Il y a quelques jours, le Parquet a publié un communiqué annonçant la fin du placement sous contrôle judicaire des personnes impliquées dans le dossier dit de la Décennie. Principal suspect en cette affaire, l’ex-président Ould Abdel Aziz ne pourra pas bénéficier de cette faveur, ayant été placé en détention pour avoir antérieurement enfreint la loi sur la détention provisoire. Après son angioplastie au Centre National de Cardiologie (CNC), il y a quelque temps, il reste donc toujours sous contrôle judiciaire et médical chez lui. Les médecins avaient estimé que son cas le nécessitait.
Que vont devenir les treize personnes « libérées » par la déclaration du Parquet ? Ould Abdel Aziz qui fut le seul à être placé en détention préventive avec une espèce de prison spéciale à l’école de Police continuera-t-il à humer l’air libre quand sa situation s’améliorera ou retournera-t-il en prison ? Le dossier de la Décennie va-t-il finir en pétard mouillé ? Les dépenses et le temps passé à l’investigation, le matraquage médiatique et la réhabilitation de la Haute Cour de Justice, le collectif d’avocats, n’auront-ils servi à rien ? La gabegie garderait-elle de beaux jours devant elle ? L’arrestation de quelques proches de l’ex-Président ne serait-elle qu’un écran de fumée ?
Petit rappel
Des questions que l’opinion mauritanienne ne cesse de se poser. Car elle redoute que le dossier qui fit et fait encore couler l’encre et la salive, suscitant tant d’espoir pour le peuple, ne finisse en queue de poisson. La Commission d’Enquête Parlementaire (CEP) aurait-elle travaillé pour rien ? « Tout ça pour ça ! », murmure-t-on. Fondée fin Janvier 2020, la CEP abattit un important travail d’investigation sur la gestion de la décennie de la gouvernance d’Ould Abdel Aziz. Après six mois de labeur, celle dont le mandat était de « vérifier et d’enquêter sur les conditions d’exécution et les procédures de gestion relatives aux sept thèmes suivants : terminal à conteneurs et hydrocarbures du Port de Nouakchott dit « Port de l’Amitié » (PANPA) ; SOMELEC (volet éclairage public par le solaire) ; SONIMEX ; Fondation de la SNIM ; Société Poly Hone Dong ; Fonds national des revenus des hydrocarbures (FNRH) et dossier foncier de Nouakchott ; dévoilait de nombreuses malversations à hauteur de plusieurs milliards d’ouguiyas mettant en cause des Premiers ministres, des ministres, des hommes d’affaires… Après réception du dossier, le Parquet auditionnait tout ce beau monde puis inculpait l’ex-Président et treize de ses proches et autres anciens collaborateurs. Ould Abdel Aziz est lâché par ces derniers qui l’accusent de leur avoir donné les ordres. MOAA est inculpé le 11 Mars 2021 pour « octroi d’avantages indus dans des marchés publics, trafic d’influences, abus de fonctions, enrichissement illicite, recel de produits du crime, entrave à la justice et blanchiment d’argent ». Il sera ensuite placé en détention préventive pour avoir violé la loi sur le contrôle judicaire et trouble à l’ordre public. L’homme avait choisi d’aller à pied pour se présenter à la direction de la police économique (où il doit montrer patte blanche 3 fois par semaine), provoquant des heurts dans la rue avec les forces de l’ordre. Ses conseils et ses proches parlent alors de « harcèlement », « humiliation » et « règlement de comptes », puisque seul l’ex-Président, parmi les quatorze inculpés, a été placé en préventive. Une première en Mauritanie…
Dans la foulée, le Parquet annonce avoir identifié, gelé ou saisi, rien qu’en Mauritanie, des biens immobiliers, sociétés, parcs de véhicules et des sommes d’argent pour un montant évalué à quatre-vingt-seize millions d’euros, dont soixante-sept revenant à l’un des suspects et vingt-et-un millions à son gendre. Ses biens sont confisqués, et ses comptes bancaires gelés. Avec les saisies opérées sur les autres personnalités inculpées, le Procureur estime avoir déjà récupéré plus de quarante-et-un milliards d’anciennes ouguiyas (près de quatre-vingt-quinze millions d’euros) dont vingt-neuf auprès d’Ould Abdel Aziz et son gendre. « Humiliation ! », glapissent ses proches...
Réactions
Interrogé au lendemain de la publication du communiqué du Parquet, un des avocats de l’ex- Président déclare que le Parquet se mêle de ce qui ne le concerne pas, que son rôle est d’arbitrer entre le procureur (magistrat debout) qui accuse et les accusés qui se défendent. Démonstration, selon lui, que la justice mauritanienne est loin d’être indépendante. De son côté, un membre du collectif des avocats que l’État a constitué pour recouvrer les biens détournés, rappelle que le procureur est libre de s’exprimer et que les personnes dont le délai de contrôle judiciaire est légalement terminé peuvent soit être ou jugés en prévenus libres, soit elles seront considérées désormais libres : autrement dit, classement du dossier. C’est au juge de décider : pour le moment, ils sont libres de leurs mouvements.
« Tout ça pour ça ! », reprennent en chœur les prévenus dont certains furent jetés à la vindicte populaire et leur réputation détruite pour de bon. Ils l’auront quand même cherché il faut le reconnaitre, en acceptant de travailler sous les ordres et en collaborant avec un régime prédateur. Quoi qu’il en soit, beaucoup de mauritaniens restent encore « sceptiques » face aux lenteurs du dossier. Au Calame, nous avions demandé si la justice allait être dite et si le placement de l’ex-Président en détention préventive chez lui n’augurait pas de sa libération définitive. Certaines rumeurs avaient laissé croire qu’un érudit du pays tentait une médiation entre le pouvoir et l’ancien président… Tout va, tout passe, au désert…
Dalay Lam