Après vingt-quatre heures de détention, Ahmed ould Haroun ould Cheikh Sidiya, ancien conseiller du ministre de la justice, a été finalement libéré le vendredi 23 Octobre. Il avait été arrêté par la police judiciaire pour avoir révélé, dans la nuit de mercredi à jeudi, lors d’un entretien avec la chaîne Al Mourabitoune, détenir un document impliquant des dizaines de responsables mauritaniens dans un (immense) trafic de devises.
Ould Haroun avait été relevé de ses fonctions pour avoir émis dans un enregistrement vidéo des réserves sur la gestion du pays. Lors de son entretien avec ladite chaîne, il affirmait que le ministre de la Justice détenait un document confirmant la responsabilité de divers responsables mauritaniens dans la sortie frauduleuse de millions de dollars en contrebande à l’étranger.
Selon ses dires, le ministre avait transmis le rapport au Premier ministre qui l’avait transmis à son tour au président de la République qui en aurait ordonné le classement. Objet d’une forte controverse au sein de l’opinion publique, le document évoqué par Ould Haroun s’est cependant vu réduit par le ministère de la Justice, dans un communiqué publié vendredi, à un recueil routinier de données concernant des déclarations de personnes soupçonnées dans une enquête préliminaire, suivie plus tard d’une enquête approfondie.
Selon le ministère de la Justice, il s’était alors avéré qu’il s’agissait, en fait, d’opérations financières ordinaires et normales de divers services de l’État au cours des précédentes années et dénuées de tout soupçon. Niant en conséquence catégoriquement l’existence d’un document ayant la qualité et la teneur rapportés par l’ex-conseiller, le ministère s’indigne du mensonge et de la mauvaise foi contenus dans les propos d’Ould Haroun à l’encontre de son ex-employeur et en fait remarquer le caractère d’acharnement contraire à la loi. Voici quelques passages dudit communiqué :
« Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une simple formalité routinière de reportage d’informations contenues dans des déclarations de suspects en phase d’enquête préliminaire ; Instruction fut faite en son temps d’enquêter sur ces informations sur différents plans, à travers plusieurs parties et de manière efficace. Il s’est avéré que le sujet porte sur des opérations financières ordinaires et normales de certaines institutions de l’État au cours d’années précédentes et qu’elles n’étaient entachées d’aucune suspicion.
[…] Les personnes qui avaient donné ces informations en phase d’enquête préliminaire, y compris l’accusée principale dans l’affaire, les ont déclarées ultérieurement et publiquement devant la justice, y compris en phase du procès tenu devant un large public. Ces informations ont été transmises aux juridictions compétentes et reprises par les media et les réseaux sociaux ; il ne s’agit donc pas d’une affaire secrète ni nouvelle.
[…] En défit de la mauvaise compréhension, par certains parmi les non-techniciens, de ces informations après les avoir entendues dans la salle du procès et la consultation de celles-ci dans des procès-verbaux fuités par certains, il y a plusieurs mois, il ressort qu’en fait, après leur traitement par la justice et leur soumission à différentes enquêtes financières et pénales, aucun vice financier ni élément pénal n’a été décelé. […] Aucune intervention n’a été faite pour empêcher une quelconque investigation sur de quelconques informations relatives à l’argent public et portées à notre connaissance car la politique pénale actuellement en vigueur dans notre pays est basée sur la fermeté en matière de protection des fonds publics et de prévention de la gabegie, et ce sans excès, acharnement ni sélectivité, avec le développement d’un climat propice à l’accomplissement des missions confiées aux instances compétentes conformément aux critères techniques et juridiques ».
L’ex conseiller persiste et signe
Dans un communiqué diffusé dimanche, Ahmed Ould Haroun Ould Cheikh Sidiya est revenu sur la chronologie des évènements : « la police effectua une descente chez moi, le jeudi 21 Octobre, disant qu'elle détenait l'autorisation verbale du procureur de la République, puis elle fouilla, à fond, ma salle de lecture ; ensuite, ils me conduisirent au poste, non sans confisquer mes téléphones et ceux de mon frère, présent à ce moment-là. Ils emportèrent par devers eux trois de mes notes écrites et un ordinateur.
[…] Au commissariat de police, ils m'ont interrogé sur le document que je mentionnais lors de l'interview ; je le leur sortis de la mémoire de l'ordinateur ; aussitôt, ils entamèrent une polémique avec moi quant à la gravité des faits : selon eux, le document et sa teneur n’étaient pas dangereux ; à leurs yeux, ce qui a attiré mon attention : des hauts fonctionnaires transportant des valises de millions de dollars ; se répète chaque jour partout dans le Monde et ne comporte rien d’anormal.
[…] Je leur ai répondu que l’élément en question n'avait pas attiré ma seule attention mais celle de leur tutelle, en l’occurrence le ministère public ; c’est à ce titre que j'avais signifié, haut, mon cri d’indignation, au ministre de la Justice, par lettre officielle. Le courrier rappelait que le sujet suscitait la curiosité des personnes interrogées, des témoins et des employés de la Banque Centrale de Mauritanie (BCM) ; d’ailleurs, ces derniers attestaient n’avoir jamais rien vu de tel dans leur institution. Ils m'ont assailli de questions et discuté d’autres considérations ; je leur répondis que leurs raisons ne me convainquaient pas, ils m’objectèrent la réciprocité du doute puis décidèrent de me garder à vue au commissariat ».
Ahmed ould Haroun revient ensuite sur la conclusion de son séjour au commissariat. « Ni moi ni eux n’escomptions une fin de la détention provisoire avant lundi ; Mais alors que je dormais, dans la nuit du samedi, un policier vint me réveiller vers minuit pour m’apprendre que son directeur et le commissaire se trouvaient dans le bureau et voulaient me voir. Ils me remirent le procès-verbal auquel j’apportai des modifications avant de le signer. Il y était écrit, in fine, que je serai déféré lundi au Parquet. Nous avons poursuivi une conversation d’ordre général, en attendant une ou des personnes absentes dont je compris, au travers des appels téléphoniques, qu’il semblait s’agir d’hommes d'autorité. Une heure plus tard, un membre de ma famille entra et me fit sortir dans sa voiture ; nul ne m’a restitué, jusque-là, mes appareils et agendas personnels ».
Quant au dossier objet de son interpellation, « le document est entre leurs mains. Selon leur préférence, ils le publieront ou le laisseront en l’état. Quant à moi, j'étudiais et étudie toujours sa publication, en temps opportun et de la manière appropriée, suivant les critères de pertinence juridique et politique. Tant que l'affaire est pendante en Droit, j’en parle peu et garde mes documents et autres preuves jusqu'au jour où je les exposerai à la justice, mes avocats autour de moi ».
Et de conclure : réconforté par « le soutien fort et noble de ses frères et sœurs mauritaniens et de votre intérêt conscient aux affaires du pays, Ahmed ould Haroun ould Cheikh Sidiya n’est pas prêt à abdiquer. […] S’agissant des arrangements, de la soumission, du changement d'attitude et de l'abandon de mes principes de Droit et de ma cause nationale, je vous assure, mes chers, que je n'ai fait et ne ferai rien de cela, tant que je vivrai et apprécierai la bénédiction de la lucidité et du discernement. Peu importent les pressions et les dangers qui s’annoncent, si Dieu le permet, je réitère mon vœu qu’Il ne m'humilie pas au Jour de la Résurrection ».
Synthèse Thiam Mamadou