Le Calame : Vous êtes le président de ce qu’on appelle le Mouvement Sahraoui pour la Paix (MSP) dont on commence à parler de plus en plus. Pouvez-vous nous présenter brièvement ce mouvement, sa naissance, ses fondateurs et ses objectifs ?
M. El Hadj Ahmed Barikalla: C'est un nouveau projet politique qui a émergé des entrailles du Front Polisario après plusieurs tentatives avortées de réformer et de changer les choses de l'intérieur. Le MSP a été créé en avril 2020 en réponse au déficit démocratique et aux erreurs et abus, pour employer un terme doux, que le Polisario a commis pendant cinquante ans. Malheureusement, cette vieille organisation, à laquelle nous appartenions et dans laquelle ont combattu pendant plusieurs décennies, la majorité d'entre nous qui ont fondé le MSP et des milliers d'autres cadres politiques et militaires qui ont abandonné la lutte, n’a pas su s'adapter aux changements que connaissent les sociétés contemporaines. Il persiste à préserver son modèle totalitaire, celui du parti et de la direction uniques, qui ont disparu de la surface de la terre comme les créatures du Jurassique. S'ils n'y remédient pas lors de leur prochain conclave, ils entreront dans une phase de déclin irréversible.
Selon vous donc, la seule solution au problème du Sahara est celle proposée par le Maroc à savoir une large autonomie ?
Ce sont cinquante très dures années de guerre, d'exil et de souffrances dans un désert inhospitalier. Les Sahraouis ne peuvent pas continuer à vivre comme des réfugiés en attendant la charité, ni qu'on leur demande plus de patience ou plus de sacrifices à cause d'un projet raté et mal géré depuis le début. Ils ne peuvent continuer à chasser des mirages dans le désert, ni rêver d'impossibles victoires militaires. L'ONU s'est engagée dans des efforts et des médiations depuis plus de trente ans qui n'ont abouti à rien et ne pourront pas tant qu'il y aura un affrontement entre l'Algérie et le Maroc. Fort de cette réflexion, le MSP a décidé de sortir du cercle vicieux et de promouvoir d'un point de vue pragmatique la solution possible, l'issue honorable qui garantit aux Sahraouis une vie digne, ferme le cycle de la catastrophe, réunit les familles brisées et laisse un héritage minimal aux générations futures. En ce sens, nous pensons, en effet, que la proposition marocaine peut être un point de départ pour avancer vers une solution dans laquelle il n'y a ni gagnants ni perdants. Bien qu'elle nécessite des précisions de la part des autorités marocaines, nous sommes convaincus que cette proposition mérite d'être explorée, pour tester son ampleur, sa générosité et son « élasticité » et donc tenter d'aboutir à une formule satisfaisante pour tous. Dans tous les cas, le dialogue, la prédisposition à la concession, la confiance réciproque et bien sûr les garanties internationales seront la clé de succès.
Vous avez été représentant du Polisario en Espagne, ambassadeur puis ministre avant de jeter l’éponge. Pourquoi ce revirement ?
Pas du tout, j'ai juste retroussé mes manches pour cette nouvelle phase. Je continue le combat depuis une autre position plus pragmatique pour un avenir possible et certainement meilleur pour l'ensemble des Sahraouis. Le changement est dû à des divergences fondamentales liées à l'essence du système politique du Polisario qui, avec la disparition du “rideau de guerre” a mis à nu sa nature et les schémas et “arrangements tribaux” qui le nourrissent. C'est ainsi que je l'ai exprimé dans une lettre ouverte au XIVe Congrès du Polisario. D'autre part, la conviction, fruit de la maturité, de l'expérience et du bon sens, que le chemin parcouru depuis un demi-siècle s'est transformé en un voyage vers nulle part qui réduira à néant nos sacrifices pendant cinquante ans et pourrait même sceller l'extinction des Sahraouis comme les Peaux-Rouges en Amérique.
Vous avez organisé à Las Palmas en septembre dernier votre première conférence internationale pour la paix et la sécurité qui a vu la participation de beaucoup de monde. Quelles sont les plus importantes résolutions auxquelles a abouti ?
L'événement a eu d'importantes répercussions politiques et médiatiques, non seulement en raison du lieu choisi, mais aussi en raison de la présence de personnalités importantes et de grandes influences dans la politique espagnole et européenne. Deux aspects me semblaient transcendantaux, d'une part l'appel à un dialogue sahraoui pour s'accorder sur des stratégies de solution. Le Polisario a été invité mais sans surprise, a choisi de rester à l'écart. Cependant, des représentants de divers secteurs de la société sahraouie et un groupe important de notables tribaux, descendants des membres de l'Assemblée du Sahara de l'époque coloniale y ont participé. L'intérêt et la participation de dizaines de cadres et de représentants de l'élite intellectuelle sahraouie qui ont fini par rejoindre le Mouvement ont également été remarquables.
La Conférence a été un grand coup de pouce pour le nouveau projet politique et sa feuille de route vers une solution pacifique et la fin du conflit. Le MSP a présenté les orientations générales d'un plan de règlement du problème qui en somme s'articule autour de la création d'une entité sahraouie dotée de pouvoirs publics, de ressources et de compétences pour que le peuple sahraoui gère ses propres affaires dans le cadre d'un régime spécial qui ouvre la brèche au statut de coexistence et d'harmonie avec le Royaume du Maroc et les autres pays et peuples du Maghreb.
Quel rôle, selon vous, peut jouer la Mauritanie dans la résolution de ce conflit ?
C'est précisément l'occasion d'envisager des initiatives en faveur de la consolidation et de l'aboutissement de la nouvelle dynamique. Tant les Mauritaniens que les Sahraouis souhaitent plus que quiconque que le cycle de l'instabilité se termine au plus vite, que la paix et la normalité s'installent dans la région. Entre autres raisons, parce que la stagnation et la persistance d'un climat de tension sur des milliers de kilomètres de frontière avec le pays impliquent des dépenses militaires extraordinaires et des préoccupations supplémentaires qui, une fois la région pacifiée, peuvent être utilisées pour le développement et le bien-être du peuple mauritanien et des Sahraouis eux-mêmes. La Mauritanie peut jouer un rôle actif non seulement de par son statut d'observateur dans le processus politique engagé par l'actuel Envoyé personnel de l'ONU, M. Steffan De Mistura, aussi en exerçant son autorité morale, ses rapports étroits, son amitié avec l'Algérie et le Maroc pour réduire les tensions et normaliser les relations diplomatiques, élément essentiel pour la paix et la stabilité dans toute l'Afrique du Nord-Ouest.
Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh