La nouvelle a fait l’effet d’une bombe. Vendredi, en fin de matinée, les administrations venaient de fermer. Soudain, un communiqué laconique de la présidence de la République annonçait la nomination d’un nouveau gouverneur de la Banque Centrale et, donc, le limogeage de celui dont le mandat avait été pourtant renouvelé, il y a à peine quelques mois. Autre singularité : c’était de tradition que tout haut cadre sous mandat dont on voulait libérer le poste soit, tout simplement, nommé à une autre fonction, mais, apparemment, cela n’a pas été le cas pour Ould Raïss. Aurait-il été « démissionné » ? On susurre, en effet, qu’Ould Abdel Aziz aurait très mal pris l‘anarchie régnant en notre système bancaire et dont la crise, à la Maurisbank, n’est que la pointe émergée. Une façon comme une autre de noyer le poisson et de jeter l’opprobre sur des responsables qui le sont si peu. Notre rectificateur en chef nous a-t-il a dit et répété que c’est lui qui supervise tout, gère tout et garde un œil sur tout ce qui bouge ? N’est-ce pas lui qui délivre les (dés)agréments bancaires ? A tel point qu’on dispose, désormais, d’une vingtaine de banques, pour un pays de trois millions d’habitants, doté d’un très faible taux de bancarisation. Si l’on compte les établissements de micro-crédit et de leasing, neuf nouvelles ont été autorisées à exercer depuis 2008. Qui dit mieux ? Peut-on imaginer, un seul instant, Ould Raïss prendre l’initiative de délivrer le moindre agrément, sans le feu vert d’« En haut » ? Et, a contrario, avait-il la moindre latitude d’en retirer un seul ? Pouvait-il permettre, à la Maurisbank, d’initier ses activités, alors qu’elle n’avait pas libéré la majeure partie de son capital ? Comment expliquer qu’il l’ait laissée continuer à les exercer, alors qu’elle était exclue de la compensation depuis près de dix mois ? La réponse coule de source. Dans un pays comme le nôtre où le Président est omnipotent et le gouverneur de la BCM, même fort d’un mandat, n’est qu’un simple exécutant, certaines interrogations n’ont aucunement lieu d’être.
Il ne s’agit nullement de disculper l’ancien gouverneur dont la gestion fut loin d’être exempte de reproche. Dans l’affaire de la Maurisbank, il a laissé pourrir la situation, sans tirer les signaux d’alarme. Il aurait alors mis le Président devant ses responsabilités et, sait-on jamais, évité que des milliards partent en fumée, après la saignée qu’a connue le Trésor public. Il aurait pu faire preuve d’un tout petit peu de zèle, comme celui qu’il avait mis à tenter de mettre la GBM à genoux, faisant tout pour lui porter l’estocade. Avec, pour seul résultat, de donner l’impression qu’il s’acharnait contre un établissement dont le principal actionnaire n’était pas en odeur de sainteté avec « En-haut ».
La deuxième véritable crise qu’il eût à affronter l’a donc emporté. Responsable ou bouc émissaire ? On ne saura jamais. Comme leurs frères d’alcôve, les secrets bancaires ne sont dévoilés que lorsqu’une des parties s’estime trahie ou trompée. Ould Raïss aura-t-il le courage de franchir le Rubicon ? Sachant qu’un train peut en cacher un autre, on ne peut que lui conseiller de faire très attention, avant de traverser la voie. Mais il est probable que ce conseil lui soit inutile : non seulement, il est trop poli pour cracher dans la soupe mais il doit en avoir conservé quelques soupières, sinon containers, en quelque réserve privée… Il y a bel et bien des limites, aux mouvements bancaires.
Ahmed Ould Cheikh