Deux ans de pouvoir : Est-ce la remise sur les rails?/Par Dy ould Hasni ould Moulaye Ismaïl

9 September, 2021 - 00:24

Donner un avis sur les deux premières années de pouvoir du président Mohamed ould Cheikh El Ghazwani paraît fastidieux, même si toutes les conditions sont favorables à une telle épreuve. Notre Président entama son mandat, plein de promesses, soutenu par différents segments du peuple, venus de tous horizons en l’espoir d’un changement rompant avec des mauvaises pratiques érigées en système de gestion. Le pays se débattait dans des problèmes de tous ordres légués par ce très lourd héritage puis survint le Corona qui endeuilla l’Humanité tout entière, freina toutes les économies, mit à genoux la Science et ses progrès, défia notamment les pays les plus développés et obligea tout le monde à revoir ses notes prévisionnelles depuis 2020.  

Les avis divergeront sans nul doute sur les acquis de cette période. Le délai est très court, pour dégager un point de vue exhaustif des réalisations, et notable, le risque de se tromper. Mais, en dépit d’être mitigée, ici et là, la lecture de l’action gouvernementale qui a touché tous les départements fait ressortir plusieurs points saillants, positifs, qui méritent d’être connus et cités. On commencera par la situation du climat politique général. En dépit du Corona qui s’est imposé à notre style de vie, il est en nette amélioration. C’est indéniablement le fruit de l’ouverture entamée par le Président lui-même, marquant dès son arrivée son style de gouvernance. Une manière hautement appréciée par la classe politique en général, et par tous ceux  qui portent un intérêt à la vie nationale car elle rompt définitivement avec le passé.

 

Séparation des pouvoirs

L’acceptation de la Commission d’enquête parlementaire préconisée par l’opposition est venue prouver la volonté manifeste de l’État d’appliquer la séparation des pouvoirs. Les résultats de ses travaux ont été transmis à la justice où le dossier suit son cours, tandis que l’indépendance de celle-ci s’affirme. Son service au citoyen s’améliore avec la révision des textes, pour les accorder aux infractions et délits, et le durcissement des peines contre tout ce qui touche à la vie des citoyens et à leurs biens. Il sied certes à la Justice d’avoir ses palais autonomes, signe de respect. C’est d’ailleurs valable pour toute l’Administration, qui ne doit pas être locataire dans les quartiers populaires. Ce détail engendre tout le respect envers l’État. La fondation de la Haute cour de justice et la composition de son bureau de Juges et assesseurs va dans le sens de réprimer ceux qui abusent des biens publics. Tout comme se retrouve devant la justice le fameux dossier « Cheikh Ridha » qui ébranla ces dernières années la rue et toute notre société. Autant de signaux forts qui rassurent les plus sceptiques sur le changement.

 

Sécurité et stabilité

La Mauritanie appartient aux deux ensembles arabe et africain. Spécifique, cette richesse lui impose d’entretenir des relations privilégiées de bon voisinage et de stricte neutralité, dans les différends et conflits éventuels, tout en raffermissant les relations avec les pays frères et amis sur des bases de respect mutuel. La sécurité des personnes et des biens, la surveillance des frontières,  la poursuite, la répression et le recul de la délinquance sous toutes ses formes, la réforme de l’état-civil : autant de thèmes que nos forces de l’ordre et de sécurité veillent à contenir, sous l’égide des deux départements de la Défense et de l’Intérieur, en dépit d’un territoire très vaste et ouvert à tous les pays voisins, au Nord, à l’Est et au Sud. Malgré quelques actes isolés, ici et là, la situation est acceptable, à l’image de ce qui se passe dans le voisinage.

Le ministère des Affaires islamiques est rehaussé à la place qui lui sied parmi les ministères de souveraineté nationale. Il veille à l’application de notre religion de rite malékite. En plus du recrutement d’imams et muezzins salariés, on a remarqué l’innovation en matière d’awqafs avec la construction d’un grand marché, dont l’un des objectifs sera la prise en charge de divers besoins des mosquées (eau, électricité, etc.).

 

Économie et finances en question

À l’instar de toutes les économies du Monde, la tendance générale de la nôtre est au ralentissement, voire à la baisse relative pour les secteurs de production (notamment la pêche et l’agriculture), Corona oblige. Question finances, ces deux dernières années n’ont pas connu une foultitude de détournements comme on s’était malheureusement habitué à déplorer. Hormis celui de la caisse de la BCM et les déboires de la NBM, affaires que nous croyons antérieures à 2020, et même si la situation de la NBM est analogue à celle de plusieurs banques fondées récemment, comme nous l’avons signalé en divers de nos précédents écrits. Mais nous n’accepterons jamais d’assister à la liquidation de sociétés d’État en bonne et due forme, à l’image de la défunte SONIMEX et de la fusion de l’ENER et d’ATTM. Ceux qui l’ont fait pensaient en finir définitivement avec ces institutions, ignorant que leur reconstitution dépend simplement d’une volonté politique, tout comme celle qui les poussa à leur action.

