Jadis très longue langue de pâturages verts s’étendant de l’entrée de la forêt de Wagadou à celle du Burkina Faso par les trois frontières, le centre du Mali a ravivé, en 2015, la volonté de reformer le Macina en État islamique. D’où la naissance de la Katiba Macina, une organisation paramilitaire. Connue dès 2012, cette organisation était très liée à Ansar Eddine de Iyad Ag Ghaly. Elle fut fondée par Amadou Koufa, un prêcher peulh radical né à Nianfuké dans la région de Mopti. Depuis 2015, date à laquelle ce mouvement est entré en action, le nombre d’évènements agressifs a augmenté de manière spectaculaire dans les régions de Mopti et de Ségou : près de cent cinquante actes de violence perpétrés en moyenne par an, ce qui amène à considérer cette région comme la plus dangereuse zone du Mali. Plus de cinq cents civils y ont perdu la vie et près d’un million de personnes ont fui cet espace en 2018.
Le rêve de l’empire théocratique du Macina fondé en 1818 par le marabout peulh Sékou Amadou, du clan des Barry et détruit par l’invasion, en 1868, des Toucouleurs sous la conduite d’El Hadj Oumar Tall, cherche à renaître. Le centre de gravité de cette zone est considéré rouge sur toutes les cartes des opérations militaires, à l’instar de la partie inondée du delta intérieur du Niger, dans le triangle Mopti, Tenenkou et Yowarou. Ce centre s’étend de Ménaka, au Nord, au pays Mossi – l’entrante d’Adel Bagrou – au Sud de la Mauritanie et à l’Est de la région de Mopti. Les historiens notent que le chef de la Katiba Macina qui prônait, au début, un islam modéré s’est progressivement radicalisé au contact des prêcheurs pakistanais issus de la secte Daâwa, fichée sous l’appellation « Daawa Tebligh Jamaat », groupe implanté en Inde en Afghanistan et au Qatar, avant de « se faufiler » pour s’infiltrer en Afrique à la fin des années 90, finançant des mahadras en Mauritanie, en Algérie et en Lybie. Son influence s’est étendue au Mali en 2000 pour s’y fixer définitivement, ce qui explique les événements meurtriers enregistrés depuis dans ce pays.
Les Mauritaniens et l’élevage intensif sous les tirs de roquettes
Les violences se sont multipliées dans le « triangle malien des Bermudes » à partir de 2015. En Mai 2018, vingt civils sont tués ; le 23 Mars 2019, cent dix morts recensés lors de l’attaque d’Ogossagou ; quatre-vingt-quinze en Juin 2019, lors de celle d’un village dogon ; vingt-trois autres et trois cents disparus, dans les villages peulhs de Bidi, Sonkoro et Saran ; en Novembre 2019, ce sont cinquante-trois soldats qui sont tués ; le26 Janvier, c’est aussi le sort de vingt gendarmes non loin de la frontière mauritanienne. 18 Février2021, quarante civils tués ; Mars 2021, vingt-sept soldats, plus trente-trois blessés graves et vingt-sept disparus à Mondoro ; 30 Novembre 2021, quarante-trois soldats encore tués. Et malgré toutes ces drames, on a comme l’impression que les mauritaniens des zones frontalières de la wilaya du HodhEch-charghi continuent à« danser » au rythme des explosions d’obus de mortiers. Nécessité d’existence ou inconscience, ces bergers et éleveurs restent, malgré l’environnement risqué, en mouvement perpétuel à l’intérieur de la zone rouge des opérations militaires des forces armées maliennes et de leurs alliés.
La bataille médiatique pour la libre circulation des personnes et des biens
Dans une des vidéos circulant sur la Toile, un habitant de la moughataa d’Adel Bagrou disait que le chérif El Ataye avait demandé aux militaires maliens de ne plus « perquisitionner » les domiciles des habitants sous sa protection et de laisser ces gens tranquilles. Ce que les soldats maliens avaient « promis » à la figure emblématique des relations de bon voisinage entre les deux pays. Promesse évidemment difficile à tenir : scrupuleusement honorée, elle donnerait trop de liberté et possibilités à des mauritaniens versés en toutes sortes de trafics – armes, drogues, et êtres humains… – de s’infiltrer dans la population et s’adonner à des activités potentiellement dangereuses pour les forces armées maliennes. La réalité est bel et bien que celles-ci sont de plus en plus exposées à des violences dans cette zone à cause des groupes terroristes qui s’y déplacent avec la complicité des riverains de la frontière. On comprend ainsi le tintamarre de certains activistes mauritaniens : accusant les autorités mauritaniennes de laxisme et incapacité, elles espèrent obtenir d’elles qu’elles exigent de leurs homologues maliennes d’être moins regardantes sur leurs activités illicites.
