Après le dernier coup d'Etat militaire au Burkina Faso et la tentative de renversement du régime d'Umaro Sissoko Embalo en Guinée Bissau, la région de l'Afrique de l'ouest vient de rentrer dans une spirale de chaos profond.
Au Mali, la transition militaire s'enlise et les perspectives de dénouement de la crise politique sont sombres, les sanctions infligées à la junte au pouvoir et le malentendu diplomatique avec la France risquent de dégénérer en véritable désastre sécuritaire et social.
La situation de la Guinée-Conakry n'est pas meilleure, et les signes alarmants sont perceptibles dans toute la région, du Niger à la Côte d'ivoire.
La majorité des pays de l'Afrique de l'ouest est une création coloniale française, elle entre dans ce qu'on appelle communément " le pré carré " de la France. C'est ainsi que les relations avec l'ancien colonisateur sont un point saillant de cette nouvelle conjoncture.
Il y a lieu de remarquer ici que les nouveaux régimes militaires ouest-africains ont démontré des signes d'hostilité notoires vis-à-vis de la France, à laquelle on a collé la responsabilité des échecs subis dans la guerre contre le terrorisme et le radicalisme violent.
La doctrine stratégique française a été récusée comme stérile et inopérante, au profit de l'approche sécuritaire russe qui serait plus efficace et moins onéreuse.
L'incursion des forces spéciales russes en Libye, Centre- Afrique, et récemment au Mali est le résultat de cette appréhension.
"La vieille gauche francophone et tiers-mondiste est de retour ", selon un grand spécialiste de la région, elle s'allie de nos jours avec la nouvelle génération des officiers issus des unités d'élite impliquées dans la guerre contre les mouvements radicaux armés.
Pour cette nouvelle génération, les enjeux démocratiques sont secondaires par rapport aux soucis sécuritaires pressants, qui menacent de plus en plus la pérennité de l'Etat central et son "monopole de la violence légitimité ", selon l'expression célèbre de Max Weber.
Le modèle traditionnel des transitions démocratiques en Afrique axé sur le rôle d'arbitrage et de facilitation joué par l'institution militaire dans un contexte de consensus national et de dialogue politique inclusif est frappé d'anathème dans la nouvelle configuration des régimes militaires.
Le parrainage des organismes régionaux et internationaux n'est plus sollicité pour la crédibilité et la réussite des processus transitionnels.
Conjurer le chaos
La question qui se pose actuellement consiste à jauger les ambitions des nouvelles autorités militaires à l'aune de la demande démocratique. Si des voix commencent à s'élever revendiquant des modèles hybrides de régime civilo-militaire pour régir les contextes de guerre civile et de rébellions armées qui menacent lourdement les entités nationales, d'autres s'orientent vers les nouvelles tendances populistes qui puisent leur référentiel des idées nationalistes fortes marquées par les idéaux d'enracinement identitaire ou de souverainisme indépendantiste.
La pensée libérale classique, à l'œuvre dans les anciens modèles de transfert démocratique en Afrique est ainsi largement fustigée comme non-adaptée au contexte local, ou comme survivance de l'idéologie de domination occidentale ou européenne.
Le danger à redouter ici a trait aux répercussions néfastes des approches souverainistes radicales, qui, tout en défendant le droit à l'indépendance et la liberté des choix et d'alternatives, finissent par piétiner les exigences essentielles d'émancipation politique et d'égalité citoyenne, piliers structurels de toute gouvernance démocratique.
Les défaillances incontestables des politiques d'ingérence occidentale en Afrique et les résultats mitigés des interventions armées étrangères pour endiguer dans la région les menaces terroristes, ne pourraient nullement légitimer les revirements antidémocratiques, la mainmise des autorités armées sur le champ politique, la confiscation de la volonté générale au nom des priorités sécuritaires.
Les contre- modèles de " démocratie souveraine " ( Russie ) ou " démocratie populaire" (Chine), ne sauraient être une issue de sortie des crises politiques endémiques en Afrique occidentale.
Le populisme tiers-mondiste de gauche est certes en vogue aujourd'hui en Afrique de l'ouest, il est une redoutable force de mobilisation dans les conjectures de crise politique et institutionnelle, mais ne pourrait déboucher sur une alternative viable et permanente. Conjurer le chaos qui frappe actuellement la région nécessite donc le recours tangible au credo libéral minimal, gage même de la stabilité politique.
Seyid Ould Bah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.
Twitter: @seyidbah
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