Tous les analystes économiques sont unanimes à reconnaître que la dégringolade des cours du brut s'inscrirait dans une perspective de moyen-long terme, compte-tenu de la conjoncture économique relativement difficile de ses plus gros consommateurs mondiaux. Cette tendance ira, vraisemblablement, crescendo pour l'année 2015 et verra, de nouveau, les courbes de production dépasser, largement, celle de la consommation, ce qui se devrait se traduire par un excédent des stocks de brut, sur les marchés pétroliers, qui ferait davantage fléchir les prix, la demande restant en régression constante. Cette baisse des cours est favorisée par un certain nombre de facteurs très faciles à identifier.
En un, une offre excédentaire, qui inonde le marché et que le cartel de l'OPEP n'est plus en mesure de réguler ou de contrôler, agit, par conséquent, sur les prix, lesquels ne cessent de glisser, au fur et à mesure que les technologies de fracturation hydraulique prennent de l'ampleur, aux USA. En deux, le ralentissement brusque de la production industrielle chinoise s'est traduit par un faible taux de progression, autour de 7,8%, contre 9%, une année plus tôt. Ce ralentissement n'a jamais été aussi conséquent, depuis la crise de fin 2008. En trois, les nouvelles normes imposées, aux constructeurs automobiles, en vue de limiter la consommation de carburant et la fermeture des usines pétrochimique, aux USA, très consommatrices en énergies fossiles, réduisent d'autant la demande et la consommation de carburant, dans ce marché gigantesque.
Dans ce contexte de fléchissement des cours, corroboré par une baisse de l'activité économique dans les économies des plus gros consommateurs de brut (Europe, Chine, Brésil), les plus optimistes parlent de chutes vertigineuses des prix qui pourraient frôler la barre symbolique de trente dollars US le baril (courant 2015). Pour s'en rendre compte, il suffit, tout simplement, de retracer l'historique de la glissade des prix depuis juin 2014. En moins de six mois, précisément entre le 8 juin et le 31 décembre 2014, les cours du brut ont glissé de 111 à 47,93 dollar le baril, soit une baisse, en valeur absolue, de 57.34%. En jargon plus clair, il ne s'agit, ni plus ni moins, que d'un effondrement total des cours de cette matière première sur le marché mondial, dont les conséquences entraîneront des effets, variés, sur les économies des pays à grande facture énergétique et ceux producteurs-exportateurs.
Qu'en est-il dans notre pays ?
D'une facture énergétique dérisoire, par rapport aux autres pays de la sous-région, sa population étant tout autant en infériorité numérique que ses entreprises industrielles, la Mauritanie se tient, délibérément, à l'écart de cette évolution et les décideurs de ce pays, alliés qu'ils sont aux lobbies des opérateurs/fournisseurs d’hydrocarbures, restent, à la surprise générale, de marbre, insensibles, qui plus est, à ce contexte qui évolue très vite et fait réagir, non seulement, les industriels, les financiers et les économistes mais, aussi, les décideurs politiques du Monde entier. La réaction mauritanienne se fait, elle, toujours attendre. Cette passivité irritante de notre sphère politico-financière à l'égard de cette dégringolade, sans précédent, des prix des hydrocarbures sur le marché mondial peut clairement s'expliquer. Par deux facteurs.
Tout d’abord, Une volonté, non dite, de la part de l'État, de saisir cette opportunité pour réduire la subvention des hydrocarbures, dans un double objectif : compenser le manque à gagner et augmenter les ressources budgétaires de l'État (c'est selon), ce qui est, en soi, très louable, dans la mesure où ces nouvelles ressources, générées à la faveur de la baisse, pourraient être utilisées dans des actions d'investissement public. Il faut, néanmoins, souligner que cette volonté de réduction de la subvention ne pourrait, en aucun cas, être considérée comme en parfaite harmonie avec les attentes et priorités des masses, très lassées de ce statu quo et à bout de souffle. Elle ne cadre surtout pas avec les impératifs d'une amélioration des conditions d’existence de la population mauritanienne, dans le contexte de paupérisation massive, caractérisée par une dégradation du pouvoir d'achat et une misère qui frappe plus des trois quarts des ménages mauritaniens, sinon plus.