Les enjeux de la bataille pour la libre circulation des personnes et « des biens » le long de la frontière
La Mauritanie est une vanne ouvrant sur Wagadou, cette forêt d’un grand intérêt stratégique pour tous les trafiquants et groupes armés opérant dans la région. Particulièrement pour l’État Islamique au Grand Sahara (EIGS), le Groupe de Soutien à l’Islam (GSI)et la Katiba Macina. Toujours et de tout le temps base-arrière de trafiquants avec ou sans poils, plus récemment base avancée de groupes armés dissidents, Wagadou est comme un lieu « naturel » de troc de toutes natures et cela implique des mauritaniens commerçant, soutenant ou, plus radicalement, affiliés à des groupes activistes. Ce n’est un secret pour personne.
C’est d’ailleurs pourquoi les autorités maliennes ont décidé de déclarer les forêts de Wagadou et Gringalé en zones militaires strictement interdites aux civils. Et les FAMA de lancer l’opération « Maliko » afin de déloger les combattants et trafiquants cachés de ce repaire long de 110 kilomètres et large de 40 à 50 kilomètres par endroits. Un véritable « tunnel » débouchant dans les premiers kilomètres de la frontière mauritanienne, d’une part, et, de l’autre, les régions de Ségou et Mopti directement sur Diabaly, Dioura et Nampala, noms qui sonnent, aux oreilles des soldats maliens, comme « l’enfer de non-retour ».
Cette partie du territoire malien échappe aux balayages-satellites, aveugle les caméras des drones (feuillages des arbres…) et constitue un grand risque pour les avions et hélicoptères des armées conventionnelles, à cause des armes anti-aériennes montées sur les véhicules mobiles des combattants. Véritable casse-tête – même pour les forces spéciales « avancées » – ces « poches de résistance » des terroristes sont des dangers permanents pour les armées conventionnelles qui ne peuvent y évoluer sans couverture aérienne. C’est là que la terrible bataille du 24 Juin 2011 opposa des éléments armés d’Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) à des forces spéciales mauritaniennes qui s’étaient aventurées dans ce guet-apens du territoire malien.
L’armée mauritanienne n’était pas préparée à se battre dans cette forêt hostile et nos vaillants combattants ne sont pas prêts d’oublier l’affrontement. Rabi ould Abdessamed, un responsable de ladite branche armée d’AQMI, rapporta par la suite que, comptant dans ses rangs de nombreux morts et blessés, l’armée mauritanienne avait dû finalement se replier en laissant derrière elle douze véhicules remplis d’armements lourds et de ravitaillements.
Quand des inconscients battent le pavé pour induire les autorités mauritaniennes en erreur
Revenons sur l’analyse du tapage médiatique selon laquelle il n’aurait d’autre but qu’éloigner les FAMA de la frontière mauritanienne. J’ai comme l’impression que cette stratégie des « activistes » n’a obtenu qu’un effet contraire, puisque l’armée malienne vient de boucler la zone pour la ratisser et obliger ainsi les « squatteurs » à se replier.
Maintenant et en conclusion, on peut se poser la question de savoir qui est derrière le dernier « massacre » que les Maliens refusent d’attribuer aux FAMA absentes, selon leurs chefs, de Robinet- Sud le 5 Mars. Et l’on peut aussi se poser la question de savoir si les morts dont on parle et dont les corps n’ont pas été identifiés formellement sont réellement des mauritaniens. Ce qui est certain, c’est que les images du génocide qui circulent sur les réseaux sociaux ne sont pas celles de mauritaniens.
À ce jour, le décompte macabre ne donne « que » dix-sept tués : les treize retrouvés égorgés le 22 Mars et les quatre morts identifiés formellement par le « témoin » Moulaye Ismaïl ould Mourtéji qui se dit « oculaire ». Si le nombre qui circule évoque quarante ou cinquante-trois victimes, il est possible que les mauritaniens qui font du « tintamarre » politique pour pousser les autorités mauritaniennes à « défricher » un terrain défavorable aux relations de bon voisinage unissant la Mauritanie au Mali aient pris en compte les morts maliens de la bataille de Nionocé qui n’a rien à voir les événements survenus le 5 Mars à « Rebinet el Ataye ».
En conclusion
De mon avis, les autorités mauritaniennes ont un très grand intérêt à confier le règlement de cette sale affaire à la sagesse du général ould Hanenna, ministre de la Défense et fin connaisseur de la problématique de cette frontière-poudrière. Celui qui jouait au football, enfant, sur un terrain dont l’un des camps était en Mauritanie et l’autre au Mali, devrait fort bien jouer, maintenant adulte responsable et conscient des enjeux divers de cette affaire, sur le terrain, diplomatique lui, dont l’un des camps est en Mauritanie et l’autre au Mali, pour l’intérêt des populations unies par des liens séculaires historiques. En tout cas, la gestion de cette crise ne peut être confiée aux spéculations de crieurs publics poussés par des intérêts inavoués à dégrader les relations entre les deux pays. Ce ne serait d’aucun intérêt pour la Mauritanie dont les pâturages de plus de vingt-et-une mille têtes de bovins se trouvent de l’autre côté de la frontière.
Mohamed Chighali