La dynamique d’une pré-campagne électorale
Pré-campagne dominée par l’émergence d’un candidat, outsider inattendu : Sidi Ould Cheikh Abdallahi qui va beaucoup inquiéter les chefs traditionnels de l’opposition.
Le Parti Républicain Démocratique et Social (PRDS), converti en PRDR(R pour Renouveau), comptant sur l’accumulation de plus de deux décennies de pratique du pouvoir de l’ex-président Taya, nourrit l’espoir de pouvoir gagner la partie. La classe des privilégiés aux immenses richesses accumulées durant la période passée peine à trouver de nouvelles attaches à un pouvoir dont les prétendants ne maîtrisent pas encore le gouvernail.
À l’opposition, l’ancienne rivalité entre ses deux principaux chefs, Ahmed Daddah et Messaoud Boulkheir, revient à la surface. Le dernier, quel que soit l’opportunisme de ses calculs personnels, avait incontestablement réussi à forger une place tout à fait nouvelle à une large couche sociale, les haratines, couche ayant vécu plusieurs siècles hors de toute considération morale et desjeux complexes de l’exercice du pouvoir. À l’opposition, Ould Boulkheir ne cède jamais la tête du peloton à un tiers. Inconsciemment, dans le subconscient des gens, le premier rôle revient nécessairement à un descendant d’un segment social déterminé. Les « indésirables » ou ceux qui étaient considérés et traités comme tels devraient se suffire de peu.
Quand à Ahmed Ould Daddah, cadre technique de grande valeur, il est le produit net du système politique installé dans notre pays depuis l’indépendance politique en 1960 et mené avec grand professionnalisme par son demi-frère paternel, l’ex-président Mokhtar Ould Daddah. Durant les deux dernières décennies de Taya, en matière d’assise sociale, il avait nagé, pas toujours adroitement, sur toutes les contradictions sociales du pays. Après un passage chaotique et certainement douloureux dans des foyers allumés de révoltés haratines et négro-africains, il a fini par se stabiliser même à titre provisoire sur un pan de sa propre classe sociale. Habituellement, on respire mieux dans son propre milieu.
Au début de la décennie 1990, l’irruption surprise d’Ahmed Ould Daddah sur la scène politique avait bouleversé plus d’un calcul. Auparavant l’ex-président Taya, entouré de quelques officiers du Nord, comptait beaucoup sur le soutien d’officiers du sud, supposés de culture moins putschiste et d’assise sociale plus large pour stabiliser son régime. Le cas du 16 mars 1981 ne fausse pas cet élément d’analyse. Ce fameux 16 mars fut d’abord une agression extérieure tissée de A à Z par deux puissances étrangères bien connues. Les exécutants sur le terrain, malheureusement principales victimes, tous apolitiques, y seraient entraînées malgré elles. Paix à leurs âmes.
Parachutages
Depuis donc l’émergence de Ahmed Ould Daddah sur la scène nationale, l’opinion, particulièrement au Trarza , a basculé en faveur du nouveau venu, parachuté par on ne sait quelle super manipulation politique. Le Trarza dans son ensemble ne cesse de payer le prix d’une telle évolution.
Très probablement, le parachutage d’Ahmed Ould Daddah va inspirer un autre parachutage, celui de Sidi Ould Cheikh Abdallahi. L’irruption de Sidi, celle-ci, orchestrée par l’homme fort de la nouvelle junte militaire, le colonel Mohamed Ould Abdelaziz, auto promu général peu après, va fortement marquer la suite des événements.
Sidi Ould cheikh Abdallahi était issu, comme Ahmed Daddah, du régime du l’ex-président Mokhtar. Comme ils appartiennent aussi tous les deux au même tissu social maraboutique et à la même zone géographique à cheval entre le Trarza et le Brakna. Sidi était relativement beaucoup plus âgé qu’Ahmed. D’ailleurs la rumeur ne cessait de prétendre que c’était son âge et peut-être sa santé jugée fragile qui avait privilégié son choix. Le colonel Aziz, ironisait la rumeur, le voulait juste pour une transition de quelques mois au plus. Le temps de se débarrasser de ses challengers, notamment son cousin et son encombrant colistier Ely Ould Mohamed Vall.
