonorantes pour la fonction. La gestion des carrières est tributaire de toutes sortes de débilités, liées à des considérations de tribu, communauté, copinage, politique, région, influence de personne proche des cercles du pouvoir ou autres. Voilà comment des instituteurs à la veille de la retraite somnolent encore, complètement amortis, dans les classes, alors que leurs jeunes collègues sont nommés à des postes de responsabilité centrale, notamment comme directeurs ou conseillers omnipotents.
La formation initiale laisse à désirer. Au sein de la seule Ecole normale supérieure du pays, dont la mission est de former à la base ou de recycler des professeurs et des inspecteurs de l’enseignement fondamental, un staff, composé de formateurs, parfois engagés complaisamment, essaie, vaille que vaille, d’encadrer ces études, sur base de copiés-collés. De leur côté, les deux Ecoles normales d’instituteurs (Aïoun et Nouakchott) essaient de colmater les brèches, en s’efforçant, tant que peut se faire, de doter leurs élèves-maîtres des connaissances requises, pour affronter les multiples difficultés pédagogiques du terrain. Les régulières formations continues, déclamées en séminaires linguistiques, ateliers de formation et autres, ne servent, généralement pas, à grand-chose, tant prévalent l’improvisation et le clientélisme, dans les choix des formés et des formateurs. Les contenus et thématiques de ces sessions n’ont parfois rien à voir ni avec le profil des bénéficiaires ni avec leurs besoins pédagogiques. Des conditions de travail déplorables et décourageantes. Moralement et financièrement, les professeurs et les instituteurs sont les moins nantis. En cela, leurs encadreurs, principalement les inspecteurs du fondamental et du secondaire, n’ont rien de plus qu’eux. Et ce ne sont pas les minables primes de craie de 20 000 UM/mois, pour les instituteurs, ou les 15.000 UM/mois de prime d’encadrement, pour les inspecteurs, qui sont de nature à améliorer leurs conditions de travail. Quand, après trente-cinq ans de service, un professeur touche à peine 140.000 UM et qu’un vieil instituteur de trente-deux ans de service plafonne à 120.000, il est clair que les performances ne seront que ce qu’elles sont : nulles et sans impact. Surtout quand, à côté, un chauffeur d’une société comme la MCM, à titre d’exemple, touche aux environs de 300.000 UM.
La mauvaise gestion des ressources du ministère est patente. En cela, l’exemple des minables budgets de fonctionnement des établissements scolaires est éloquent. Un fournisseur, connu de tous les responsables du département, instituteur en abandon de poste, de surcroît, se permet de donner des miettes à chaque directeur, en guise de budget de fonctionnement, en lui faisant comprendre que c’est une question de parts : celle d’un tel responsable et d’un tel ou encore d’un tel. Juste quelques billets, donnés à l’envers de la main, sans documents ni paraphe. Une magouille, organisée comme un secret de Polichinelle, qui permet, chaque année, de dilapider indûment des centaines de millions avec la complicité de vastes réseaux de protégés et de proches de personnalités influentes. Du coup, le manque de moyens devient évident. Comment faire, de l’an 2015, une année de l’enseignement, alors qu’à titre d’exemple, aucune des cinquante-quatre inspections départementales ne dispose du moindre véhicule de service ? Celles des directions régionales sont, généralement, des tacots dont les vrombissements renseignent sur l’état de dégradation avancée. Mais, dans sa dernière réunion avec les responsables de son secteur, le ministre de l’Education a déclaré que les moyens existent. Alors, qu’attend-on pour les déployer, en cette année de l’enseignement ? Ces moyens doivent servir, au moins, à doter les trois directions régionales de Nouakchott et ses neuf inspections départementales d’au moins une voiture de service. C’est la plus faible foi. Les déclarations d’intention et les vœux pieux ne servent à rien. La parole nécessite l’action et celle-ci vaut par elle-même. Prions que l’an 2015, année de l’enseignement, ne soit pas qu’un slogan de plus. Pour cela, il faut d’abord commencer par des actes forts. La parole, il y en a eu assez, à ce jour. Bonne année de l’enseignement !
Sneïba El Kory