Le Président s’en est affligé à Ouadane : « notre héritage culturel est terni […] par les survivances de l’injustice » générée par le système des castes dont les couches réputées « inférieures » furent – et demeurent à l’ordinaire – « les bâtisseurs de la ville et les artisans » de toute ingénierie, à l’instar, au Sud du pays, des producteurs agricoles. En bas de l’échelle sociale, « alors que le bon sens voudrait qu’elles en fussent à la tête », s’est-il insurgé, « acteurs de développement à l’avant-garde des bâtisseurs de la civilisation ».
Ces mains étaient censées n’avoir pas de tête personnelle. 10% de nobles, guerriers ou zawayas, dépourvus, eux, de bras, pensaient pour elles. Et le système fonctionnait, profondément, viscéralement inégalitaire. Avec l’arrivée du principe « un homme, une voix », ces inégalités auraient dû logiquement disparaître. Or elles ne cessent de reprendre du poil de la bête, comme en témoigne la refloraison actuelle des « expressions tribales », notamment à chaque visitation présidentielle. Masochistes, donc, les Mauritaniens ? Ou tout simplement prosaïques ?
C’est que le vieux système avait ceci de protéger un tant soit peu tous ses membres, leur assurant au minimum la survie dans un milieu naturel des plus difficiles. C’est à cela que l’État de Droit prétend aujourd’hui, pour tous les citoyens, sans « privilège ni devoir sur la base d’une appartenance quelconque autre qu’à celui-là », a rappelé avec éloquence notre Président. Le rappeler, c’est bien ; le réaliser, c’est beaucoup mieux. Et l’impuissance à contrôler les hausses continuelles des prix des plus élémentaires nécessités, tout comme celle à établir un système universel réellement efficace de sécurité sociale, prouvent tout le contraire. « Si chacun aujourd'hui comprend, plus ou moins précisément », disait déjà l’un de mes amis lors de la Transition de 2005-2007, « l'impérieux devoir de l'État à assurer la cohésion nationale, l'intelligence de celui-ci, de ses plus éminents responsables à ses plus humbles exécutants, consiste à donner aux forces populaires suffisamment de coudées franches pour qu'une symbiose puisse se réaliser entre toutes ». Où en est-on, quinze ans plus tard ?
Ahmed ould Cheikh