Le mal de jambes est très répandu depuis quelque temps. Beaucoup de personnes en souffrent. Un kinésithérapeute déclare que le phénomène est devenu pandémique. Il en voit régulièrement, constate-t-il, et cela touche les personnes de tout âge, alors qu’il ne concernait naguère que des personnes âgées atteintes d’arthrose ou de rhumatisme. Au Sud du pays, ce nouveau phénomène ne passe pas inaperçu. Il est très fréquent d’y rencontrer des personnes qui peinent à se déplacer, s’asseoir ou se relever. Pour y arriver, note avec humour quelqu’un souffrant de ce mal, il faut « quatre appuis », comme on dit en lutte sénégalaise, avec ou sans frappes. Certains, pour s’asseoir, retombent de toute leur hauteur. Dans les mosquées et autres assemblées d’hommes ou de femmes, on est frappé par les difficultés que certains éprouvent à s’acquitter de leur devoir religieux. On voit à Nouakchott des fidèles qui se munissent d’une chaise pour accomplir l’office à la mosquée, incapables qu’ils sont de s’agenouiller.
Dans le monde rural, les victimes de cette maladie tardent, trop souvent hélas, à consulter un spécialiste et il faut l’insistance de leurs proches pour qu’elles se rendent à Nouakchott à cette fin. Les personnes âgées se résignent : « c’est à cause de l’âge », disent-elles ; ou encore : « je n’ai pas les moyens pour m’attacher les services des médecins ». Et faisant ainsi le lit des douleurs et de la propagation des infections, elles se retrouvent à ne pouvoir plus se déplacer qu’avec des cannes, voire à rester cloué au lit avec de grosses difficultés à faire face à des besoins essentiels.
Certains se rendent chez des tradithérapeutes et autres guérisseurs pour s’entendre dire qu’elles sont victimes d’un « vent », noir ou rouge, le plus souvent lié à l’hypertension artérielle. Mal soignés, ces « vents » peuvent aussi occasionner des comas ou des AVC. Les rhumatologues de Nouakchott ne chôment pas non plus. Les malades qui ont de quoi payer une consultation à 8000 MRO font la queue devant les cabinets privés, les autres courent pour rattraper un spécialiste dans les hôpitaux publics.
Une telle situation signale l’émergence d’un problème de santé publique et devrait interpeler les étudiants en thèse, les chercheurs et toute l’administration sanitaire. Mais, hélas, les jeunes stagiaires rencontrés dans nos centres de santé semblent beaucoup plus préoccupés par leur smartphone que par les perspectives de recherche. On entend parler de la transformation de la Faculté de médecine en Centre Hospitalier Universitaire (CHU).Serait-elle de nature à les inciter à se lancer dans le créneau ?
Le « goût » à quel prix ?
Pourquoi ce phénomène s’amplifie-t-il ? D’aucuns pensent que c’est à cause de l’alimentation et pointent du doigt les bouillons alimentaires dont on assiste, depuis quelques années, à la multiplication. Cubes Maggi, Jumbo, Dolly, Amy, Kady, Jongue, Joker, Tak, Mami, Khadija, Dior, Tem Tem, piments et autres moutardes dont on ignore la composition ont envahi les marchés et les femmes ne s’en privent pas pour « épicer les plats », disent-elles, notamment Thiéboudiène, Yassa, soupe Kandia, Mafé, riz au poulet ou à la viande… Lors des cérémonies de familles, mariages, baptêmes et autres grandes retrouvailles, nos dames usent même du café et du sucre grillé pour « rendre les plats succulents ». Mais, cubes ou autres, ces ingrédients finissent bel et bien par ôter tout goût naturel aux aliments. « De véritables poisons », affirment certains. Des rumeurs prétendent même qu’au contact d’ustensiles en aluminium, divers de ces additifs dégraderaient dangereusement la nourriture.
À ce propos, on assiste, depuis quelque temps, à un vrai conflit de genre et de génération dans les familles. Les jeunes et les femmes se plaignent qu’un plat sans bouillon n’a aucun goût ; ils disent même que ce n’est pas « mangeable ». Quand les papas s’y opposent, les femmes – surtout les jeunes filles – qui tiennent les marmites profitent de l’absence ou de l’inattention de ceux-là pour ajouter lesdits cubes. Au point qu’en certaines maisons, le chef de famille exige qu’on lui prépare son plat à part.
De leur côté, les industriels se veulent rassurants. « Tous les ingrédients utilisés sont approuvés par les autorités réglementaires », déclare sur son site Nestlé, le fabricant des produits Maggi. « Nous avons de surcroît mis en place un système de qualité rigoureux pour vérifier la qualité et la sécurité de nos produits tout au long du processus de fabrication, des matières premières au produit fini. Au cours de leur fabrication, les produits Maggi subissent ainsi plus de quatre cents contrôles qualité ».Quant à Patisen qui fabrique les bouillons « Adja » au Sénégal – où les cubes se sont retrouvés taxés à 25% en 2021 – il écrit sur son site : « Contrairement à certaines idées reçues, les bouillons ne contiennent aucun ingrédient dangereux pour la santé. Ils servent uniquement à relever le goût des préparations. Toutes les accusations présentant les bouillons comme des produits toxiques ou nocifs sont donc complètement fausses et totalement mensongères. Il n’en reste pas moins que, du point de vue alimentaire, il faut évidemment éviter les excès : il n'est donc jamais bon de manger trop gras, trop sucré, trop épicé ou trop salé ». Mais les témoins à charge affirmant se porter mieux après avoir abandonné tel ou tel de ces additifs n’en sont pas moins réels… et assez nombreux pour entretenir les interrogations.
DL