Depuis quelques temps, on parle beaucoup du sous-secteur de la pêche artisanale dans les réseaux sociaux et au niveau de certains cercles officiels et para-officiels.
C’est suite surtout à la suppression, dans la loi de finances 2022, de l’exonération du carburant destiné à son sous-secteur.
Au regard des circonstances sensibles dans lesquelles intervient cette décision du gouvernement, il est besoin d’aider le public à comprendre la portée de cette dernière en suscitant un débat sur les voies et moyens de repenser, à cette occasion, le sous-secteur de la pêche artisanale en vue d’en faire un sous-secteur formel, moderne, bref un sous-secteur en situation de rompre définitivement avec la confusion, l’anarchie et l’injustice.
Une concertation inclusive et une coordination étroite des démarches à entreprendre à ce sujet, seraient le meilleur gage pour parvenir à une solution consensuelle liant l’utile à l’agréable : garantir que les aides de l’Etat aillent directement aux ayants droit et éviter qu’elles continuent à profiter à de grands promoteurs mauritaniens, à des étrangers dans les différents segments de la pêche commerciale et des personnes qui n’ont aucun lien avec le secteur des pêches.
Etant, en ce moment, à la croisée des chemins, il importerait alors de rappeler qu’est-ce la pêche artisanale, en général, comment se pratique-t-elle chez nous et quelle est sa situation actuelle après plus de 40 ans en tant qu’activité prioritaire dans les programmes de développement du secteur des pêches et du gouvernement. Ce sont là des préalables à toute proposition visant à assainir le sous-secteur de la pêche artisanale et à le rendre effectivement formel.
Définitions variables
Pour l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO), spécialisée dans les questions de pêche en général, il n’existe pas une définition assez consensuelle pour être imposée aux pays membres. En conséquence, les définitions actuellement en usage varient d’une région du monde à l’autre et d'un pays à un autre.
En Mauritanie, le décret n° 159-2015 d'application de la loi 017-2015 du 29 juillet 2016 portant code de la pêche maritime stipule : est considérée pêche artisanale maritime toute pêche s’exerçant à pied ou à l’aide de navires pontés ou non pontés de longueur hors tout (LHT) inférieure ou égale à quatorze (14) mètres, non motorisés ou ayant des moteurs de puissance inférieure ou égale à 150 chevaux, et opérant avec des engins de pêche passifs, à l’exception de la senne tournante coulissante. La pêche artisanale compte quatre catégories : Céphalopodes, Crustacés, Poissons de fond et Poissons pélagiques.
Malgré la priorité qui a été donnée à la pêche artisanale dans toutes les politiques et stratégies sectorielles mises en œuvre depuis 1979, sa situation a été comparée, pour y attirer l’attention des pouvoirs publics, à un cancer en phase de métastase (Biladi et Horizons/Mars 2008). L’analyse de la situation d’aujourd’hui, laisserait certainement voir qu’elle n'est malheureusement pas à l’aune des aides et facilités dont a joui le sous-secteur de la part de l’Etat et ses partenaires durant plus de de 40 ans.
Afin de vous donner, chers lecteurs, la possibilité d’apprécier vous-mêmes la situation actuelle dudit sous-secteur et de porter votre propre jugement, sont mises à votre disposition les quelques réalités amères ci-dessous :
1. L'effort de pêche est exagérément important au point de menacer l'avenir de la ressource en raison de l’impuissance de l’Administration à maitriser l’inventaire des moyens de production et à en estimer, avec précision, l’ampleur de la pression exercée : par exemple en 2018, le ministère prétend que le parc artisanal compte 9.273 unités alors que l'Institut Mauritanien de Recherches Océanographiques et des Pêches avance le chiffre de 6.800 unités. Dans les deux cas, les professionnels prétendent, eux, avoir 1.500 unités artisanales non immatriculées ;
2. La confusion caractérisant les deux sous-secteurs artisanal et côtier, engendre d’énormes manques à gagner pour l’Etat puisque nombreux sont les navires côtiers (mauritaniens et étrangers) qui payent les licences en tant que navires de la pêche artisanale et, par-dessus le marché, dans les mêmes conditions que les mauritaniens ;
3. La majorité du parc artisanal s’adonne à la pêche du poulpe et quand il s’agit des autres ressources de fond et de surface, elles sont prioritairement destinées à l’exportation directement ou après leur transformation, au vu et au su de tout le monde, en farine et huile de poisson ;
4. Le parc artisanal appartient généralement à des mareyeurs, des usiniers et d’autres investisseurs profitant de la pagaille pour faire prospérer leurs affaires. Rares sont les capitaines à bord de leurs propres outils de production et qui sont indépendants dans le financement de leurs marées ;
5. Au lieu d’être une pêche de subsistance et/ou d’approvisionnement du marché national, la pêche artisanale mauritanienne devient l’un des principaux fournisseurs de matières premières à des fabriques de farine et huile de poisson, étrangères en majorité, avec une valeur ajoutée insignifiante et des effets négatifs énormes sur la ressource, l’environnement et la santé publique ;
6. Les groupes sociaux qui étaient traditionnellement pêcheurs artisans (les Imraguen et les N’Diaglais), se dessaisissent progressivement et lentement des opérations de pêche, font recours à des capitaines étrangers qu’ils recrutent à cet effet et/ou se reconvertissant dans les métiers de mareyeurs et autres.
