En matière de candidatures à la présidentielle, les principaux choix sont faits. Sidi Ould Cheikh Abdallahi comme candidat semi-officiel de la nouvelle junte militaire. Il était officiellement indépendant. Ahmed Ould Daddah pour le RFD. Zeine Ould Zeidane, ancien de la Banque Centrale, aussi officiellement indépendant, en plus d’un soutien tacite d’au moins une aile importante du régime, il était soutenu avec fermeté et grand fracas par le PRDR (ancien PRDS) et de nombreux caciques, symboles de l’ancien régime Taya. Messaoud Ould Boulkheir pour l’APP. Mohamed Ould Maouloud pour l’UFP. En plus d’une dizaine d’autres dont bon nombre de poids plutôt léger.
Candidature non appropriée
Dans le cas de l’UFP, le public ne cesse de se demander pourquoi le non choix de Ould Bedreddine, le dirigeant le plus charismatique du parti et même de la scène politique nationale, le seul susceptible de drainer le plus grand nombre de soutiens, même en dehors du parti UFP. La désignation presque clandestine de Mohamed Ould Maouloud à la tête de ce parti ne justifie pas tout.
De toute façon c’était le choix officiel du parti, le parti supposé le plus intègre de la scène politique nationale. Ce parti a désormais, depuis un certain temps, ses raisons que la raison ne connaît point.
Comme d’habitude, je continue à fréquenter mes amis au sein de ce parti se présentant comme le prolongement naturel du MND, notamment ses deux têtes d’apparence complémentaires: Mustapha Bedreddine et Mohamed Ould Maouloud.
Une fois, à l’insu de tous je suis entré dans le secrétariat du parti. Il se trouvait encore dans un quartier populaire qui ouvre sur le mur de l’état-major de la Garde Nationale. J’y ai coupé une carte d’adhésion pour repartir aussitôt. J’attendais une réaction à mon geste de mes amis. Cette réaction n’aura jamais lieu. Je me suis dit que peut-être je manquais du profil exigé d’un militant exemplaire de ce parti.
Le parti connaît depuis quelques temps une curieuse affluence en provenance d’un certain milieu à dominance tribale. Il se révélera que cette affluence serait menée par des éléments, cadres chauvins bien connus, originaires du même milieu. Donc tout indique, qu’en ce moment, ce parti est l’objet d’une certaine manœuvre de récupération de la part d’une force centrifuge non encore clairement identifiée.
Le parfait secrétaire
Très probablement en ce moment précis, une stratégie de récupération aurait été élaborée et son application sur le terrain débuta. Le président du parti fut secondé par un secrétaire spécial, un jeune proche cousin à lui, doté d’une large culture et de facultés techniques appréciables: une sorte du « Parfait Secrétaire ». Depuis il réglemente au millimètre près la vie quotidienne du président du parti. Il lui choisit même ses repas, ainsi que ses amis et l’éloigne de tous les autres que, lui, juge indésirables, notamment les militants considérés comme orthodoxes du MND. Au sein du parti et en dehors, chacun ambitionne de monter d’un grade supérieur à sa situation présente. Le Parfait Secrétaire, lui, pour des raisons inavouées, préfère garder la même place. Il assume tout, il supporte toutes les protestations et les états d’humeur contre sa façon de gérer son Président. Ce dernier ne dit rien.
Le tour de la Mauritanie
Le Tour de France se fait en bicyclette. Le nôtre, celui de l’UFP, s’était fait en 4X4, quelques cinq véhicules presque tous en location.
Nous quittons Nouakchott un après-midi. On passe la nuit à l’est de Boutilimit chez une communauté Ehel Elvilali. Ils nous reçoivent comme il se doit. Comme un peu partout ailleurs, les regroupements communautaires, conformément à la tradition, accueillent comme il se doit tous les étrangers qui passent chez eux. Ce qui ne veut nullement dire qu’ils les feront bénéficier de leurs votes. Occasion pour les notables d’afficher le degré de leur popularité aux yeux des gouvernants. Chez les communautés ethniques ou tribales, ce qui est recommandé est le vote utile. Ce qui signifie en général le vote en faveur des candidats du pouvoir.
On passe par Boghé. Là on tient un meeting moyen dominé par les jeunes. L’affluence habituelle des Boghéens aux manifestations de l’UFP n’était pas au rendez-vous.
Après quelques attroupements en cour de route, on arrive à Kaédi. Là on tient un meeting pas du tout massif. Quelques centaines de jeunes enthousiastes y avaient pris part. Le meeting de Messaoud, non loin de là, quadruple au bas mot le nôtre. C’était aussi le cas à Boghé.
