Le dernier forum d'Abu Dhabi sur la paix, qui a eu lieu récemment, s’est intéressé à la problématique de la «citoyenneté globale» dans son ancrage conceptuel religieux.
Les différents représentants des institutions religieuses issues des trois religions monothéistes se sont unanimement déclarés attachés aux notions, nécessaires et judicieuses, de citoyenneté et de pleine adhésion à l'État national.
Si la question théologique et normative du rapport entre la communauté de confession et l'entité politique souveraine a été posée dans des contextes différents selon ces trois religions, elle a été soulevée avec acuité particulière dans le contexte islamique contemporain.
L'idée du califat comme institution politique susceptible d’incarner la consubstantialité du lien religieux et de la forme de pouvoir pour représenter la totalité de la communauté musulmane n'aurait été qu'une utopie tardive, reflétant l'état de décomposition du dernier empire islamique, le sultanat ottoman.
L'intérêt du forum d'Abu Dhabi est d'avoir souligné avec force la compatibilité de l'islam en tant que dogme et jurisprudence avec l'idée moderne de citoyenneté. Cette dernière est la nouvelle traduction du principe de la communauté solidaire et unie, qui est à la base même de la conception islamique du lien politique.
La suppression du califat, en 1923, bien qu'elle n’ait constitué qu’une consécration symbolique d'une réalité effective déjà scellée depuis une longue période, a été vécue comme une blessure narcissique dans la conscience des élites traditionnelles du grand Moyen-Orient.
Abdallah Laroui a démontré à travers ses écrits sur l'histoire politique de l'islam que le modèle du califat a oscillé entre une pratique impériale qui dépassait largement les contours circonscrits du monde de l'islam et une utopie des fuqaha (docteurs de l'islam). Ces derniers, tout en le présentant comme l’idéal absolu à atteindre, le considéraient comme un horizon ultime qui dépassait les capacités humaines.
Islam compatible avec citoyenneté
Il y a lieu de reconnaître ainsi l'usage anachronique d'une pratique historique datée dans le discours de l'islam politique actuel et qui est susceptible de réduire le message spirituel et éthique de la religion en un système idéologique et normatif.
L'intérêt du forum d'Abu Dhabi est d'avoir souligné avec force la compatibilité de l'islam en tant que dogme et jurisprudence avec l'idée moderne de citoyenneté. Cette dernière est la nouvelle traduction du principe de la communauté solidaire et unie, qui est à la base même de la conception islamique du lien politique.
Le cheikh Abdallah ben Bayyah, président du forum d'Abu Dhabi pour la paix, a présenté une lecture édifiante et perspicace du traité constitutif de la communauté de Médine établi par le prophète de l'islam, la première constitution de l'État à avoir regroupé les musulmans, les juifs et les différentes tribus arabes qui vivaient dans la Ville sainte. Cette charte qui régit la communauté est fondée sur la solidarité, la non-agression et la défense commune. Ces principes régulateurs sont ceux qui définissent actuellement les paramètres de la citoyenneté égalitaire, dans le cadre d'un État central et souverain.
Le débat sur la citoyenneté et l'État national est souvent miné et perverti par le faux problème de la sécularisation, souvent réduit à l'évacuation du religieux de l'espace public.
Les régimes de sécularisation sont en effet divers et ne sauraient être identifiés, dans l'absolu, à une laïcité antireligieuse.
Si la notion de citoyenneté présuppose une communauté d'appartenance et de destin uniquement basée sur le partage d'une identité nationale et d’intérêts communs, l'expérience historique atteste que les racines de cette communauté portent le plus souvent la marque et la trace d'une tradition religieuse unificatrice, qui n'est pas nécessairement monolithique ou figée.
Même avec le mouvement de sécularisation, les traditions religieuses, dans la plupart des démocraties occidentales laïques, ont continué à jouer ce rôle de socle culturel de l'imaginaire collectif.
L'historien et sociologue turc Serif Mardin a mis en évidence le fait que la laïcité républicaine turque a été le fruit d'une conception religieuse de la nation bâtie sur le principe de l'adéquation de la communauté de confession et de la communauté politique après l'accomplissement de la dynamique de dislocation de l'empire multiethnique et multiconfessionnel sous la pression des puissances européennes.
Le religieux, dans ce cas de figure, est inséré dans le référentiel identitaire comme un élément clé de la construction de la nation, bien qu’il soit évincé de la structure institutionnelle de l'État conçu comme opérateur administratif et réglementaire de la vie en commun, et non un régime de vertus publiques, selon la vieille approche de la discipline politique.
Seyid ould Bah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott,Mauritanie et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres en philosophie et pensée politique et stratégique.
TWITTER: @seyidbah
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