Le Premier ministre malien, Choguel Maïga, considère que le retrait des troupes militaires françaises du nord du Mali est un «geste salutaire» pour la paix et la sécurité de son pays.
Cette appréhension, largement partagée par la classe politique malienne et par la junte au pouvoir, contraste clairement avec l'opinion publique, qui a favorablement accueilli l'intervention militaire française de 2013. Cette dernière était destinée à déloger les mouvements extrémistes radicaux qui avaient usurpé le pouvoir dans la région d'Azawad et expulsé les autorités maliennes en place.
L'opération Serval, rebaptisée «Barkhane», a certes permis l'éviction des territoires qui étaient sous le joug des organisations terroristes ainsi que l’élimination de plusieurs figures emblématiques des groupes radicaux. Force est de constater cependant que la situation sécuritaire, qui est précaire, s'enlise, que l'action des mouvements extrémistes s'élargit et que les tensions interethniques gagnent du terrain, s'intensifiant dans le centre du Mali (conflit entre les Peuls et les Dogon).
L'État central malien, dont le champ de souveraineté ne dépasse plus, désormais, le tiers du territoire national, s'engouffre depuis une décennie dans une crise profonde.
L'expérience démocratique entamée dès 1991 à la faveur de la révolte qui a entraîné la chute du régime de Moussa Traoré s’est transformée en un sérieux marasme depuis le coup d'État de 2012, suivi par une alternance tumultueuse qui a débouché sur le dernier putsch de 2020.
Les enjeux sécuritaires liés à la question d'Azawad (nord du Mali à majorité touareg et arabe) ont constitué durant la dernière décennie le point d'achoppement de l'expérience politique malienne, souvent saluée comme un modèle en Afrique de l’Ouest.
Bilan en deçà des attentes
C'est dans ce cadre que s'inscrivait la politique d'intervention militaire française au Mali, qui visait principalement trois objectifs: vaincre les mouvements radicaux violents qui opèrent le long de la bande de Sahel, aider l'armée malienne à se restructurer, à se former et à se professionnaliser, entreprendre la médiation nécessaire entre le gouvernement de Bamako et les mouvements armés d'Azawad qui combattent pour une large autonomie au nord du Mali.
Le bilan de la stratégie française relative à ces trois objectifs est en deçà des attentes. La dynamique terroriste s'accroît, la situation de l’armée malienne ne s’est pas améliorée et les efforts de réconciliation nationale sont au point mort.
Depuis l'arrivée du président Emmanuel Macron au pouvoir, en 2017, la France a entamé une révision qualificative de sa politique sahélienne en encourageant la prise en charge des responsabilités sécuritaires par les armées des pays de la région, l'implication de l'Union européenne dans la stratégie d'endiguement du terrorisme et la recherche active des solutions consensuelles requises pour pacifier le champ politique local dans les pays qui sont en proie à des guerres civiles ou à des conflits interethniques.
C'est dans cet esprit que le gouvernement français a revu sa stratégie d'intervention au Mali. Il a décidé d'alléger son effectif militaire et a opéré un large redéploiement de son dispositif armé tout en imposant de fortes pressions sur les autorités de Bamako pour que soit appliqué l’accord d'Alger, signé en 2015 avec les mouvements d'Azawad.
Le double coup d'État du colonel Assimi Goïta en 2020 et 2021 a conduit à la rupture définitive entre la France, qui a appuyé les sanctions drastiques des organismes africains contre la junte au pouvoir, et le Mali, qui suspecte Paris de comploter contre sa stabilité.
Dès lors, le retrait des troupes françaises au Mali est devenu inéluctable face à la montée des sentiments antifrançais dans la rue. Ces derniers sont encouragés par les autorités militaires, qui sont engagées dans un nouveau deal avec la société militaire privée russe Wagner, proche du gouvernement de Moscou.
En s'accrochant au pouvoir pour une période transitoire de cinq ans et en s'aliénant la communauté africaine par le refus de se plier à ses conditions pour la restauration de la légalité constitutionnelle, la junte qui préside à la destinée du Mali rompt délibérément avec son environnement régional et avec la France, son principal partenaire international.
C'est ainsi que le retrait militaire du Mali, bien qu'il soit censé n’affecter en rien la stratégie sécuritaire française au Sahel (le Niger sera la nouvelle base de l'action militaire française), aura à coup sûr des répercussions sensibles sur les équilibres géopolitiques de la région et un impact décisif sur la situation interne du Mali.
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Seyid Ould Bah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.
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