Cela vaut aussi pour la dégringolade des finances, avec les fameux trésoriers qui ont purgé des peines de prison sans que leurs chefs ne soient inquiétés. D’ailleurs, depuis quand les trésoreries regorgent-elles d’argent, elles qui peinaient à payer de petits mandats ? Et si elles devaient être alimentées par des fonds dont elles n’ont pas l’habitude– 45 milliards pour financer les boutiques EMEL, pendant plusieurs années, avec des recettes versées au Trésor et non pas à des banques – sans prendre les mesures d’accompagnement idoines, pourquoi le suivi informatique au jour le jour n’incite-t-il pas leur tutelle à vérifier la concordance des soldes disponibles et des réels existants ? Pourquoi ceux qui ont donné une telle instruction à conséquences catastrophiques ne répondent-ils pas de leur bévue ? Enfin, la suppression de la dette koweitienne, vieille de plus de quarante ans, acquise grâce au tact et la discrétion diplomatique, nous soulage beaucoup, en cette période de soudure généralisée. 

 

Ministères en essor

L’éducation est la clé de voûte de tout développement, un postulat connu et admis par tout le  monde. La fondation de deux grandes Commissions nationales – Éducation et Décentralisation –  viennent appuyer les efforts à corriger les défauts constatés en ces grands départements. On saluera ici la louable décision prise dernièrement, par l’Enseignement supérieur, de laisser les étudiants privés de poursuivre leurs études en raison de leur âge reprendre le chemin de l’Université. De telles contraintes devront connaître toutes le même sort : c’est vraiment stupide de limiter l’âge du savoir. 

Avec ses moyens de bord, le ministère de la Santé s’est bien comporté dans les première et deuxième vagues du Coron ; la troisième semble plus agressive et la population a si bien réagi à l’incitation de se faire vacciner qu’il y a eu rupture du stock de l’un des vaccins avant sa seconde dose. Les gens en quête de celle-ci ne savent pas à quel saint se vouer. La prudence aurait voulu que cette seconde dose soit prioritairement réservée à ceux qui ont pris la première, plutôt que de l’utiliser à vacciner de nouvelles personnes qui viendront s’ajouter à ceux qui attendent une seconde dose… Défaut d’organisation, manifestement.

La fonction publique avance sur le terrain du concret. Les litiges sociaux datant de longue date trouvent des solutions – dockers du Port, PNP… –via des conventions qui règlent définitivement ces problèmes. Plus important, les textes datant de décennies sont enfin remués pour les actualiser. Mais le « règlement unique en pension de vieillesse » est à revoir : il n’est tout simplement pas réaliste que le travailleur cotise pendant plus de vingt-cinq ans pour se voir proposer au final un règlement unique, au lieu d’une pension continue, même si elle est insignifiante. Basé sur des textes non révisés depuis l’Indépendance, l’argument avancé par la CNSS ne tient pas.  

Deux filières voient le jour au ministère du Pétrole et des mines. « La recherche aurifère traditionnelle », tout d’abord, avec l’ouverture de nouveaux sites dans le lointain désert où plus de trente mille orpailleurs se sont lancés à la recherche de cette manne, à leurs yeux préférable au  chômage, malgré le risque ; et « le gaz », une ressource à laquelle il faut se préparer pour en tirer un réel profit. J’entends par « se préparer »la nécessité de former des jeunes, pour disposer d’une main d’œuvre qualifiée, afin d’éviter ce qui nous est arrivé dans le secteur de la pêche où nous avons trop longtemps dépendu de l’extérieur, par manque de main d’œuvre qualifiée pour la transformation,  et de transfert de technologie, doublé d’une indigence en infrastructures de base. À ce jour encore, nous manquons de chambres froides pour le stockage et d’usines de transformation, entraînant  parfois un bradage à vil prix des stocks.

La pêche, l’agriculture et l’élevage connaissent un certain regain d’intérêt  de la part de l’État, malgré le ralentissement général de ces secteurs : exportation du poisson impossible, agriculture en baisse de production, tandis que l’élevage s’est porté timidement mieux, du fait du bon hivernage 2020. La dernière foire à Timbédra qui a obtenu du privé l’engagement d’investir dans le secteur promet une relance… si cet engagement est respecté. Nous espérons un avenir prometteur, même si ces potentialités existaient pour la plupart.

 

Un PPP en nette recrudescence

À l’instar d’autres secteurs d’activité comme la pêche, le commerce, l’industrie, l’artisanat et le tourisme sont touchés directement par la situation pandémique. Certes, le département qui les supervise est lourd. Aussi le contrôle des prix doit-il redoubler d’efforts dans les marchés pour exiger le respect des conventions arrêtées avec les différentes fédérations de commerce, notamment les prix des denrées de première nécessité, qui impactent directement sur le quotidien du citoyen. À cet égard fort louable, l’intervention du patronat qui a ouvert trois cents boutiques de denrées de première nécessité à des prix homologués.

