Mais qu’attend le Chef de l’État pour augmenter de toute urgence le SMIG ? (1ère Partie) Par Béchir Fall, Juriste et Expert International en Droit du Travail et Stratégies Sociales

1 December, 2021 - 23:35

Les attentes sociales sont à un niveau de tension extrême. Et le SMIG n’a pas été relevé depuis plus de dix (10) bonnes années. Par conséquent, le SMIG et tous les salaires du secteur privé et parapublique devront être augmentés sans délai d’un minimum de 20 000 MRO. Cette présente publication plaide et défend la cause des travailleurs titulaires des bas salaires et, de manière générale, tous ceux soumis au code du travail.

Dans ce cadre, le code du travail dispose en son article 195 ce qui suit : «Un décret, pris après avis du conseil national du travail, de l’emploi et de la sécurité sociale fixe le taux du salaire minimal interprofessionnel garanti ». Cet article tranche clairement la question relative à la compétence exclusive du Chef de l’État pour fixer un nouveau SMIG qui tiendrait compte des dix ans de galère sans SMIG ainsi que d’une envolée sans précédent des prix depuis un an.

Le Chef d’État devra annoncer au 28 novembre sa décision de relever le Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti de 20 000 MRO au minimum pour le porter à 50 000 ouguiyas, à défaut de le doubler pour atteindre 60 000 MRO.

Plutôt que de chercher des solutions dans la galaxie de l’encadrement des prix, d’office vouées à l’insuccès ou forcément insuffisantes, l’unique alternative, à portée de main du Chef de l’État, est d’augmenter le SMIG, dans l’urgence absolue.

1. Nécessaire réappropriation du SMIG par le pouvoir exécutif et suppression immédiate de l’usurpation de ce pouvoir par les partenaires sociaux depuis une quarantaine d’années

Le Président et son gouvernement devront vite se réapproprier cette prérogative présidentielle de relever le SMIG qu’une malhabile erreur d’interprétation des textes depuis plus de 40 ans par le ministère en charge du Travail attribue injustement aux partenaires sociaux et, de manière implicite et condamnable, à la confédération nationale des patrons qui se voit offrir un cadeau immérité sur un plateau d’argent pour retarder autant que possible toute perspective de relèvement du SMIG depuis des décennies.

La dernière augmentation date de 2011. Une éternité pour les salariés du secteur privé et parapublique. Voilà un exemple édifiant d’usurpation de pouvoir qui aura marqué négativement la gestion chaotique du SMIG depuis ces dernières décennies et causé des injustices insoutenables aux travailleurs, en particulier les titulaires de bas salaires.

L’implication directe du président de la République et de tout son gouvernement devrait mettre un terme définitif au détournement de procédure sans précédent commis par l’administration en charge du Travail durant toutes ces quatre dernières décennies.

Se pourrait-il qu’une personne de bonne volonté ou un mécène influent ou une âme charitable acquise à la cause de la brave ménagère mauritanienne, dont le panier s’est considérablement désempli et la marmite à demi vide depuis un an, puisse aider à sensibiliser nos dirigeants de l’exécutif sur le sens et la portée de la présente publication (notre mail [email protected] à toutes fins utiles).

Mais pourquoi ne dit-on pas au président de la République et ne lui explique-t-on pas, car il ne le sait sans doute pas, qu’il lui appartient à lui, et à lui seul, de prendre par décret l’initiative, l’opportunité et la décision de fixer un nouveau SMIG, après avis du Conseil National du travail, de l’emploi et de la sécurité sociale comprenant en son sein des membres représentant les travailleurs et les employeurs pouvant exprimer librement leurs points de vue.

C’est cela l’unique procédure conforme à notre législation de travail depuis toujours, définie à l’article 195 du code du travail ainsi qu’à la convention quasi centenaire de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) N°28.

L’objet de cette convention de l’OIT est uniquement de recommander aux États signataires que les partenaires sociaux soient consultés avant de fixer le SMIG. Cette consultation, une formalité sans plus, ne lie pas le Président. La lecture de cette convention qui suggère uniquement la consultation des partenaires sociaux est implicitement un démenti formel que des syndicalistes et patrons puissent fixer le salaire minimum.

2. L’origine du détournement de procédure ? Une monumentale erreur d’interprétation de l’article 35 de la convention collective du travail

Je ne comprendrais non plus jamais la carence de notre administration du Travail incapable d’assumer correctement sa mission d’appliquer en toute rigueur les textes relatifs au SMIG. Sur quelles bases juridiques a-t-elle détourné une procédure prévue par une loi pour le président de la République, à destination des partenaires sociaux ?

