Tout à la fois homme du passé, homme du présent et homme du futur, Sidi ould Ahmed Deya est un cas dont il est difficile de dresser le portrait. À 76 ans, celui qui a résisté « contre vents et marées » aux bassesses de l’anti-culture qui a envahi notre pays depuis 1978 a prouvé par les mots qu’il peut se regarder en face. Peu connu du grand public, à la fois ancré dans des valeurs traditionnelles qui ont contribué à mettre en évidence son attachement à ses origines mais aussi fortement imprégné par la culture moderne qui « consacre la compétence » chez certains hommes, Sidi restera sans doute l’un des rares cadres de ce pays qui auront su séduire tout autant la classe politique que son homologue administrative.
Acquis en 1972, son bac n’est pas encore plastifié que voilà deux ans plus tard le jeune homme inspecteur des impôts. En 1978, ce sont les portes de l’École Nationale d’Administration (ENA) qui s’ouvrent grandes, devant sa réussite au concours d’entrée dans cette prestigieuse école de l’époque. À peine sorti de l’ENA, le voici gouverneur de la wilaya de l’Assaba, à 208 kilomètres seulement de sa ville natale Eeyoune El Megu’vé. Nous sommes en 1981. Cette année-là, il est choisi pour mettre de l’ordre dans le désordre fou qui se faisait sentir à la présidence de la République. Il restera secrétaire général de celle-ci durant toute une année.
Quand la compétence s’assimile à la modestie
Le plus grand succès s’en suit : ministre des Finances de 1982 à 1984, un poste augmenté, en 1983, de celui du Commerce. Contrôleur financier en 1987, il devient secrétaire général de l’OMVS de 1988 à 1989, puis directeur général de la SONADER de 1989 à 1990, avant d’être catapulté inspecteur d’État de 2007 à 2009.Ce responsable dont le mandat en chacune de ses fonctions n’aura généralement jamais dépassé plus d’un an est un fonctionnaire hors pair. Un vrai commis de l’État moulé dans un sarcophage qui l’a toujours protégé des détournements, de la mauvaise gestion et, surtout, de la malhonnêteté intellectuelle si caractéristiques de certains cadres sitôt promus à la moindre responsabilité.
Né une année seulement après le rattachement des deux Hodhs du Soudan français à la Mauritanie naissante, Sidi ould Ahmed Deya fréquenta cette école mauritanienne avant qu’elle ne soit spoliée par les divergences, les contradictions et les batailles politiques. Celui qui se faisait tabasser à tout bout de champ par la Garde républicaine d’Ould Daddah pour ses positions tranchant fermement avec l’injustice et la discrimination raciale fut longtemps la bête noire de feu Momoye Diarra, notre père à nous tous, « le Capitaine » d’exception qui avait à charge de protéger le régime des fous des principes et des idéaux qui s’évanouissaient tous les jours, sans jamais renoncer à leur combat, dans la fumée opaque des grenades lacrymogènes du parti unique au pouvoir.
Quand un révolté prend un coup de botte dans le…
Celui qui prit, comme beaucoup d’autres, « sa dose » des bottes répressives du capitaine Momoye Diarra – Qu’Allah l’accueille en son Saint Paradis –resta, jusqu’à ce jour, invariablement le même : un bédouin, tout simplement. Un semi-nomade du Sud-est de la Mauritanie, hésitant à devenir moderne, par peur d’ajouter fausse note à sa simplicité et son ouverture envers tous ses prochains, sans distinction de race ou d’opinion politique. Il fallait que cet homme qui n’a cessé de se faufiler entre les âges et les époques, entre la vie administrative et la vie politique, raconte son histoire à lui. C’est chose faite depuis le 25 Octobre dernier avec la publication du chef d’œuvre qui retrace son parcours d’inlassable combattant contre la gabegie et le détournement des deniers publics.
Ce jour-là, devant tout un parterre de cadres administratifs, intellectuels, et compagnons de lutte, Sidi ould Ahmed Deya a regardé en face toute la Mauritanie, dans toute sa diversité ethnique, pour dire à tous : voici ce que mon parcours a fait de moi et voilà ce que j’ai fait de mon parcours. En trois cent quatre-vingt-deux pages d’une narration limpide et très digeste, il a fait de ses mémoires un véritable livre d’histoire littéraire. Il a simplement dit ce qui devait être dit pour que la postérité témoigne du parcours d’un homme si différent des autres par son immense culture, ses compétences jamais prises à défaut mais, aussi et surtout, son honnêteté intellectuelle et morale hors du commun. C’est du Sidi ould Ahmed Deya. Ça toujours été comme ça et ça le restera pour toujours.
Mohamed Chighali
Journaliste indépendant