On ne peut sous-estimer l'impact qu’a eu le 11-Septembre sur les orientations stratégiques américaines, qui se sont déterminées en fonction du nouveau paradigme de la «guerre contre le terrorisme». (AFP)
Vingt ans se sont écoulés depuis le séisme du 11 septembre 2001, largement considéré comme la fin d’une époque et le début d’une nouvelle ère.
Comme beaucoup d'autres, j'ai été secoué par l'ampleur de l'événement, auquel j'ai consacré un livre (Le monde après le 11-Septembre, Beyrouth, 2003) qui rendait compte de l'atmosphère passionnée de l'époque.
Il devient impératif de se demander, aujourd'hui que nous avons le recul nécessaire à l'appréciation objective de ce moment, si cet acte terroriste d’une telle intensité émotionnelle a vraiment changé la trajectoire de l'humanité ou s'il n'était qu'un détail – impressionnant – dans une dynamique historique qui n'a subi aucun changement structurel.
Jean Baudrillard, réagissant à chaud aux attentats de New York, les a considérés comme «l'événement absolu», «la “mère” des événements». Il évoque «un événement pur qui concentre en lui tous les événements qui n'ont jamais eu lieu».
Les deux illustres philosophes de l'Occident contemporain que sont Habermas et Derrida élevèrent le 11-Septembre au rang de «concept», qui est pour la pensée une nouvelle source de réflexion et un commencement à méditer.
On ne peut sous-estimer l'impact qu’a eu le 11-Septembre sur les orientations stratégiques américaines, qui se sont déterminées en fonction du nouveau paradigme de la «guerre contre le terrorisme». Cette guerre a fini, sous l'impulsion des «néoconservateurs américains», très influents sous l'administration du président George Bush junior, par revêtir le sens de la stratégie d'endiguement de l'autoritarisme moyen-oriental, qui serait la cause ultime du terrorisme.
Impact marginal
Les deux guerres américaines dans le «Great Middle East» étaient animées par cette volonté de propager la démocratie et le libéralisme. L'Irak a été ciblé en tant que champ d'expérimentation de ce modèle de transfert démocratique.
Paul Wolfowitz, qui était le secrétaire adjoint à la défense dans l'administration de Bush, pariait sur un Irak démocratique, prospère et stable qui serait le pivot du nouveau Moyen-Orient grâce à son élite libérale et à sa société civile vive et tolérante. Il suffirait de destituer Saddam Hussein pour enlever la barrière qui maintenait le peuple irakien dans la servitude et l'extrémisme.
L'Afghanistan était l'autre modèle à bâtir, en Asie du Sud, comme une alternative à la puissance sunnite «moribonde» (le Pakistan) et à la puissance chiite (l’Iran), qui est une «véritable dictature théocratique».
Le reste de l'histoire est connu. Les deux «modèles» promis ont fait long feu, le coût des guerres moyen-orientales fut exorbitant et a poussé récemment les États-Unis à retirer ses troupes militaires de ces deux pays, terrains d'expérimentation de l'ingénierie démocratique américaine.
On peut donc affirmer que l'impact des événements du 11 septembre 2001 sur les équilibres géopolitiques mondiaux a été marginal, quoique son influence sur le débat stratégique interaméricain fût significatif.
Le discours politique américain après la fin de la guerre froide était axé sur le thème du «New World Order» («nouvel ordre mondial»), qui signifiait la domination unilatérale américaine sur le monde, la mise en place de mécanismes efficaces de régulation de la mondialisation dans ses aspects économiques, juridiques et stratégiques. C'était la période d'émergence des grandes initiatives internationales sur les thèmes les plus divers (droits de l'homme, émancipation de la femme, développement social…).
La notion de «droit d'ingérence», avec ses implications normatives (compétence juridique universelle, justice pénale transfrontalière...), était sur le point de se substituer au vieux principe westphalien de souveraineté nationale.
Ce que le 11-Septembre a changé est l'affaissement de ce paradigme de nouvel ordre mondial au profit de la réhabilitation des schèmes classiques du nationalisme américain, dans sa version missionnaire universelle à l'époque de Bush junior, puis dans sa version patriotique populiste sous le règne de Trump.
L'administration d'Obama et sa continuité actuelle n'ont pu assumer ce débat stratégique de grande importance.
Si l'idée du leadership américain a été sauvegardée, son élaboration conceptuelle fait toujours défaut face aux deux grandes problématiques posées aujourd'hui dans le contexte stratégique: la position à adopter vis-à-vis du dispositif d'alliance transatlantique (L'Europe, le Japon et la Corée du Sud) et le défi relatif à la montée des puissances contestataires de l'hégémonie américaine (la Chine et la Russie essentiellement).
L'héritage des deux dernières administrations républicaines, fort différentes dans leurs orientations et leurs priorités, est la volonté de se désister de l'ordre mondial façonné par les États-Unis eux-mêmes après la Seconde Guerre mondiale, sans pour autant lui en substituer un autre. Quant aux démocrates, ils sont soucieux de revenir aux bases du partenariat occidental et aux normes de l'ordre mondial libéral, mais ils sont incapables de cerner ces principes référentiels dans l'échiquier stratégique international.
Seyid Ould Bah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.
Twitter: @seyidbah
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