En perspective du dialogue national annoncé, nous re-publions une contribution relative à la place de nos langues nationales dans notre système d'enseignement sous le titre ''couper'' les langues aux détracteurs de nos langues. C’était en 2009. Aucun changement depuis lors n'étant intervenu, elle garde toute son actualité.
L’état des lieux de notre école est d’autant plus facile à dresser que nous nous accordons tous à reconnaître la faillite de notre système d’enseignement en vigueur ; depuis son organisation jusqu’au produit médiocre et hétéroclite qu’il livre annuellement, plus au marché du chômage qu’à celui du travail.
Sans plus attendre, le pays a besoin de prendre cette problématique à bras le corps, dans le cadre d’une véritable réforme qui rompt avec les anciennes méthodes des replâtrages et du politiquement correct qui ont émaillé l’histoire de notre système éducatif depuis l’indépendance et qui sont responsables de la médiocrité de ses résultats et, en grande partie, de notre fracture sociale. Une telle réforme devrait traduire notre détermination à envisager l’avenir de notre école sur des bases saines , objectives et efficientes, respectueuses de notre réalité socio- culturelle et soucieuses de la pérennité du modèle qu’ensemble, nous voulons bâtir et léguer aux générations futures.
L’école étant, avec la famille, le creuset où se forge le noyau dur de notre personnalité de citoyen, sa mission n’est donc pas seulement d’instruire mais aussi d’éduquer. Pour atteindre ce double objectif, notre système d’enseignement doit être programmé en conséquence. Il faut reconnaître qu’aujourd’hui , à la décharge de cette institution, l’échec massif de nos enfants et le modèle hybride de citoyens qu’elle engendre, ne sont, pour utiliser un aphorisme de chez nous ( kullou ina’in bimaa viihi yerchehou), que les reflets fidèles de ce que nous y mettons : un corps enseignant structurellement déficitaire et peu motivé avec des programmes d’enseignements hétéroclites qui consacrent la division de nos enfants au lieu de les rapprocher.
Ecole tournée vers l’avenir
Laissant aux académiciens et autres spécialistes le soin de proposer la substance des programmes et les meilleures méthodes pédagogiques pour les enseigner, je me limiterai dans cette modeste contribution à un survol rapide de la place qui doit être dévolue, selon moi, à nos langues nationales et aux autres vecteurs linguistiques dans une école mauritanienne , tournée vers l’avenir. Car ce volet, en grande partie responsable de notre situation actuelle, exige des décisions courageuses et pertinentes que nous n’avons plus le droit de renvoyer aux calendes grecques. A cet égard, nous devons en finir avec un statu quo qui perpétue la médiocrité, creuse le fossé entre nos enfants et frise la démission collective.
Telle que je l’aimerais, notre future école réformée devrait, sans chauvinisme mais aussi sans complaisance, refléter l’attachement et la volonté légitimes de l’immense majorité des mauritaniens, toutes ethnies confondues, d’accorder, pour ne pas dire de rendre à l’ arabe , par ailleurs langue du saint Coran, la place qui lui sied dans notre système éducatif et dans notre pays. A l’instar de toutes les sociétés multiculturelles comparables à la nôtre, cette option devrait viser, à terme, à faire de cette langue nationale vivante, non seulement la première langue officielle mais aussi la langue écrite et parlée de/par tous les mauritaniens, sans exception et, bien entendu, sans contrainte.
Y’aurait-il besoin, en l’occurrence, de rappeler la place que l’arabe avait occupée dans notre ère géographique commune et dans nos rapports inter et intracommunautaires, des siècles durant, avant la colonisation et alors même que nos différentes ethnies, vivant à l’époque en totale autarcie, n’étaient soumises à aucune exigence d’homogénéité linguistique et encore moins suspectes de diktat ou de visée assimilationniste de l’une d’elles sur les autres ?
La frilosité mal placée et les résistances résiduelles mais hélas tenaces à cette option, d’où qu’elles viennent, doivent cesser de jouer avec le feu de la division linguistique dont notre pays n’a que trop souffert depuis l’indépendance et dont nos enfants sont à la fois les instruments et les premières victimes.
Indispensable évolution
Cette indispensable évolution devrait cependant être planifiée de manière à en assurer le succès à terme sans pénaliser quelque communauté que ce soit pendant la période de gestation et de consolidation de la réforme qui pourrait s’étaler, s’il le faut, sur plusieurs décades. Pour ce faire, des mécanismes et autres mesures conservatoires appropriées devraient être maintenus pour assurer aux uns et aux autres la possibilité de continuer à communiquer dans la langue qu’ils maitrisent (système de traduction pour le courrier, les réunions et séminaires).
En retour et parallèlement à la généralisation de l’enseignement de la première langue nationale , notre système scolaire idéal devrait imposer à tous les élèves dont la langue maternelle est l’arabe, l’apprentissage d’au moins une autre langue nationale pour les préparer à communiquer plus familièrement et à convivialiser avec leurs compatriotes, dans les régions et milieux où ces langues sont le plus utilisées et où ils sont appelés à vivre ou à servir. Cela suppose, bien évidemment, que des efforts conséquents soient consentis pour la normalisation et le développement de l’enseignement de ces langues nationales au moins sinon davantage, au rythme de leur évolution dans les pays voisins où elles sont pratiquées à une plus grande échelle.
En tout état de cause, complémentaires et sœurs plutôt que concurrentes ou adversaires de l’arabe, nos autres langues nationales (poular, soninké et wolof) constituent un pan essentiel de notre patrimoine culturel et linguistique, capable de jouer un rôle important dans le rayonnement général du pays et qui mérite une attention particulière.
En un mot, notre diversité linguistique est et doit demeurer une source de richesse. Nous n’avons pas le droit de continuer à en faire un instrument de discorde larvée.
S’agissant des langues étrangères et puisque tout le monde est aujourd’hui unanime à reconnaître la nécessité de maîtriser au moins deux langues vivantes, l’enseignement du français devrait être maintenu à un très bon niveau dans notre école publique pour assurer une communication de qualité avec nos frères et voisins de la sous-région ouest africaine et autres pays de l’espace francophone dans le monde.
Tout cela ne saurait nous faire perdre de vue la place de l’anglais qui s’impose au monde entier pour tout ce que cette langue véhicule d’échanges économiques et financiers, de sciences et de technologies.
Par ailleurs, je suis de plus en plus tenté de dire que, du fait, aujourd’hui incontestable du poids politique, économique, militaire et de l’ influence croissante de la Chine et des chinois dans les affaires du monde, l’apprentissage du mandarin, parlé par plus de mille cinq cents millions de personnes, risque, à moyen terme, de s’imposer à nous comme il est déjà pratiqué dans d’autres pays plus avancés. Il faut donc s’y préparer.
Je terminerai en disant que l’importance et la sensibilité de ce sujet requièrent l’organisation d’un grand débat national avec la participation du plus grand nombre de personnalités académiques compétentes et politiques crédibles. Car cette participation doit être sous -tendue par une réelle et commune volonté de faire de notre école un creuset fraternel et convivial où nos enfants, toutes ethnies confondues, réunis dans les mêmes classes , depuis la maternelle jusqu’à l’université, seront soumis aux mêmes programmes pour obtenir les mêmes diplômes et accéder aux mêmes chances de promotion scientifique, culturelle et sociale .
Telle est la Mauritanie que nous devons revendiquer pour nos petits-enfants ; un pays solidement uni par sa religion, riche de sa diversité culturelle, ouvert à ses voisins et au monde mais non pluriel.