Ils sont très nombreux, ces petits ateliers de teinture en divers quartiers de la capitale, particulièrement à Arafat. On les reconnaît par leurs outils installés devant les maisons ou des voiles et autres habits exposés au soleil, accrochés à des fils ou étalés à même le sol des rues, avant de partir dans l’après-midi chez les commerçants de Sebkha ou de Capitale. Ces petites entreprises familiales sont tenues par des femmes entreprenant en ce créneau qui occupe beaucoup de monde. Mais, nouveauté, de jeunes hommes n’hésitent plus à embrasser ce métier réservé jusqu’à récemment à celles-ci. Petit tour à Arafat 5 extension, plus connu sous le nom d’Arafat Mesjiden-Nour.
Chez Ramata et Houlèye
Très tôt le matin, les employés de cet atelier de teinture ont fini de déposer à même le sol, devant la maison familiale et sous l’arbre qui s’y dresse, de nombreux tas de voiles. Les employées de Ramata Ly et de sa belle-sœur HoulèyeSall s’attelaient, dans le même temps, à allumer le feu pour y déposer les grandes marmites où chaufferont les voiles dans leur teinture respective. Et de préparer les teintes. Demba Sall, cousin de Ramata et frère de Houlèye, s’occupe du thé matinal. Une fois mijotés dans leur jus coloré, voilà les tissus accrochés aux séchoirs dans la rue.
« J’ai commencé dans la teinture en 1994 dans l’atelier que tenait ma maman devant la maison familiale, et suis devenue indépendante en 2012. Je me suis perfectionnée ensuite par moi-même en différents modes et modèles », raconte Ramata. La famille Ly fut une des premières à explorer ce créneau dans les années 70, depuis leur maison alors située près l’arrêt-bus de Sebkha, nouant des relations avec les commerçants de tissus au« marché 5ème ». Des rapports qui ne cesseront pas de se développer, malgré l’installation de la famille à Arafat Mesjid Ennouren 1989.
Malgré la distance et le peu de clients, la famille Ly continue et persévère, avec des hauts et des bas. Aujourd’hui, les deux jeunes dames entretiennent la flamme et perpétuent la pratique, y travaillant presque tous les jours devant leur domicile. Les ballots d’habits à teindre sont amenés le soir du marché 5èmepour y retourner dans l’après-midi du lendemain. Les commerçants règlent alors la facture. Pour accroître leurs bénéfices, les teinturières s’attachent les services d’autres dames ou jeunes garçons qu’elles paient en fin de journée. « Quand j’ai beaucoup de commandes, je fais appel à des employées que je rémunère chaque soir 2000 MRO par tête », précise Ramata, avant d’ajouter : « C’est une opportunité que nous offrons à beaucoup de familles d’augmenter un peu leurs revenus ».
Elles étaient six jeunes à travailler ainsi, ce dimanche 26 Septembre 2021. Certaines lavaient les voiles teints. Avec, à leurs côtés, d’autres personnes venues se former. Sur les risques des produits chimiques que contient parfois la teinture, la jeune dame dit prendre les dispositions nécessaires, comme le port de gants, avant d’ajouter qu’en opérant en plein air, on réduit fortement les risques d’inhalation de produits toxiques.
Malgré la demande importante des marchés, la tâche reste ardue et la concurrence forte : il faut disposer de ses propres tissus, fidéliser les clients pour gagner des commandes. Les rentrées sont parfois maigres. « Pour bien s’en sortir, il faut disposer d’un capital propre », explique Ramata qui reconnaît tout de même les avantages qu’elle a pu tirer de ce métier. « Dieu merci, j’aide ma famille et règle mes problèmes personnels » indique-t-elle, avant d’avouer qu’elle a pu s’acheter un terrain et qu’elle envisage d’y construire une villa mais, précise-t-elle « les temps ne sont pas faciles, la COVID 19 a affecté les petits métiers ». À la question de savoir si elle a bénéficié d’un appui ou d’un prêt pour booster ses activités, Ramata répond n’avoir jamais eu de soutien et que les prêts de la CAPEC sont, au départ, très maigres pour se lancer, les taux de remboursement très élevés et épargner reste très difficile avec le peu de bénéfices qu’elle obtient. « Pourquoi n’avez-vous pas fondé une coopérative », interrogeons-nous,« pour bénéficier des aides de l’État, via le ministère des Affaires sociales et celui de l’Emploi, de la mairie d’Arafat et de diverses ONG ? – J’aimerais bien », répond Ramata, « mais je ne connais pas les procédures pour y arriver ».
