Nous voilà devenus le Pays du Soleil Couchant. D'un soleil qui ne fait que se coucher, encore et encore... A l'école, depuis notre plus tendre enfance, on nous a appris, avec force démonstrations, que le soleil se lève à l'Est et se couche à l'Ouest. Non pas que nous fussions ânes et ignorants (nous le voyions bien, malgré nos jeunes âges, que le soleil se levait à un endroit et se couchait à l'opposé) mais parce que nous ne savions nommer, en termes académiques, les lieux de « naissance » du soleil et de sa chambre à coucher.
Pour nous, enfants, ces levers et couchers signifiaient deux choses, primordiales : il faisait jour et nous devions, en ronchonnant, nous préparer à aller, une fois de plus, user nos culottes sur les bancs de l'école, ce que nous faisions contraints et forcés de bien entendu ; il faisait nuit et nous devions nous préparer au fort peu sympathique « rentre, il fait nuit ! », ce qui nous privait de nos jeux avec les potes dans la rue ; ceci impliquait aussi que le moment où nous serions envoyés au lit approchait. De bien entendu, notre entendement ne comprenait pas du tout cette obligation qui nous était faite de dormir la nuit... mais, comme les parents ont TOUJOURS raison, même quand ils se trompent, nous avions admis cette relation, détestée, entre coucher du soleil, fin des courses, du football dans la rue et dodo...
Puis, au fur et à mesure que notre savoir s'enrichissait de nouvelles choses, nous avons appris que, schématiquement, nous étions, nous humains, heureux possesseurs de quatre points cardinaux : le Nord, le Sud, l'Ouest et l'Est. Quatre points qui, bien que minimum syndical nous permettant de voyager sans trop nous tromper et de nous repérer, avaient l'avantage d'être brefs, nets et concis. Bien sûr, nous n'étions pas au courant que, pour certaines cultures, il existe d'autres points, comme le Centre, le Milieu, si cher aux Asiatiques. De même qu'en ces quatre points cardinaux, il existe une infinité d'autres points. Ces quatre points à digérer et intégrer, nonobstant leur apparente simplicité, faisaient de nous de bons marcheurs et, chez nous, la marche est à pied est une vertu obligatoire ; détestée mais obligatoire.
Nos décideurs, eux-mêmes jadis dressés aux mêmes bancs de notre école, ont donc décidé, sûrement soucieux de montrer, à leurs anciens profs, quels bons élèves ils avaient été, de diviser notre belle capitale, Nouakchott Plage, en trois wilayas : Nouakchott Sud, NKTT Nord et NKTT Ouest. Mais où est donc passé l'Est ? Qui a vu le Z'Est perdu ? Serait-il tombé du camion en cours de route ? Aurait-il oublié de se réveiller le jour où les quatre points cardinaux furent convoqués au Conseil des ministres ? Mystère et boule de gomme... En tous cas, point de Z'Est. Pourtant, même si je ne comprends rien à tous ces points censés nous réconcilier avec l'espace, si j'ai bien compris le truc, pour qu'il y ait un Nord, il faut un Sud, à l’opposé, et, pour qu'il y ait un Ouest, il lui faut son jumeau à l’Est. Vous êtes d'accord avec moi, non ? Pour qu'il y ait coup de pied au c..., il faut bien qu'il y ait un c... à portée du coup de pied. CQFD.
Je me suis donc usée les yeux à rechercher mon Z'Est perdu, mon Nouakchott Plage de l'Est, mon « Nouakchott Z'est ». J'ai pris ma boussole, regardé les cartes. Je marmonnais dans la barbe que je n'ai pas (Elhamdoullillah, Dieu est grand avec les femmes ! ) : « Bon, la Derwichette, remets tout dans l'ordre des choses du monde : le long de la mer, Nktt Z'Ouest ; en direction du Nord, NKTT Nord ; en direction du Sud, NKTT Sud ; en direction du Z'Est, il doit bien y avoir NKTT Z'Est... Recommence, le Z'est des Nous Z'Autres va bien réapparaître... Alors, alors, je prends le Z'Ouest, je lui retire le Nord, j'élimine le Sud, mon Z'Est est bien quelque part, non ? ». Ben non, rien à faire, mon Z'Est perdu refusait de refaire surface...
