Le processus de dialogue entamé depuis quelques mois serait-il déjà grippé ? Depuis la dernière réunion entre les acteurs de la majorité et de l’opposition, il semble en tout cas au point mort… ou presque. Lors de cette première rencontre convoquée par le président de l’UPR, les deux camps avaient à explorer les voies et moyens de mettre en place la commission de supervision des concertations. Chaque camp devait ensuite désigner ses représentants à ladite commission de pilotage. Depuis, les observateurs attendent.
Selon diverses sources concordantes, l’opposition peinerait à accorder les violons de ses membres. À commencer du président de l’APP, Messaoud ould Boulkheïr, toujours réticent à participer au dialogue dans les conditions actuelles. Pour lui, les concertations en vue ne devraient pas se jouer seulement entre les partis politiques :le sien réclame l’implication du président de la République afin d’apporter la caution de l’État au processus. L’homme fort de l’APP ne serait pas content, prétendent ses détracteurs, du traitement dont il serait l’objet de la part du président Ghazwani et de son parti qui n’avait pas apprécié les déclarations du leader hartani lors d’un meeting de huit partis de l’opposition. Certains de ses soutiens reprochent à Messaoud d’avoir trop fortement défendu la cause des Négro-africains – cela n’a pourtant rien de nouveau – oubliant son invitation au président de la République à démissionner, si celui-ci n’osait pas affronter les difficultés du pays.
Ceci rappelé, le président Messaoud et le président Ould Seyidi de Tawassoul avaient été, au lendemain de ladite rencontre des huit partis de l’opposition, conviés par le président de l’UPR à une rencontre à la Présidence mais les deux hommes avaient décliné l’offre. Cette attitude avait déplu au pouvoir dont le premier chef ne semble pas décider à recevoir le leader haratine. Une rencontre entre les deux pourrait peut-être fait bouger les lignes… Pour certains analystes, Messaoud ould Boulkeïr estimerait que le président Ghazwani semble accorder plus d’intérêt à des acteurs politiques loin de sa trempe, alors qu’il avait été, lui, un des premiers soutiens du candidat.
L’autre réticence proviendrait du président de l’IRA, Biram Dah Abeid. Le député de Sawab a choisi de faire cavalier seul, réussissant à tirer avec lui le président du parti dont il est député. Ould Homa qui composait avec le reste de l’opposition ne participe plus, selon nos sources, aux réunions de celle-ci. Biram a opposé un niet catégorique à la délégation venue à son domicile pour le convaincre de rejoindre le collectif des opposants. Selon diverses confidences, il aurait même tenu des propos peu courtois à ses visiteurs. Et le voilà suspecté, depuis, de rouler pour une place parmi les six que l’opposition devrait envoyer à la commission de préparation du dialogue. Sa proximité avec Ghazwani expliquerait-elle cette posture du président de l’IRA tout auréolé des succès de ses récents voyages au Nigéria et aux USA ?
Mais que gagneraient l’APP et l’IRA/RAG à se détacher de l’opposition et à faire cavaliers seuls ? Que peuvent-ils faire en dehors de celle-ci, aussi perturbée soit-elle ? Peuvent-ils assumer la responsabilité de faire pâtir le dialogue que tous réclament ? Telles sont les questions que nombre d’observateurs se posent. Face à l’attitude des deux leaders récalcitrants, le reste de l’opposition : Tawassoul, UFP, RFD, CVE et CVE/VR (coalitions de partis politiques à leadership négro-africain) et UNAD poursuivent leur bonhomme de chemin. Ils doivent d’ailleurs se réunir sous peu pour désigner enfin leurs représentants au comité de pilotage. Ils espèrent que d’ici là les deux autres partis finiront par les rejoindre ; sinon, à tout le moins, le président Messaoud.
Il y a aussi que les deux camps – opposition et pouvoir – ne s’accordent pas sur la présidence de la commission de pilotage. L’opposition penche pour une personnalité d’envergure et consensuelle désignée par le président de la République : une façon d’impliquer davantage celui-ci. Car Ghazwani a voulu rester, jusqu’à ce jour, « au-dessus de la mêlée des parti politiques » mais cette position lui ôterait, selon l’opposition, toute responsabilité, notamment quand il s’agira de mettre en œuvre les résolutions adoptées lors des concertations. Quant à l’UPR, elle voudrait, selon des sources dignes de foi, soit assurer ladite présidence, soit voir se mettre en place une coprésidence majorité-opposition. Et s’en tenir, au final, à la volonté du président de la République.
Mort-né ?
L’absence de dialogue pourrait faire l’affaire des « faucons » du régime clamant qu’il n’y a pas de crise nécessitant des concertations nationales, ce que le Président lui-même disait, avant de céder aux plaintes de l’opposition. Toute lenteur pourrait apporter de l’eau à leur moulin, jouant également sur l’agenda politique en perspective. En ce que, s’étirant en longueur, le dialogue pourrait occuper le gouvernement et tous les acteurs politiques ; en somme, l’ensemble du pays. Certaines résolutions du dialogue pourraient-elles demander quelques modifications de la Constitution ?II faudrait alors passer par référendum ou voie parlementaire…Alors que les législatives pointent à l’horizon 2023, suivies, l’année suivante, de la présidentielle. Des arguments que les faucons useront pour battre en brèche le dialogue.
Ils redoutent que celui-ci ne serve de prétexte pour passer aux cribles les insuffisances du gouvernement, loin, comme le sait tout le monde, de faire l’unanimité : il peine non seulement à évacuer le dossier de l’ex-président Ould Abdel Aziz et à lutter efficacement contre la gabegie mais aussi à enrayer la hausse continue des prix des produits vitaux. L’équipe de Mohamed Bilal est qualifiée d’«amorphe » ; l’incompétence de certains départements ministériels et leur incapacité à absorber les investissements ont été épinglées par certaines grosses pointures du gouvernement. Le Premier ministre a lui-même reconnu, devant le Parlement, les insuffisances et lenteurs dans l’exécution du programme électoral du président de la République… On se souvient des rumeurs selon lesquelles, mécontent de l’action de son gouvernement, le président de la République avait quitté le Conseil des ministres sans lever la séance. Depuis quelques jours, d’autres rumeurs évoquant l’imminence d’un remaniement du gouvernement circulent en conséquence dans les bureaux et salons… Et l’on n’oubliera pas, ici, que les rumeurs, en Mauritanie, sont souvent des « fuites » de salons de hauts responsables de l’État.
La réalité est que la gouvernance d’Ould Bilal ne fait que peu d'heureux. Aussi note-t-on comme une lame de fond, encore timide certes mais perceptible, au sein de la population, surtout la plus démunie qui n’arrête pas de s’appauvrir. Même si les citoyens ne sortent pas dans la rue pour protester contre la dégradation continue de leurs conditions de vie, celle-là est bel et bien vécue et ressentie cruellement. Des voix s’élèvent pour dire que Ghazwani ne fait pas mieux qu’Ould Abdel Aziz dans le domaine économique et social. Bon nombre de mauritaniens reprochent à leur raïs de « se murer dans un silence préoccupant » ou de se complaire dans l’autosatisfaction, comme lors de son discours du 28 Novembre. Une attitude dénoncée par le président Messaoud ould Boulkheïr, déclarant au cours d’un meeting : « […] un président qui n’ose pas prendre des décisions audacieuses doit démissionner ». Une déclaration qui suscita, comme dit tantôt, une réaction musclée de l’UPR.
Dalay Lam