Chez Awa Diallo
Non loin de la famille Ly, voici Hawa Diallo. Très connue du quartier, elle est issue d’une famille kaédienne qui exerce dans la teinture depuis des années. Après avoir quitté la famille paternelle et acquis son « parchemin », elle ouvrit son atelier devant sa maison, dessinant ses propres motifs au grand plaisir de ses clients. Entourée de ses ustensiles et de ses aides teinturières – certaines sont des journalières –Hawa distribue ses ordres. « Prends ce voile et va l’accrocher au séchoir », « Amène-moi celui-là », « Attention, ne mets pas trop de produits »…À côté d’elle, beaucoup de voiles attachés et teints ; traînant à même le sol, « ils attendent leur dernière touche de finition », signale-t-elle. D’autres sont accrochés aux murs de la maison. Ici, les teinturières rencontrent des problèmes d’espace pour sécher leurs œuvres. Aussi les passants doivent-ils enjamber les voiles étalés au sol, parfois y marcher dessus et « il faut y veiller », soupire Hawa.
Indépendante, comme dit tantôt, de sa famille paternelle, Hawa dit travailler avec des commerçants de Sebkha et de Capitale qui lui fournissent des ballots de tissus, avant de régler la facture « cash ou à crédit, selon nos rapports de confiance », précise-t-elle. Le produit est fourni par la teinturière qui le décompte de ses charges. Comme sa voisine, Hawa emploie des femmes de tout âge. Avec les temps difficiles et les frais trop pressants, beaucoup de femmes cheffes de famille et même des jeunes filles viennent arrondir les fins du mois à ce travail.
Quels avantages a-t-elle tiré de ce métier ?« Dieu merci », répond-elle, « je ne regrette pas de m’y être engagée : j’aide mon mari dans l’entretien du foyer qui, comme vous le savez, a besoin d’entraide pour tenir sur ses pieds, et j’ai pu aussi acheter un terrain à usage d’habitation ».Malgré l’important travail qu’elle abat, cette dame dit elle aussi ignorer comment ériger son atelier en coopérative pour bénéficier des appuis de l’État, de la mairie ou des Ong. « Certaines personnes viennent nous voir, promettent de nous aider, prennent des photos et… nous ne les revoyons plus. Mais si des personnes nous expliquent comment fonder une coopérative, je vais le faire », dit Hawa. Quant aux risques liés à l’usage des produits chimiques, notre teinturière prend « toutes les dispositions », affirme-t-elle, en veillant aux dosages et conseillant l’utilisation de gants appropriés.
Chez Fatimata Kalidou Diallo
C’est une des teinturières les plus connues d’Arafat Mesjiden-Nour où elle exerce depuis 2011. Des bus partent presque chaque fin d’après midi de son atelier pour déposer les ballots de tissus teints au marché Capitale ou du 5èmeoù elle dispose de beaucoup de clients commerçants. Elle fut formée, à l’instar de sa sœur cadette Hawa, parleur maman dont elle a hérité de l’atelier. Dressé devant la maison paternelle, il emploie des femmes et des jeunes, garçons où filles. À son approche en ce dimanche 27 Septembre, on aperçoit de loin des centaines de voiles de couleurs diverses qui flottent au vent. Assis autour de gros fourneaux sur lesquels de grandes bassines bouillissent, les employés discutent en travaillant. Un grand trou où sont déversées les eaux usées rappelle une préoccupation importante des teinturières d’Arafat, obligées de louer des charrettes pour se débarrasser des résidus ou, à défaut, de les balancer sur la voie publique devant leur maison. Très occupés, les employés cousent, attachent et détachent diverses sortes de voiles, leurs tenues tachetées des couleurs qu’elles emploient. La quarantaine révolue, FKD raconte son parcours.