Y aurait-il un mouvement de grève chez les points cardinaux ? Mon Z'Est aurait-il décidé de plier bagages et d'aller voir ailleurs si les autres Z'Est du monde – et ils sont fort nombreux – sont aussi peu considérés que chez nous, le pays qui est le milieu de toutes les choses connues et inconnues ? Aurait-il, notre toujours Z'Est adoré mais paumé, décidé que, puisque les Z'Autorités Compétentes, ont décidé de le trucider, sans autre forme de procès, qu'il déchirait sa carte d'identité nationale, allait tenter de traverser le Sahara et voir, à Lampédusa, s'il n'y aurait pas une petite place ?
Complètement perdue, la Derwichette et, je n'en doute pas, tous les braves Z'habitants du Z'Est géographique de notre belle capitale... Comment peut-on, un jour, baignés que nous sommes par la lumière de notre soleil qui pointe son nez à l'Est, nous réveiller sans Z'Est ? Dar Naïm, Arafat, etc., eux qui vivaient, tranquillement, dans le Z'Est géographique de Nouakchott, peuvent-ils se réveiller, subitement, par mesure « conseil ministrable », propulsés dans le Nord ? C'est à rendre dingue tout bon nouakchottois... Rendez- vous compte : nos Z'Autorités ont trouvé l'expropriation de masse, sans une personne déplacée physiquement, l'expropriation par points cardinaux interposés : tu étais de l'Est, te voilà du Nord... Et arrête de râler, sinon on t'envoie à l'Ouest ou au Sud... ou au milieu, là où nous avons plein de milieux...
Mais si nous n'avons plus de Z'Est, ne serait-ce qu'à NKTT Plage, comment le soleil va-t-il se lever, pour les Nous Z'Autres nouakchottois ? Il va nous falloir réécrire tous nos manuels scolaires, ce qui provoquera des Etats généraux de l'Education nationalisée. Dans ces manuels, dorénavant, nous lirons : « Le soleil, à NKTT, se lève au Nord. Ne croyez pas tous ceux qui vous disent que le soleil se lève à l'Est ! Cette affirmation mensongère fait partie d'un complot de l'étranger qui tente de nous coloniser ». Nous rentrons donc dans l'histoire des sciences, avec la lapidation organisée de notre Z'Est.
Chez nous, désormais, il n'y a que trois points cardinaux : un Nord, un Z'Ouest, un Sud... Tous ceux qui habitent à la frontière malienne sont désormais des Ahel du Nord. Il sera, sûrement, histoire de nous « pousser » à intégrer cette nouvelle donne, formellement interdit de prononcer le mot Z'Est, sous peine d'aller croupir dans la prison du Nord, la prison de Dar Naïm, ex Miss Z'Est des prisons. Méditer à en perdre le Nord... Car, moi, le Nord je l'ai bien vu : je l'ai survolé en avion. Je l'ai vu en train de courir, seroual au vent, vers le Z'Est, armé de sa trousse à outils de point cardinal, afin d'aller colmater le vide laissé par le Z'Est, et, maugréant dans sa barbe de nordiste que, vraiment, wallahi, dans ce pays, on ne peut pas laisser un point cardinal dormir tranquille... et que, est ce que lui, le Nord flamboyant, allait emmerder les autres points cardinaux ? Il a même écrit à notre Sultan, lui demandant pourquoi ce n'est pas le Sud qui se tape le sale boulot de refaire la carte des points cardinaux, ou le Z'Ouest. Pourquoi c'est toujours au Nord de bosser, pendant que les autres paressent sur leurs matelas ?
Bref. J'en perds moi aussi mon Nord. Je me suis regardée aux quatre coins de mes points cardinaux. Ma foi, mon Nord n'était pas mal ; mon Z'Ouest aussi ; je ne vous parle pas de mon Sud ; mais je penche un peu, maintenant : je n'ai plus de Z'Est. Ça déséquilibre tout ce bel édifice que je suis... Demain, incha Allah, je vais aller, sur les dunes de Dar Naïm, admirer notre soleil national qui se lève au Nord... A notre Z'Est perdu, mort au combat, la reconnaissance de la Patrie... Fermez le ban. Amine.
Salut
Mariem mint Derwich