L'Afrique a l'opportunité de prendre toute sa place dans le gigantesque mouvement de décarbonation qui se profile. L'ensoleillement et le coût maîtrisé du foncier, notamment dans les zones désertiques, sa position géographique au sud de l'Europe devraient en théorie lui permettre de fournir une production d'hydrogène à grande échelle à un prix compétitif.
Amaury de Féligonde* et Antoine Huard**
Face à l'urgence climatique, la décarbonation constitue un des objectifs majeurs de la communauté internationale et de l'Union européenne pour le demi-siècle à venir. Celle-ci passe notamment par la transition énergétique, en priorité dans les secteurs industriels et du transport. Parmi les solutions incontournables pour réussir cette transition, figure le développement de la filière hydrogène. Ce gaz peut en effet constituer un vecteur énergétique capable de répondre aux besoins de nos économies, s'il est produit de façon décarbonée, c'est-à-dire sans utiliser ni méthane ni énergie fossile dans son process de fabrication.
L'Allemagne a ainsi lancé une initiative majeure, appelée « H2 Global ». Elle vise à faire produire l'hydrogène « renouvelable » dans des pays partenaires disposant de facteurs de production compétitifs (une électricité peu coûteuse essentiellement - en effet, l'électricité représente 75 % du coût d'une molécule d'hydrogène vert). Les industriels allemands fourniront la technologie, l'hydrogène étant ensuite importé en Europe - tel quel ou sous une forme transformée. L'hydrogène pourra y être utilisé comme carburant pour le transport routier, ferroviaire, maritime, voire demain le transport aérien. Il sera également utilisable pour décarboner des processus industriels notamment dans le raffinage, dans la chimie, dans la fabrication d'acier.
L'Afrique a l'opportunité de prendre toute sa place dans ce gigantesque mouvement de décarbonation. L'ensoleillement et le coût maîtrisé du foncier, notamment dans les zones désertiques, sa position géographique au sud de l'Europe devraient en théorie lui permettre de fournir une production d'hydrogène à grande échelle à un prix compétitif (autour de 2-3 dollars par kilogramme, contre 5-9 dollars en Europe).
Toutefois, comme pour beaucoup de méga-projets prometteurs sur le continent (miniers, gaziers), cette belle promesse d'avenir doit encore triompher de nombreux obstacles avant de se concrétiser.
Premièrement, ces projets doivent trouver leur modèle économique. Que l'on parle du projet Hyphen en Namibie (2 GW pour 10 milliards de dollars), des projets CWP (30 GW pour un coût global de 40 milliards de dollars) ou Chariot en Mauritanie, les montants d'investissement sont élevés, sur un marché qui demeure balbutiant, avec des prix de vente à terme et des clients incertains. Le climat des affaires de la majeure partie des pays africains demeurant peu favorable, leur compétitivité face à des pays misant à fond sur le développement de la filière reste à confirmer. L'Arabie saoudite, par exemple, est beaucoup plus expérimentée dans le développement de projets d'ingénierie lourde et dispose des financements considérables issus de sa rente pétrolière.
Deuxièmement, la mise en place de projets aussi ambitieux suppose des pays dans lesquels la stabilité politique et la situation sécuritaire soient assurées. C'est ce que vient de rappeler la crise du Cabo Delgado, qui menace des projets gaziers mozambicains à 20 milliards de dollars.
Troisièmement, ces projets doivent prendre en compte les enjeux d'acceptabilité sociale et environnementale. Les populations préexistent aux projets, même dans des zones désertiques. Elles souhaitent légitimement bénéficier des retombées des projets (emplois, services publics), qui fonctionnent le plus souvent comme des enclaves dans le pays, plutôt que comme de véritables pourvoyeurs de richesse pour les habitants. Enfin, la production d'hydrogène par électrolyse nécessite des quantités massives d'eau, peu disponibles en milieu désertique, ce qui requiert la mise en place d'unités de dessalement, posant des problématiques environnementales cruciales (rejets à terre ou en mer).
Enfin, l'hydrogène étant très coûteux à transporter, il devra être exporté sous forme transformée (e-méthanol ou ammoniac) contrairement aux hydrocarbures ou aux minerais, historiquement exportés bruts et transformés dans les pays importateurs. C'est une opportunité pour les producteurs africains d'utiliser l'hydrogène comme vecteur de développement local, leur permettant de s'industrialiser, de créer des emplois, de générer des rentrées fiscales et en devises. Encore faudra-t-il que ces projets s'inscrivent dans un marché mondial qui reste à établir, ce qui suppose le déploiement d'infrastructures et l'établissement d'une chaîne logistique adaptées. Sans se limiter à l'export, les pays africains peuvent aussi envisager d'utiliser l'hydrogène pour décarboner leurs propres transports, économiser massivement sur l'importation de carburants, et dépolluer leurs villes.
Les défis posés par le lancement de filières africaines intégrées « d'hydrogène vert » sont gigantesques. Ils sont à la mesure de l'opportunité pour certains pays du continent de devenir des acteurs majeurs du secteur, au niveau mondial. Le Maroc, la Mauritanie, la Namibie ou encore l'Egypte sont sur les rangs. L'avenir dira si ce nouvel « or vert » constitue une opportunité réelle pour les pays du Sud exportateurs, comme pour les pays du Nord souhaitant décarboner leurs économies.
(*) Directeur général Okan Partners
(**) Directeur général Verso Energy
Amaury de Féligonde* et Antoine Huard**
afrique.latribune.