7. Le retour au régime d'affrètement des navires artisanaux (et côtiers), incompatible avec la politique de domiciliation des activités de pêche à travers le développement d'une flotte nationale performante et d'une main-d'œuvre mauritanienne qualifiée suffisante ;
8. L’accroissement exponentiel des quantités pêchées et transformées en farine et huile de poisson, est le résultat combiné de plusieurs facteurs dont notamment le démantèlement volontaire des installations de froid des navires turcs (Initialement RSW) pour gagner de l’espace au niveau des cales, d’abord et la négligence des moyens de conservation des produits à bord (glace), ensuite. Ce sont des manœuvres pour multiplier la chance de débarquer des produits non propres à la consommation humaine et faire de la Moka leur seule destination et voie de valorisation.
Lobbies mafieux
En somme, il s’agit là-dessus des conséquences d’une mauvaise exploitation de la priorité constamment accordée au développement de la pêche artisanale, du sens ambigu donné à son concept et des enjeux ayant vite résulté d’une telle situation dans un sous-secteur devenu le lieu privilégié du jeu des grands lobbies mafieux. Ce jeu est visible à travers un laxisme dans l’application de la réglementation, des dérogations de toutes sortes, des changements fréquents des zones, des engins et des techniques de pêche pour satisfaire les doléances des lobbies ayant progressivement envahi le sous-secteur de la pêche artisanale et la filière farine et huile de poisson.
Ensemble, de telles insuffisances sont à la fois la source et le résultat de l’absence de politiques privilégiant réellement (i) la préservation des ressources halieutiques de la ZEEM, (ii) la segmentation et la promotion de la flotte nationale suivant des choix et des objectifs de développement suffisamment prémédités et justifiés, (iii) le réalisme dans la conception et la planification des politiques et stratégies sectorielles, c’est-à-dire sans s’assurer chaque fois, au préalable, d’avoir les moyens techniques, humains et financiers de mise en œuvre.
Considérant ce qui précède et quelle que soit l’approche méthodologique qui sera retenue, la toile de fond du travail à faire devra être la révision du concept ‘’pêche artisanale’’ et aider à la réalisation des objectifs suivants, inscrits déjà de la stratégie sectorielle actuelle 2020-2024 :
• Le développement d'une flotte nationale performante (artisanale, côtière et hauturière) ;
• La formation d'une main-d'œuvre qualifiée suffisante capable de d’exploiter les différents types de nos ressources halieutiques marines ;
• La promotion d’un sous-secteur artisanal formel et moderne ;
• La réalisation des infrastructures nécessaires pour appliquer le système de criée afin d’aider les petits producteurs à se libérer du joug des grands promoteurs et de maitriser davantage les statistiques de pêche (effort de pêche, production, espèces pêchées...etc.) ;
• La promotion d’une véritable industrie de transformation à grande valeur ajoutée au détriment des fabriques de farine dont les effets sont catastrophiques sur la ressource, l’environnement et la santé publique ;
• La disponibilisation du poisson sur toute l’étendue du territoire national dans les meilleures conditions d’hygiène, de qualité et de prix ;
• La mise en place de mécanismes de financement adaptés aux conditions des pêcheurs artisans et à leur profit de façon transparente et équitable.
(A suivre)