La pièce d'identité nationale délivrée par les autorités compétentes de votre pays permet de vous distinguer, non seulement, de vos concitoyens mais, aussi des milliards de personnes peuplant notre planète. Mais que se passe-t-il quand quelqu’un, à l’ordinaire étranger à votre pays, récupère frauduleusement vos données personnelles pour en faire Dieu sait quel usage ?
Il y a trois jours, à Nouadhibou, ma collègue journaliste de nationalité Ivoirienne en provenance de Dakar, il y a quelques semaines de cela, m’a posé un problème de très grande envergure. La personne qui l’hébergeait lui avait demandé, vingt-quatre heures plus tôt, son permis de conduire pour en enregistrer les informations. Et maintenant qu’elle le récupérait, elle remarquait que le plastique qui le protégeait avait été comme manipulé, déraidi et brisé par endroits. Examinant à mon tour la pièce, je suggérai que quelqu'un avait dû vainement tenter de changer la photo. « N’en dis rien à personne », lui conseillai-je,« tant que tu n’auras pas eu vent de l’existence d’un réseau de trafic de documents. »
Rentrée à son logement le même soir de notre discussion, après notre journée de reportage sur le terrain, elle écouta, dans le fauteuil du salon, divers messages sur son téléphone portable avant de s’y endormir, épuisée. Se réveillant tard dans la nuit, elle constata la disparition de celui-ci et demanda à un de ses colocataires d'appeler l'appareil. Bizarrement réticent, celui-là finit, devant son instance, par y consentir. Ma consœur put ainsi entendre sonner son portable dans la chambre d'une de ses voisines et le récupéra. La même nuit, elle entendit une conversation entre les locataires, à propos de personnes arrêtées par la police et d'autres qui venaient d’être relâchées…
Caritas au secours
Apprenant, le lendemain, que son logeur lui avait demandé de quitter l’immeuble, je m’engageai à lui chercher un nouvel abri, en contactant les quelques connaissances que je m’étais faites depuis mon arrivée quelques semaines plus tôt. Une restauratrice de mon quartier se proposa de bon cœur à l’héberger mais la dame dut y renoncer, son père désapprouvant la présence d'une étrangère sous son toit. Je me rapprochai alors du propriétaire de la piaule que je louais. Hélas, ce dernier me fit comprendre qu’au vu des réalités de la république islamique où nous vivions, il ne serait pas accepté qu’un homme et une femme non mariés vivent dans une même chambre. Il ne me restait donc plus qu’à me rendre à l'église de la Caritas, sise en Centre-ville, non loin du marché.
J'y débarquais vers 19h pour exposer ma requête. Et voilà qu’à ma plus grande surprise, j’y apprenais qu'un réseau ivoirien de trafic de documents venait d'être démantelé par la police ! Certains de ses acteurs avaient été expulsés du territoire mauritanien, d'autres étaient toujours en prison. Un immeuble où résidaient des ivoiriens venait d'être évacué dans la foulée…« Comment s’appelle votre collègue ? », me demanda le représentant de la Caritas. Je lui en communiquai les nom et prénom, il consulta ses archives pour me confirmer que, oui, elle avait bel et bien sollicité leur assistance il y des semaines de cela. En conséquence et selon leurs principes, elle avait été introduite auprès du président de l'association des Ivoiriens qui l'aurait peut-être hébergée. Quoiqu’il en fût, ma demande serait diligentée auprès du directeur, il me fallait patienter en l’attente d'une décision.
De retour à ma chambre, dîner en main, je me restaurai avec ma collègue, tout en discutant de ces développements qui nous amenaient de surprise en surprise. Vers 21h, le propriétaire des lieux vint nous prévenir qu'elle ne passerait pas la nuit dans ses locaux. « Va dormir à Caritas », enjoignai-je alors mon amie, « nous y règlerons le problème demain à tête reposée avec les prêtres ». Elle prit un taxi en direction de l'organisation catholique et nous nous quittâmes ainsi, convenant que je passerai le matin la récupérer afin que nous puissions reprendre notre enquête commune.
De retour à Caritas le matin vers 9h, j’y fus stupéfait d’apprendre que ma collègue ne s’était pas présentée à leurs locaux. Je patientais en vain jusqu'à midi. Sachant que le curé ne travaillait pas ce jour-là, je demandai à le rencontrer mais on m’informa que celui-ci allait se rendre en délégation à Rosso-Sénégal et qu’il ne serait de retour que dans une semaine. Inquiet sur le sort de mon amie et me souvenant qu’elle avait émis l’hypothèse d’un retour en Côte d’Ivoire, vu les difficultés qu’elle vivait actuellement, je me rendis à l'Organisation Mondiale de l'Immigration (OIM).
Les agents de sécurité m’y firent savoir qu'aujourd’hui, diverses femmes étaient effectivement rentrées dans leur pays. Mais c’était dimanche et il me fallait revenir demain lundi, pour obtenir des responsables du programme confirmation de leur identité. Je décidai alors de revenir à l'immeuble où j’avais rencontré ma collègue et constatai que tous ses autres locataires y étaient présents. Après avoir obtenu son numéro de téléphone, je rentrai chez moi pour m’y retrouver plus perplexe encore car sa valise, son sac et ses ustensiles de cuisine se trouvaient toujours dans ma chambre. Elle n'avait donné signe de vie à quiconque…
Cet incident n’est qu’un parmi tant d'autres vécus quotidiennement. Les conventions signées entre le Maroc et beaucoup d’États Ouest-africains comme le Sénégal ou la Côte d'Ivoire permettent aux citoyens de ces pays de circuler librement dans tout le royaume chérifien. Est-ce pour cette raison que d’intenses trafics ont vu le jour, documents d’identité –passeports surtout – se retrouvant volés et vendus comme des petits pains ? La demande pour ces documents est actuellement extrêmement forte avec le flux de migrants qui s'accentue en cette période de l'année. Les services d'immigration sauront-ils un jour mettre fin à ce fléau de la corruption dont tant de filous se partagent les parts de gâteau ?Un marché noir qui s'amplifie alors que la pauvreté fait des ravages et décime terriblement le continent africain.
Mussa Sallah