Secondement, une convergence d'intérêts, entre la sphère politico-financière et divers lobbies financiers sans scrupule ni conscience mais de connivence avec les gros opérateurs et fournisseurs d'hydrocarbures. Ces derniers, comme on peut le deviner facilement, n'ont, dans leur viseur, que leurs intérêts immédiats, au détriment des ceux des ménages mauritaniens. Le conflit d'intérêts peut être une clé d'explication de cet immobilisme et de ce manque de réaction des autorités de ce pays, confrontées à un dilemme cornélien : soit agir promptement, pour ajuster les prix du brut au niveau local, en affranchissant ainsi les ménages d'une dure étreinte, soit s'aligner sur la position des lobbies, pour leur permettre de se faire plus de blé, au détriment de l'intérêt collectif. C'est une hypothèse à laquelle je serais toujours attaché, dans la mesure où la baisse des cours du brut n'est plus une question de fluctuation provisoire ou ponctuelle des prix sur le marché, mais une tendance à la baisse, constatée sur une durée qu'on peut qualifier de moyen terme (plus de sept mois). Les prévisions des analystes, pour l'année 2015, versent dans ce sens. Autant dire que l'adaptation des prix des bruts aux capacités financières des ménages mauritaniens pauvres s'impose plus que jamais. Cette adaptation est d'autant plus impérieuse que la misère galope, les conditions de vie se dégradent et les espoirs d'une embellie économique s'amenuisent de plus en plus, ainsi que le plein emploi.
Sommes-nous donc l'exception, dans un monde où les consommateurs ont droit à un répit, soufflent, de temps en temps, et bénéficient des règles de jeu consacrées par l'économie de marché ? Nos décideurs sont-ils conscients qu'une réduction, aussi infime soit-elle, des prix de gasoil à la pompe profitent aussi bien aux riches entrepreneurs et aux industriels qu'aux ménages moyens et pauvres, au regard des multiples conséquences positives de cette baisse sur les coûts de la production des biens et des services et, par conséquent, sur la diminution substantielle des prix d'achat et de transport ? Tout le monde s'y retrouve, y compris les laissés-pour-compte. N'avons-nous pas droit à adapter les mécanismes de régulation des prix à nos priorités et à nos objectifs de lutte contre l'insécurité alimentaire, quitte à sacrifier quelques intérêts, étroits et égoïstes, des lobbies protégés du système ? Le ménage mauritanien n'a-t-il pas la primauté sur toute autre considération ? Autant de questions que nous continuerons à nous poser et à poser à nos décideurs, pour interpeller l'opinion publique, sur cette passivité et cet immobilisme constant, comme si nous vivions sur une autre planète autre que la Terre. On est tenté de le dire ainsi, tant nous sommes différents des autres, par cette indifférence (Ellamobalat) « caractérielle » de l'individu mauritanien…
Les pays voisins se sont vite rendus compte de l'importance capitale de cette opportunité inattendue, pour desserrer l'étreinte et alléger le fardeau des ménages de la classe moyenne, en vue de relancer la consommation et d'améliorer les conditions d’existence. Il est grand temps que notre sphère politique intervienne, se démarque des intérêts individuels des lobbies et se positionne, clairement, par une réduction conséquente des prix de cette matière, vitale pour l'économie et les citoyens de ce pays. Dans le cas contraire, il est probable que les enjeux financiers des lobbies alliés du système, de très loin plus prépondérants que ceux des citoyens, prennent le dessus et renvoient, aux calendes grecques, toute tentative dans ce sens. Mais la note, pas moins salée, n’attendra certainement pas, elle, de telles lointaines échéances pour être présentée...
Seyid Mohamed Vadel