Au second rang, une bonne dizaine de candidats potentiels à la présidentielle se bousculent. Les candidats aux municipales et aux parlementaires ne manquent pas. Les intéressés étaient nombreux.
En dehors de candidatures plutôt fantaisistes, presque toute la centaine de partis ou plus exactement de titres de partis s’apprêtent à présenter des candidats tout au moins aux municipales et aux législatives. On compte parmi eux des formations politiques dotées encore d’un poids réel incontestable. Citons en : l’Union des Forces du Progrès (UFP) et bien d’autres mouvances, notamment négro-africaines. Les islamistes, faute de reconnaissance d’une formation légale qui leur est propre, demeuraient encore non loin d’Ahmed Ould Daddah.
Monsieur le président !
Dans un temps pas très reculé, quand on parle de Président ,on pense immédiatement au Président de la République. Durant les dernières décennies, il est souvent question d’un nouveau type de président: celui parmi d’autres, du président du conseil d’administration. Le poste était réservé à un fonctionnaire du ministère de tutelle et sans traitement financier régulier. Depuis il est désormais confié souvent à une notabilité, de préférence un retraité qui se voit multiplier le traitement mensuel sans souvent de contrepartie en matière de travail. Pour élargir leur assise socio-électorale, nos chefs d’Etat opèrent ainsi sans beaucoup de peine pour justifier leur comportement.
Nos nouveaux partis politiques s’inspirent aussi de notre administration. Même à la tête de la plus petite formation politique ; le chef s’autoproclame souvent président. Ses partisans, en général, baignés dans l’éducation soufiste finissent par le traiter comme ils faisaient pour leur propre chef religieux ou cheikh.
Chez les grandes formations, avec l’illusion de voir un jour leur chef accéder au pouvoir suprême, le titre de président était d’autant plus pris au sérieux qu’on le traitait comme s’il l’était déjà. Il est désormais « protégé » par un ou plusieurs gardes de corps. Certains laudateurs, en général des parents proches, se comportent autour de lui comme de véritables conseillers spéciaux ou ministres sans portefeuille bien sûr. « Ministre Amoulekalba ou alakalaba» comme le traduisait en Wolof ou en pular dans le temps Radio Mauritanie. Je ne manquerai pas de demander à mon cher ami Camarade Camara la traduction des mêmes termes en soninké. Pourtant c’est bien la kalba qui détermine souvent l’ampleur d’un parti politique, ainsi que ses chances électorales. En toute démocratie, la légalité des chances dépend intimement de l’inégalité des moyens.
Baigné dans un tel climat artificiellement entretenu par les partisans ou ceux qui se présentent comme tels, Monsieur le Président finit par y croire. Le citoyen lambda qu’il était, devient le centre de gravité d’une galaxie plus ou moins importante de partisans et de talibés qui affichent religieusement leur foi en lui.
Monsieur le Président, « Sseyid Rraïs », titre qui porte à un zénith imaginaire son apparence d’heureux prétendant. Comme d’ailleurs, le même traitement était également réservé, bien qu’un peu moins, aux messieurs: Monsieur le député (Sseyid Naïb) ou Monsieur le maire (Sseyid El Oumda).
Aussi, Monsieur le Secrétaire Général ou « Sseyid Elamine Aam » est traité avec les mêmes égards chez les formations politiques menées par des Secrétaires généraux.
Pour l’occasion, chacun, à son niveau, s’efforce de procéder à des mutations intérieures profondes, parfois douloureuses. L’inculte d’hier s’affiche des airs de Socrate. Le menteur invétéré, l’escroque, se permet désormais de donner des leçons de sagesse à E. Kant. Monsieur le Président, le Député, le Maire, chacun affûte ses comportements et se tracasse à se présenter comme digne du poste honorable qu’il convoitait contre d’autres candidats parfois supposés dotés de meilleures qualités intrinsèques. La femme et les enfants de certains d’entre eux, désormais bénis et cajolés par les partisans, sont surpris par tant de considérations portées à eux et à leur papa. À la grande surprise de tous, leur situation matérielle ne cesse de s’améliorer bien avant d’accéder au poste convoité. Le cycle de sécheresse reprendra pour bon nombre parmi ceux qui ratent l’occasion de briguer le poste tant convoité.
(À suivre)