Et pourquoi le fait-elle sur la base d’un texte hiérarchiquement inférieur aux décrets et arrêtés ? A fortiori aux lois ? Le texte sur lequel s’appuie le ministère du travail depuis plus de 40 ans est un alinéa parmi d’autres de l’article 35 de la convention collective du travail.

Que stipule cet article 35 alinéa III de la CCGT, titré classification ? « Les salaires minimes de chaque catégorie sont fixés et modifiés dans le territoire national par une commission mixte composée en nombre égal d'employeurs et de travailleurs relevant des organisations syndicales signataires de la présente convention collective ». Une lecture simple que tout observateur pourra effectuer permet de tirer des enseignements suivants.

En premier lieu, le terme SMIG ne figure nulle part dans l’article en question. Par conséquent,.la compétence des partenaires sociaux concerne uniquement les salaires minimaux hiérarchisés des catégories des travailleurs.

C’est un autre aspect du droit du travail qui n’a strictement rien à voir avec le salaire minimum interprofessionnel garanti. Lequel SMIG relève in extenso de l’article 195 du code du travail et de la compétence exclusive du président de la République.

Dans ce cadre, le code du travail distingue clairement dans le chapitre II intitulé «Éléments de salaires» ainsi que dans la section I intitulé «Salaire minimum interprofessionnel garanti» d’une part, et «salaires minimaux hiérarchisés», d’autre part».

C’est l’administration du travail qui a créé la confusion en ne sachant jamais lire entre les lignes alors que le texte de loi qu’est le code du travail a opéré une distinction majeure et très nette entre les deux expressions.

En second lieu, les juristes et même des non juristes pourraient remarquer qu’un texte d’une convention collective du travail largement en dessous déjà des règlements, arrêtés et décrets, et très en dessous de la loi que constitue le code du travail, n’a jamais vocation de suppléer une disposition impérative d’une loi.

D’où l’inqualifiable détournement de pouvoir et de procédure qui accorde à tort aux partenaires sociaux un attribut présidentiel depuis 40 ans. On peut constater que la sortie tardive du décret publié le 24 octobre 2011 par exemple pour la dernière augmentation du SMIG du 1er septembre 2011 suite à l’accord des partenaires sociaux en août 2011 n’y change absolument rien. Dans cet exemple, le décret présidentiel intervient près de 8 semaines après la décision des partenaires sociaux.

3. L’inqualifiable détournement de procédure transférant une compétence présidentielle sur le SMIG aux partenaires sociaux et plus directement aux hommes d’affaires du Patronat

L’erreur monumentale de l’administration du travail, que je qualifierai de lourde faute professionnelle conduisant à détourner une procédure légale, attribuant le relèvement du SMIG par décret du président de la République, aux hommes d’affaires, entre autres, constitue le plus grand scandale social de ces cinquante dernières années.

Par ce procédé l’administration commet un double détournement, d’abord de pouvoir en prenant un acte ou décide d’une mesure dans un but qui n’est pas celui prévu par les textes, ensuite de procédure lorsqu’elle recourt à une procédure autre que celle normalement prévue.

Détourner la procédure de fixation du SMIG a ceci d’humainement tragique pour les droits sociaux. C’est confier à tort l’initiative et l’opportunité du SMIG ainsi surtout le sort des travailleurs, non pas au président de la République auquel revient de droit ce privilège, mais aux partenaires sociaux, en réalité aux hommes d’affaires qui gèrent le patronat.

Les représentants des travailleurs, des syndicalistes acquis aux droits des travailleurs, ne peuvent rien entreprendre sans l’accord des employeurs. Et naturellement, ces derniers ne se précipiteront jamais autour d’une table pour se concerter sur un sujet relatif à une augmentation du SMIG.

J’insiste qu’en fin de compte le pouvoir de fixer le SMIG a été offert aux puissants hommes d’affaires du patronat par une administration ne maitrisant guère les fondamentaux du droit du travail. On imagine mal que des confédérations syndicales de travailleurs, qui constituent l’autre versant des partenaires sociaux, puissent retarder l’adoption du SMIG. Ils sont par principe toujours favorables à son augmentation.

Alors interrogeons-nous ? Qui bloque le SMIG depuis 40 ans ? Et quel est l’intérêt des hommes d’affaires pour augmenter le SMIG ? Aucun. C’est pourquoi ils ne se pressent jamais pour augmenter le SMIG. Et, c’est aussi pourquoi depuis la mise en place de ce mécanisme par le code du travail, détourné au profit de la convention collective, le SMIG plafonne tristement à un montant dérisoire et humiliant de 30 000 MRO.

