Hamady Silèye Gadio, un des tout derniers vétérans de la deuxième guerre mondiale (1939/1945), a tiré sa révérence. Il a été rappelé à Allah Le Tout-Puissant le lundi 7 Novembre 2022 à 11h du matin à l’âge de cent un ans. « Et pourtant qui d’entre nous se souvient encore aujourd’hui des noms, de leurs visages ? » Interrogative, cette phrase sonnant comme un coup de gueule contre la mémoire défaillante du peuple français, est celle d’un président de sa République, ancienne puissance coloniale de plusieurs pays. Un extrait du discours prononcé par Emmanuel Macron en Juin 2019, à l’occasion de la célébration du 75ème anniversaire du débarquement allié en Normandie.
Un des plus importants de l’histoire de la France, cet évènement sonna la défaite de l’Allemagne nazie et la libération du territoire de l’Hexagone, au cours de laquelle « des identités, des noms et des visages originaires du continent africain » jouèrent une partition inoubliable. Des milliers d’hommes venus de loin, aux origines multicolores, avec des destinées différentes, mais tous en commun d’avoir donné leur vie pour la libération d’une terre dont les gouvernants ne les considéraient pas tous en citoyens (la loi-cadre étant une conséquence de la guerre). Hamady Silèye Gadio était un des valeureux militaires parmi ces soldats engagés sur les nombreux fronts de ces terres froides, bien loin de la chaleur de son Afrique natale.
Hamady était né en 1921, à Rindiao dans la banlieue-Ouest de Kaédi. Au moment de sa mobilisation dans l’armée française le 21 Février 1942, section tirailleurs sénégalais, il vivait avec ses parents à Ndiaffane Sorokoum, un village sur la rive du fleuve, à une dizaine de kilomètres à l’Ouest de Kaédi, sur le territoire de l’actuelle République du Sénégal. Sa famille était propriétaire de nombreuses terres walo et diéri sur les deux rives du fleuve et se consacrait naturellement à l’agriculture et à la pêche, conformément à l’économie de la vallée, traversant le fleuve au gré des exigences climatiques et saisonnières. Hamady Silèye tout court. Sans le Gadio : ce nom résulta de la transcription approximative de l’officier français au moment « fatidique » de l’enrôlement, cet instant que les populations du Fouta assimilaient au point de départ d’un destin funeste, une espèce d’enchaînement presque fatal vers la mort.
Combats épiques
Mobilisé le 22 Novembre 1942 à Matam, il fut d’abord conduit à Saint-Louis puis à Dakar. Dans son carnet militaire, ou plutôt ce qu’il en reste après la rude bataille contre le temps, on retrouve encore des renseignements sur les unités au sein desquelles il a servi (RTS, 7ème compagnie, 3èmecompagnie, 5èmecompagnie…), sous le matricule 90.752. Très ouvert d’esprit et d’un commerce facile, le vieux militaire appréciait les échanges avec son entourage, y compris les plus jeunes. Cela a permis à ses enfants et petits-enfants de connaître une partie de son histoire entre l’Afrique et l’Europe, un périple digne d’une odyssée.
Embarqués en bateau à Dakar, Hamady Gadio et ses compagnons firent cap sur Casablanca (Maroc). Puis il prit un train à destination du port de Bizerte en Tunisie, en passant par plusieurs villes dont il garda le souvenir des noms de certaines comme Meknès (Maroc). De Bizerte, il monte encore en bateau pour Naples le 22 Juin 1944. Le navire à bord duquel voyage Hamady Gadio et ses compagnons est attaqué par la marine allemande provoquant la mort de plusieurs d’entre eux. Les survivants ne doivent leur salut qu’à un haut fait de guerre : réussir l’exploit de nager jusqu’à la côte.
De Naples, notre héros est conduit à Rome. Puis il participe à une intervention à Marseille et au fameux débarquement de Toulon en Provence. Un théâtre d’opérations témoin de combats épiques qui restent gravés dans le marbre de la population française et des armées, avec l’épilogue de la victoire contre les troupes nazies. Après Toulon, le jeune Gadio participe à des campagnes menées en d’autres endroits du territoire français mais aussi en Allemagne. Il fut légèrement blessé et hospitalisé au cours de ces différents combats. Dans ses récits autour d’un thé durant les longues nuits de Kaédi, Hamady Gadio évoquait régulièrement la beauté de la ville de Strasbourg, la capitale de l’Alsace.
Africain dans toutes les dimensions de sa personnalité, le militaire décédé le 7 Novembre 2022 accordait une place essentielle à la spiritualité, notamment en ses aspects magiques. Durant toute la guerre, il porta ainsi en permanence sur lui une amulette protectrice, œuvre de Thierno Docke, son oncle et grand érudit de l’époque. Le grand marabout lui avait promis son retour sur le sol de ses ancêtres. Hamady Gadio fut effectivement démobilisé le 14 Novembre 1945 à Saint-Louis du Sénégal, contre une prime de mille francs.
Il se rend alors à Rindiao puis revient rapidement à Dakar pour chercher du travail, perspective facilitée par des états de services impeccables qui lui permettent de trouver un emploi dans une unité industrielle produisant de l’huile de cuisine (Lesieur Afrique). Un épisode de courte durée suivi d’un retour au village pour un mariage avec sa cousine, Ramata Samba M’Baye, dont la main lui est accordée à condition qu’il renonce définitivement à porter l’uniforme (une exigence de sa belle-mère). Une parole qu’il a honorée, en refusant plusieurs offres d’enrôlement dans la gendarmerie, la police ou la garde.
Le vieux guerrier est retourné au ciel en laissant derrière lui six garçons et quatre filles, plusieurs petits enfants et arrières petits-enfants.
En 2004, Hamady Silèye Gadiofut invité par le gouvernement français à la célébration du 60ème anniversaire du débarquement en Provence et décoré de la croix de chevalier de la Légion d’honneur par le président de la République française, en compagnie de plusieurs anciens tirailleurs sénégalais et combattants maghrébins. Il avait acquis le statut de « patrimoine humain vivant »de la ville de Kaédi, des villages de Rindiao et de tout le Hirnangué Bosséa. Grâce à sa générosité légendaire, sa maison située au quartier Moderne a servi de centre d’accueil à plusieurs générations de jeunes que les exigences des études au lycée amenaient à rallier Kaédi.
Il a été inhumé au cimetière de Kaédi, à côté de son père Silèye Gadio, ses quatre filles, plusieurs de ses petits-enfants et arrière-petits-enfants, par une immense foule venue de la ville et de tous les villages environnants. Un public dont le nombre élevé rendait impossible le franchissement du portail, obligeant beaucoup de ceux venus lui rendre un dernier hommage à accomplir la prière rituelle hors des murs du cimetière. Que la terre de Kaédi à laquelle il vouait un amour infini lui soit légère !
Amadou Seck