La particularité des régimes d’Ould Ghazouani et de Ould Abdel Aziz est d’avoir propulsé à la tête de l’Etat des élites sorties du néant. Souvent dotées d’assez bonnes qualifications techniques, avec une prétendue expertise dans tous les domaines, celles-ci n’ont toutefois pas montré de capacité d’analyse ou de compréhension des défis et des problèmes structurels qui entravent le développement du pays. Et pour cause, elles raisonnent systématiquement en termes de processus et non de résultats.
Ces élites ont la particularité d’être entièrement dépendantes de l’État, qu’elles prétendent servir, avec la ferme ambition de faire carrière. Elles n’ont pas la capacité de vivre sans l’État ni de créer d’alternative pour s’en émanciper. Elles ont conscience qu’elles ne méritent pas ce que l’État leur donne et qu’elles manquent cruellement de légitimité, qu’elles cherchent à compenser par un surcroît de zèle. Le régime en est également conscient et il consent à leur donner bien plus qu’elles ne méritent. En contrepartie de ce deal implicite, le régime en attend une loyauté absolue, synonyme de domestication. En effet, la fidélité de ces élites va, non pas à l’Etat, encore moins au peuple, mais à la personne du chef de l’État, auquel elles lui doivent leur position, voire leur existence politique. Les Mauritaniens ne s’y sont pas trompés en rejetant ces élites impopulaires, héritées de la décennie Aziz, qui ont contribué à ruiner le pays, même si le régime actuel continue à leur renouveler sa confiance et les utiliser à son avantage.
Tendance lourde
Ces élites sont aussi souvent composées de moufsidines, ce qui ne gêne en rien le régime en place. Il est en effet très commode pour n’importe quel pouvoir de faire confiance à des élites corrompues, qui ont la réputation de faire ce qu’on leur dit, même si cela contrevient à la loi ou à la morale. Cette situation est d’autant plus commode que ces élites se chargent de redistribuer les fruits de la prédation pour mobiliser les clientèles électorales en faveur du pouvoir. En contrepartie, le régime ferme les yeux sur la mauvaise gestion et les pratiques douteuses. Cette logique explique, en partie, la pérennité de ces élites au pouvoir, y compris au sein du régime actuel, où l’on retrouve pratiquement les mêmes résidus et symboles de la corruption hérités des périodes Ould Taya et Ould Abd El Aziz. Une tendance lourde qui bloque malheureusement le renouvellement des élites, parce que les critères politiques prenant le pas sur les critères techniques.
Tant que le pays est dirigé par ces élites, désillusion et désenchantement seront toujours au rendez-vous.
C’est d’ailleurs pourquoi le pays ne semble pas prendre le train du changement. Ces élites ne sont pas passionnées par leur mission, manquent cruellement de conviction et ne croient en rien et ne défendent aucune cause. En ce sens, elles constituent un véritable obstacle par rapport à toute perspective de réforme et de normalisation du pays. Leur mode de gestion calamiteux est directement responsable de ces générations de jeunes perdus, sacrifiés du fait de la mauvaise gouvernance et l’absence de vision stratégique.
Pour réussir un véritable décollage économique et arrimer notre pays à la modernité, nous devons rompre avec ce modèle de cooptation des élites, en favorisant l’émergence d’un leadership alternatif et d’un personnel dirigeant, intègre et passionné, capable de répondre aux attentes des populations. À défaut d’un tel renouvellement du personnel dirigeant, il n’y a point de développement qui vaille.
Mohamed El Mounir