Il n’y a pas de raison que tu t’indignes des réseaux sociaux et des blogueurs, qui y font et défont la notoriété des hommes. Les réseaux sociaux n’ont rien fait de nous qui n’était pas en nous. Ils ont servi juste de cadre d’expression pour ce qui est en nous de plus cher, de plus vrai, de plus nous. N’oublie pas que nous avons toujours bien vécu avec l’oralité. Les réseaux sociaux sont le petit enfant de ce que nous sommes vraiment. L’enfant de notre tradition orale. Qu’ils soient de nobles ou de viles engeances, ils sont nous. Notre oralité était le facebook, avant le facebook ; le whatsapp avant le whatsapp, le Twitter avant le Twitter.
Qu’est-ce que tu crois ? Que nous y sommes pour leur modernité ! Eh ben, tu trompes. Nous y sommes parce que nous y étions. ¨Parce qu’ils étaient en nous. Tu n’a pas besoin de trop réfléchir. Inutile que tu écarquilles les yeux et que tu cilles, en me regardant comme pour me dire que j’exagère et que les réseaux sociaux sont l’Internet et que l’Internet c’est le progrès du XXIème siècle. Soit ! Tu pourrais y ajouter que le progrès est synonyme d’archaïsme et d’arriération. Tu peux le dire qu’est-ce qui t’en empêche ?
Ils ont tout de l’oralité. Sa légèreté, son évanescence, sa rapidité, son incertitude et son insaisissabilité. Et notre poésie orale, souviens-toi, tu ne vois pas comment elle revient, en déferlante à travers whatsapp, facebook et twitter. Un tweet, quel beau quatrain à travers un tweet ! J’aurais dû te le dire, l’instant précédent, lorsque je te racontais d’une manière laborieuse et surfaite les fois où j’étais tombé quelque part ou une partie de moi s’était désagrégée çà-et-là. J’aurais pu utiliser un tweet, tout simplement un tweet, en reprenant le poète, sans parodie, ni pastiche, puisqu’il n’y a rien à rajouter à son poème. Ça fait l’affaire. La mienne et bien d’autres affaires à d’autres, dans une posture comparable à la mienne ou presque. Je l’aurais tweeté séance tenante :
Aicha a chu
Du haut du dos de son âne
Elle a chu
Sur la paille.
Tu imaginerais le nombre de j’aime et de cœurs j’adore que j’aurais pu récolter ? Et surtout le partage et le repartage, en boucles interminables. Autant de fois que serait redit ce quatrain, autant de fois sera rappelée ma chute.
Tu imaginerais le nombre de variations sarcastiques qu’allaient se donner à cœur joie les blogueurs ? Il s’appelle Aîcha, finalement, lancerait un blagueur en herbe. Voyons qui serait l’âne dans cette affaire tombante. Et la paille ? L’hôtel Azalai ou l’avenue Nacer ? Autant de commentaires, autant de rebondissements, à n’en pas finir. Tu ne peux pas me dire que ça n’est pas nous, ça !
Apres tu pourrais questionner le bien-fondé de la légitimité du blogueur. Est-ce que la légitimité est tributaire à un ordre moral. C’est une question de pertinence. Mais, ici, c’est l’influence, qui compte. Oui, on parle beaucoup de ce blogueur camionneur, exilé aux États-Unis, qui fait des live et qui sème terreurs et angoisse au sein de l’intelligentsia et autres acteurs de la scène politique de Nouakchott. C’est un camionneur, figure-toi.
Souviens-toi de l’époque de nos lectures de jeunesse. Tu te rappelles, outre les livres Aventures, Tarzan, Rodeo, Asterix et autres. Nous tombions souvent chez le bouquiniste de livres albums, intitulés Cent Blagues, parfois Mille Blagues.
Combien tu en as lus ? Ils commencent souvent par les blagues des ivrognes, ensuite, ils consacrent une bonne partie aux blagues, qui raillent les camionneurs. Je n’ai jamais compris pourquoi les camionneurs, en face des ivrognes, les blondes et les belges. Plus tard, j’allais soupçonner une vérité, que je saurais appeler la vérité du camionneur. Tu sais bien qu’un camionneur passe ses journées de camionneur à passer par les villes et campagnes. Le soir, il stationne non loin de l’entrée d’une ville, dans une aire de repos, où il se fait client auprès d’une gargote, il se goinfre bien avant d’atterrir dans un bar, habitué à d’autres camionneurs, qui passent. Et comme, ils n’ont de vérité que celle d’un passant rapidement à l’intérieur d’une ville, qui ne saurait garder de cette ville qu’une vérité de façade, parcellaire et fragmentaire, mais il n’empêche qu’elle soit une ; une vérité pour le camionneur passant. C’est un peu un quart de vérité, encore faudrait-il que le quart restant ne soit pas altéré par l’effet d’une fatigue épouvantable, accentuée d’une mauvaise soirée d’ivresse.
A l’époque, on en riait avec fort amusement. Aujourd’hui, on le craint, on en meurt d’angoisse et on le considère même une opinion politique des plus solides, des plus argumentées. Ça c’est nous. C’est la prégnance de l’ordre oral, qui fait foi et renie, et annihile même l’ordre de la loi.
Mint Beyane