Au cours de ces premiers meetings, je découvre chez mon ami Maouloud ce qui ne m’apparaît pas évident avant. L’homme avait mené sa vie politique dans la clandestinité totale. Il était inconnu du grand public et même de bon nombre de militants de base. C’était aussi en partie mon cas. Je ne suis nullement habitué des grandes foules. Je panique devant le micro. Ma main qui le tient ne cesse de trembler. Un peu comme moi, certainement beaucoup mieux que moi, mon ami Maouloud excelle surtout dans l’action de propagande dans les cercles fermés. Ajoutez à ce véritable handicap un autre non moins important. Maouloud est un garçon doté d’une éducation exemplaire. Une éducation qui ménage même l’adversaire par des propos si courtois au degré de se confondre dans certains aspects avec des propos plutôt bienveillants.
Donc, marqué par ce passé pas si loin, le camarade Président n’était pas le grand tribun en mesure de soulever des larges masses de leur torpeur. Bedreddine, Kadiata Diallo et d’autres grands orateurs secouent les masses présentes aux meetings et suscitent leur enthousiasme beaucoup mieux. L’intervention du président, clôturant le meeting, démobilise plutôt les participants aux rassemblements.
La nuit, il était programmé de passer la nuit dans un grand hôtel situé à l’entrée de la ville. L’hôtel en question appartiendrait à un certain Tall, cadre de Kaédi nouveau militant du parti.
La canonisation
Certains membres de la délégation, menés par l’ancien ministre et ancien gouverneur à Kaédi, Mohamed Ould Khlil, préfèrent passer la nuit hors de la ville chez des chameliers pour en profiter et boire du lait frais de chamelles. Mohamed Ould Khlil, sage et courtois, la soixantaine avec sa touffe blanche très fournie, était un retraité, un arabisant pur et dur. Dans sa fonction il exigeait la traduction en arabe de tout document qui parvient à son bureau.
Khlil m’avait invité à les accompagner. J’ai décliné son offre prétextant le grand risque de pluie. Il balaie le ciel d’un regard. Le ciel était bien propre. Il me dit avec étonnement: mais il n’existe aucun signe de pluie! Je lui réponds que selon les prévisions météorologiques, il pleuvra abondamment ce soir à Kaédi.
En effet à la veille de notre départ de Nouakchott où je veillais sur la correction du quotidien Horizons, passant un regard rapide sur une page d’internet à l’ordinateur de travail j’ai bien remarqué que la météo prévoit de fortes pluies le lendemain sur Kaédi et d’autres localités du pays dont Rosso. La probabilité pour ces deux villes était de 100%.
Au dîner à l’hôtel, j’étais sur la même table que Bedreddine, Maouloud et autres. Le premier m’a demandé pourquoi je n’ai pas accompagné le groupe de Khlil en brousse, me rappelant qu’il programmait mon accompagnement. Je lui ai rappelé mes prévisions météorologiques. L’opinion n’était pas encore habituée aux prévisions météo pour les crédibiliser. Certains, se basant sur un ciel sans nuages, se mirent à rigoler et à discréditer mes prévisions. Fidèle à son sens d’humour légendaire, qui puise sa source d’un milieu culturel familial bien connu, Bedreddine les mit en garde en ses termes: « il ne faut jamais défier un Weli (un saint) dans ses débuts! ». Tous se mirent à rigoler, moi aussi.
Épuisés par le voyage, tous dormirent aussitôt après dîner. Le matin, l’hôtel était entièrement cerné par les eaux de pluie tombées durant leur sommeil. Les voitures étaient à moitié ensevelies par les eaux. Au petit déjeuner, tous me font allégeance et viennent me féliciter pour la véracité de mon miracle. Ainsi donc j’étais canonisé «Weli:Saint » par l’ensemble des camarades et amis présents.
Nos 5 « Tout Terrain » avaient de la peine à sortir de la ville de Kaédi, envahie par un torrent continu de voitures accompagnant la campagne du candidat Ahmed Ould Daddah.
Parcours réglementé
Après Kaédi, nous avons fait plusieurs autres étapes dont: Mbout, Barkéol, Sélibaby, Néma, Aîoun, Tijikja… partout l’ampleur des manifestations était comparable à celles des étapes précédentes. Le discours aussi est demeuré sans changement notable. Au cours de ces étapes, le Parfait Secrétaire ne lâche jamais prise. Il contrôle dans ses moindres détails les contacts de son Président. Il tient à ce que le lieu d’hébergement de la délégation «présidentielle » soit toujours chez une famille de leurs parents, souvent des commerçants locaux inévitablement de l’autre bord politique. Il continue à filtrer les supposés kadihines orthodoxes. Il couvre tout de son aimable sourire, greffé sur un visage encore juvénile d’un quinquagénaire bien rompu aux bonnes manières du protocole moderne et traditionnel.
Le meeting de Tijikja, chez le président et son Parfait Secrétaire, ne fera pas exception.
(À suivre)