Je viens d'animer un atelier de recherche sur les problématiques théoriques du radicalisme violent et sur ses implications géopolitiques au Sahel à l'université d'Aïoun, dans l’est de la Mauritanie, qui a récemment créé un important centre d'études sur l'extrémisme à caractère «religieux».
Quatre grandes théories ont été échafaudées par les experts du radicalisme afin de définir ce phénomène planétaire:
- Une approche culturaliste forte qui oscille entre une vision normativiste politiste du corpus islamique (le radicalisme serait, dans cette optique, consubstantiel à l'islam comme religion) et une vision historique qui décèle le radicalisme dans le mode de pensée dominant de l'islam contemporain (le salafisme djihadiste);
- Une approche socio-économique qui renvoie le phénomène radical à ses déterminants structurels extradiscursifs, notamment aux effets des crises économiques et sociales et au désengagement de l'État de son rôle protecteur et de sa vocation intégrative comme agent d'emploi et de services sociaux;
- Une approche stratégique qui lie les racines de l'extrémisme à l'environnement géopolitique régional. Il serait, sous cet angle, le fruit des politiques d'intervention étrangère et des guerres extérieures qui se sont enchaînées dans l'espace arabo-islamique depuis le «djihad afghan» lors des dernières guerres d'Afghanistan et d'Irak;
- Une approche synthétique multidimensionnelle qui tend à cerner le phénomène extrémiste dans ses différents facteurs et dynamiques en pointant l'interconnexion entre les déterminants socio-économiques et stratégiques et le mode de formulation idéologique et normatif du discours radical.
Le nouveau radicalisme se fonde en revanche sur une attitude sectaire et étroite qui tend à exclure de la communauté musulmane tous ceux qui n'adhèrent pas pleinement à l'interprétation idéologique et politique de l'islam
Seyid Ould Abah
En se référant aux principaux travaux sur le radicalisme violent, nous avons privilégié cette dernière approche, axant notre contribution sur les composantes de la radicalité dans la culture islamique commune.
Il y a lieu de préciser que cette culture commune est, au fond, en rupture claire avec la tradition théologique et canonique de l'islam classique et qu’elle est le résultat d'une longue et large dynamique de mobilisation idéologique à grand spectre médiatique, qui s'est nourrie de la régression graduelle et continue de la tradition classique et de l'effondrement de l'institution religieuse, qui en est la garante.
Parmi les éléments doctrinaux à souligner dans cette évaluation critique de la culture islamique commune:
- La définition même de la foi, qui n'était dans l'islam classique l’objet d'aucune codification dogmatique rigide. La proposition qui détermine dans le sunnisme classique la nature de la croyance se limitait à un credo minimaliste et se résumait à l'interdiction d'excommunier quiconque adhère à la communauté de foi (Umma), au sens large et pluraliste du terme. Le nouveau radicalisme se fonde en revanche sur une attitude sectaire et étroite qui tend à exclure de la communauté musulmane tous ceux qui n'adhèrent pas pleinement à l'interprétation idéologique et politique de l'islam, d'où son penchant insurrectionnel et rebelle contre l'État et contre la société au nom d'une fallacieuse légitimité religieuse.
- La conception du djihad qui n'est nullement la version islamique de la «guerre sainte», mais plutôt l'effort individuel et collectif pour apporter le bien et affronter le mal, et dont le niveau le plus haut est le combat des passions nuisibles pour la pleine maîtrise éthique de soi. Malgré les divergences entre les théologiens et les docteurs de la religion sur la signification stricte du djihad (est-il limité à la défense de la communauté en cas d'agression extérieure, ou un acte de prédication par la conquête selon des normes éthiques strictes?), l'islam classique s’accorde sur la conditionnalité de la légalité étatique pour tout acte de guerre ou de traité de paix et sur la priorité accordée aux idéaux de concorde et de vivre-ensemble dans les relations avec les adeptes des autres religions.
- Les lois et les règlements qui régissent le statut des sujets non musulmans d’un État sous gouvernance islamique (les «dhimmis»), qui relèvent d'un contexte historique déterminé et ne sont plus applicables dans des sociétés modernes de citoyenneté égalitaire. Ces normes et ces juridictions, bien qu'elles soient mentionnées dans des traités du «droit musulman», n'englobent pas la totalité des options prévues par l'islam classique, dont l'expérience modèle reste le pacte de Médine instauré par le Prophète. Ce texte institue, lors de la fondation du premier État islamique, une communauté de solidarité et d'entraide entre des citoyens de confessions diverses.
Ces points doctrinaux méritent une attention particulière au sein de l'effort conceptuel et pratique à entreprendre pour la pacification des sociétés musulmanes actuelles.
Seyidould Bah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott,Mauritanie et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres en philosophie et pensée politique et stratégique.
Twitter: @seyidbah
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.