« Après l’initiation auprès de ma mère, je me suis perfectionnée en divers modèles et qualités de teinture et, Dieu merci, j’en pratique toutes les sortes, en couleurs ou non », affirme-t-elle en se félicitant de contribuer à insérer des femmes et des jeunes garçons dans ce créneau. FKD n’a jamais non plus bénéficié d’un quelconque appui. Ni de l’État, ni de la mairie ni des ONG. Pourtant plusieurs de ces dernières, nationales et internationales, opèrent dans cette moughataa populeuse de Nouakchott. On peut citer la World Vision présente depuis des années et qui a beaucoup fait pour les habitants en matière de financement et de formation ; ses installations sont d’ailleurs visibles non loin des maisons Ly et Diallo. À la question de savoir pourquoi n’en a-t-elle pas profité, Fatimata Kalidou dit s’être inscrite mais sans suite. Depuis, elle ne compte que sur la sueur de son front. Presque tous les jours, les ustensiles sont sortis très tôt le matin et, quelques minutes après, les voiles disposés sur les séchoirs ou étalés à même le sol. Les nombreuses personnes que FKD emploie sont rémunérées à la journée. « Je ne dépense pas moins de 45.000 MRO par jour à leur rétribution », révèle-t-elle, sans s’en plaindre. À la tête de sa petite entreprise, la jeune dame ne possède en effet pas moins de deux voitures personnelles, cinq terrains à usage d’habitation et une maison où elle vit en famille. Interrogés, les employés trouvés sur place expriment leur gratitude envers cette entreprenante dame qui aurait réussi un sacré challenge, si elle avait été approchée et appuyée par de bonnes volontés, en offrant de nombreuses opportunités aux autres familles nécessiteuses de son quartier. Sa préoccupation principale : disposer d’un espace réservé aux teinturières. « Nous demandons à l’État ou à la mairie de nous fournir un terrain où nous pourrons nous livrer à notre activité ». Son projet : ériger son atelier en coopérative. Ainsi pourrait-elle au moins profiter des subventions annuelles que la mairie d’Arafat octroie aux coopératives, mahadras, mosquées et handicapés…
Des hommes s’y investissent
Jusqu’à une date récente, la teinture était, comme dit en exergue de ce dossier, réservée presque exclusivement aux femmes. Mais depuis quelques années, les hommes y ont fait leur entrée. En « tapeurs » d’habits teints, d’abord, puis en mettant la main à la pâte. Les premiers seraient venus surtout du Mali et les difficultés économiques contemporaines ont accéléré l’investissement des hommes dans le secteur. On les remarque auprès des femmes à teindre, essorer, coudre ou carrément la main dans les marmites et les bassines.
Parmi les jeunes, voici Demba Sall, rencontré chez la famille Ly. Après une aventure infructueuse en Afrique de l’Ouest et Centrale, il est revenu au pays renouer avec le métier qu’il avait appris en 1996. « J’ai repris la teinture parce que je n’ai pas trouvé mieux. Faire le manœuvre ne rapporte pas grand-chose », indique Demba, « et la teinture, si l’on dispose d’une bonne expertise, on travaille toujours avec les commerçants, à défaut de moyens personnels, tissus surtout. »
Mais les hommes ne font pas que teindre dans ces ateliers, ils se spécialisent souvent dans la gomme pour les tissus qu’ils repassent, avant de les remettre aux teinturières ou aux commerçants et encaisser leur cachet. Soudeur de formation, Abdoulaye Diallo explique qu’il n’a pas choisi ce métier mais s’y est retrouvé contraint par les difficiles conditions de vie, surtout depuis le COVID. Et aussi l’exposition aux arcs de soudure qui lui pose un gros problème aux yeux. Mais il ne se plaint pas de sa reconversion.
En formation chez FKD, Bathié et Bocar ont choisi ce métier par défaut. « J’étais dans un garage mécanique qui ne tournait pas beaucoup », explique Bathié tout en décousant des voiles après les avoir étalés au soleil, « alors j’ai décidé de m’engager dans la teinture et je ne le regrette pas ». Ila intégré l’atelier en 2014 et dit être en mesure d’apporter de l’aide à sa famille. Et Bocar, un de ses collègues occupé à côté à essorer des tissus, d’embrayer : « je ne faisais rien et mon attention a été attirée par ce métier. Là, je travaille et me forme en même temps, j’espère réussir dans cette aventure ».
En plus de ces hommes, les teinturières offrent une occasion aux nombreuses femmes de boucher les nombreux trous de leur budget. Elles leur distribuent des pièces de tissus à attacher selon les modèles requis. Il n’est pas rare de rencontrer également des enfants transportant des ballots de tissus ou de trouver plusieurs membres d’une même famille occupés à cette tâche, surtout le soir. C’est dire que ces petites entreprises occupent beaucoup de monde en banlieue et leur permet de subvenir à certains de leurs nombreux besoins. Mais elles se heurtent à de sérieux problèmes, notamment financiers : elles méconnaissent les tuyaux des circuits administratifs et des bailleurs, épargnent peu, se méfient même des organismes de microcrédits dont elles jugent les taux de remboursement trop élevés. Bref : elles ont besoin d’appui et d’accompagnement d’organismes sérieux pour contribuer à lutter contre le chômage des jeunes et à améliorer les conditions de vie de nombreuses familles.
Dalay Lam