« Monsieur ! Comment vous êtes Mauritanien et vous vous appelez Brahim ould et en même temps Ndiaye? Je ne comprends pas ! Le Professeur de langues anciennes Ruffier qui enseignait le latin (cette langue morte) au lycée Faidherbe de Saint Louis énervé par le sarcasme vivace de son élève bavard, l'interpella de la sorte pour lui demander, à sa manière, qui es-tu ?
La raison hellène avait peut-être empêché le candide professeur de faire appel à son cœur pour comprendre comment cette diversité, inconcevable dans son esprit, reflète une histoire d'amour bien partagé par les gens de Saint Louis.
Il n’avait, peut-être pas, suffisamment lu l'Histoire pour savoir que l'appellation chrétienne de la ville cache l'appellation d'origine " Ndar ". Par laquelle les indigènes profondément métissés, désignaient cette passerelle qui fut de tout temps un lieu de brassage des vielles civilisations, dans lequel l'émirat du Trarza épousa le Royaume du Walo et qui est devenu, au fil des siècles et à force d'intenses échanges humains ainsi que par le mélange des genres, le symbole de la proche parenté entre la République laïque mais aussi confrérique du Sénégal et la République islamique, mais quelque part laïcisante de Mauritanie.
Le Professeur n'avait pas pris le temps de comprendre comment cet élève d'origine sérère est devenu un enfant des nuages en intégrant par sa naissance, bien avant l'élaboration du code de nationalité d'inspiration laïque, les Rgueibat.
Les Rgueibat sont ces grands chameliers du désert dont l'espace territorial se fout éperdument des stupides frontières tracées au crayon par des officiers de la coloniale et qui symbolisent par leur mode de vie nomade, les Maures.
Les Maures, qui sont en Mauritanie mais qui ne sont pas forcément tous des Mauritaniens, se dit de cette population métissée dont l'appellation signifie dans une langue bien morte chez les Romains " noir " fut choisie pour designer ‘’la Mauritanie’’. Tandis que l'appellation " Sénégal dont le peuplement est noir " provient du terme " Zanaga " ou Sanhaja en référence à l'origine de la majorité des Maures.
Monsieur Ruffier n'avait pas, surtout, pris le temps, pour comprendre comment le condisciple silencieux, toujours assis sur le même banc avec l'élève mauritanien bavard, s'appelle Gabriel Hatti alors qu'il est Mauritanien.
Il pouvait bien prendre le temps pour comprendre comment ce chrétien d'origine libanaise natif de Boghé Escale est devenu un citoyen d'une République islamique qui venait d'être créée sous une khaima, en plein désert, par des Mauritaniens de différentes origines.
Cette idée généreuse de la Mauritanie transcendant les origines qui avait échappé au Professeur Ruffier en 1958, avait permis à ses deux élèves mauritaniens de se retrouver, plus tard, main dans la main dans la haute fonction publique pour traiter les affaires de l'Etat.
Il faut dire, à la décharge du Professeur que cette idée de la Mauritanie qui fut à la base de l'identité nationale,
se trouve aujourd'hui malmenée par le sectarisme des défenseurs des identités étroites et par les fanatiques aux tendances théocratiques ainsi que par un travail de sape orchestré par des médiocres et autres incultes lesquels n'ont pas le sens de l'Etat et qui ne connaissent rien à la culture de la République.