Et c’est aussi pourquoi en quarante années, le SMIG n’a été augmenté que trois (3) fois. Seulement trois fois ! En 1981, 2005 et 2011. Cela fait déjà plus dix (10) ans, depuis 2011, qu’on attend qu’il soit relevé face à une flambée massive des prix. Mais les hommes d’affaires ne se presseront jamais pour augmenter le SMIG. Ils préfèrent plutôt continuer d’accélérer pour augmenter les prix. C’est par ce procédé inique que les bas salaires ont été impitoyablement maltraités depuis fort longtemps.

Qui est responsable de ce détournement de procédure ? L’administration du Travail, bien sûr, depuis plusieurs décennies. Mais la succession des administrations de travail n’a jamais su mettre un frein définitif à une procédure illégale, injuste et inique à l’égard des travailleurs.

Toute la carence de l’administration en charge du travail se trouve réunie dans cette gouvernance chaotique du SMIG au détriment des dizaines de milliers de travailleurs. Et jusqu’à ce jour, le cycle infernal du mauvais traitement des travailleurs payés au SMIG persiste.

4. Deux facteurs cruciaux à l’origine de la carence de l’administration en charge du Travail et de la Protection sociale

Tout au long de cette publication, une réalité constante se répète : c’est la carence de l’administration en charge du Travail que j’ai soulignée assez souvent pour marquer son rôle dans la piètre gouvernance du SMIG. Mais je ne suis pas le seul à soulever les lacunes de l’administration en général.

D’illustres dirigeants de notre pays l’ont déjà mise en relief depuis plusieurs mois. Faut-il préciser que mettre le doigt sur des lacunes de l’Administration ne suffit pas. Il faudrait surtout envisager le traitement radical des graves dysfonctionnements qui la caractérisent.

Une constante analyse et un diagnostic sans faille fait déceler deux facteurs cruciaux à l’origine du défaut de performance de l’administration mauritanienne dont la séquence relative au SMIG permet d’en mesurer l’impact.

Quels sont ces deux facteurs ? D’une part, l’hostilité injustifiée de recourir à l’expertise de haut niveau pour booster sa performance et, d’autre part, l’alarmante baisse de la formation pour assurer le perfectionnement de nos hauts fonctionnaires.

Je suis stupéfait de constater que toutes les lettres que j’envoie à certains ministres pour leur offrir mes services d’expertise dans le domaine du droit du travail, de la protection sociale et des stratégies sociales se heurtent à un mur. Même pas un rendez-vous pour discuter de l’intérêt d’une collaboration. J’aurais pu depuis longtemps inverser très facilement la mauvaise gouvernance du SMIG, entre autres thématiques, si l’on m’avait consulté auparavant.

À croire qu’un expert qui a fait ses preuves sur le plan national et international suscite la méfiance et fait hérisser les cheveux de certains de nos ministres. Et pourtant, quoi de plus normal et naturel de se faire accompagner dans certains dossiers complexes et à fort impact social par des compétences distinctives ayant acquis un savoir-faire exceptionnel et obtenu une réputation dans les cénacles internationaux.

Le second facteur est l’impératif de la formation professionnelle qui se meurt à petit feu selon mon expérience. La plus belle mécanique, un véhicule dernier cri neuf, ne peut se passer d’entretiens périodiques, sinon elle cessera de rouler.

A fortiori un humain, un haut fonctionnaire dont la compétence est menacée par essence d’obsolescence selon le principe de Peter. Nul n’échappe à ce tarissement des connaissances cognitives et du savoir-faire s’il n’est pas entretenu par un perfectionnement professionnel régulier.

Mes tentatives de sensibiliser des décideurs sur le créneau de la formation échouent souvent. Or il y a une vingtaine d’années les actions de formation fleurissaient un peu partout. Aujourd’hui, la médiocrité plane partout. Mes programmes de formation sur des thèmes de recherche très poussés ont été soit supprimés, soit reportés sine die, faute de candidats.

Dès lors, devrait-on s’étonner qu’aucun juriste de l’administration du travail n’ait pu lire correctement les articles du droit du travail sur les modalités de fixation du SMIG depuis une quarantaine d’années ? Il eût pourtant suffi d’un ou deux séminaires de formation animés par un expert réputé du domaine, il y a quelques années, pour mettre les choses au point et apporter une substantielle valeur ajoutée qui aurait pu aider à l’analyse exégétique des textes en droit du travail.