Le Ministère de la Jeunesse et de l’emploi a également signé plusieurs conventions avec le patronat. Partant du principe que l’État ne peut pas, à lui seul, résoudre tous les problèmes, le partenariat État-Privé connaît ainsi une nette progression visant à résorber le chômage des jeunes. Même si une certaine idée laisse à penser que l’État et le Privé n’emploient que les mêmes personnes... Pour l’État, il était difficile, voire impossible, à celui qui n’avait jamais connu de poste, d’en obtenir un, tant les voies de nomination n’étaient pas très claires. Nous avons remarqué dernièrement l’appel au service de certains naguère blâmés pour leur appartenance à l’opposition, nous dit-on, même si plusieurs d’entre eux ne se déclarèrent à celle-ci qu’après avoir été démis de leurs fonctions. Nous estimons que cet embargo doit être levé définitivement pour que l’État puisse bénéficier de toutes les compétences disponibles. C’est aussi pour cette raison que beaucoup de diplômés, même du troisième cycle, ont dépassé l’âge des concours et sont devenus, par la force des choses, d’étranges chômeurs. Et le privé louche sur ce qui se fait de l’autre côté…oubliant que les marchés, contrats et autres facilités de l’État qui lui sont accordés proviennent de l’argent du contribuable.

Beaucoup de chantiers sont en cours, notamment les routes, avec une amélioration de la faisabilité, de l’avancement des travaux et du respect des délais, disent les officiels. Le plan d’aménagement de Nouakchott et son application sont respectés, même dans les vieux quartiers du Ksar et Tevragh Zeïna où les routes et espaces publics devront être évacués, comme dans les quartiers périphériques. On note également les efforts fournis par le département de l’Hydraulique, avec la mise en service de la nappe du Dhar qui satisfera les besoins  en eau du Hodhech-Charghi et une partie du Hodh El Gharbi. Elle vient à point nommé. La recherche continue de points d’eau pour abreuver les gens sur tout le territoire est aussi encourageante. Sans oublier que Oualata, la vieille cité historique de l’Est, jadis connue par son rayonnement culturel et civilisationnel, mérite de boire de la nappe du Dhar, à l’instar de tous les départements de la Région.

 

Agence Taazour : peut mieux faire…

La fondation de l’Agence Taazour pour agir sur la situation socio-économique, en lieu et place de Tadamoun, mérite un suivi rigoureux dans ses principes et procédures de gestion et d’audit rapprochés. On pensait que l’Agence résorberait le chômage, compte-tenu de l’enveloppe qui lui fut allouée : elle s’est contentée de justifier le non-recrutement par sa prise en charge du personnel pléthorique légué par sa précédente sur les débris de laquelle elle s’est installée. Cet argument devrait cependant tenir compte que ceux qui travaillaient à Tadamounne représentent qu’une seule frange de la population, tous affiliés à une organisation qui dirigeait et qui refusait, sans merci, même le travail à toute personne non adhérente à son parti, ce qui était une injustice flagrante.

Aujourd’hui, la donne a changé. Un nouveau Président est venu par la seule voie des urnes dont les électeurs viennent d’horizons divers. Il a promis, haut et fort, qu’il sera le président de tous les Mauritaniens, sans discrimination, martelant que tous ont les mêmes droits (éducation, santé, travail…) et les mêmes devoirs.  L’interprétation restrictive, dont le résultat fut l’affront que nous avons vécu pendant plus de dix ans, n’a plus droit de cité.  Et l’on n’oubliera pas que les pauvres ne sont pas seulement ceux qui vivent dans les lointaines contrées ou poches urbaines de pauvreté. Dangers latents, les pauvres sont aussi ces adolescents et autres jeunes sans niveau scolaire, non insérés et incontrôlables, livrés à eux-mêmes :ils peuvent exploser à tout moment. Les pauvres sont aussi ces diplômés-chômeurs et autres scolarisés en âge de travailler pour subvenir à des besoins urgents, mais sans aucune possibilité ni moyen de les satisfaire. Les pauvres sont enfin  ces milliers de cadres formés, ayant travaillé et qui ont perdu leur emploi pour une raison ou une autre, en âge d’activité encore, lourds de charges et toujours sans emploi.

Ces définitions locales tangibles de la pauvreté que nous vivons sont à prendre en considération au même titre que celles définies par les normes internationales. Comme quoi la perception de la pauvreté peut être flexible. À ce jour, Taazour aura consommé les 2/5 de son budget quinquennal, alors que beaucoup de pauvres pensent être laissés pour compte. Cela pourrait provoquer une révision des approches en cours de chemin, pourquoi pas, si elles ne satisfont pas les aspirations de toutes les populations démunies.

 

Changement, encore, et dialogue, toujours…

Revenant sur le changement, nous constatons que plusieurs  ministres témoignent des réalisations de leurs programmes en leur département respectif. C’est, en matière de communication, une innovation dans le style de gouvernance qui est à saluer : elle s’inscrit dans la logique du changement. Mais, malgré ces indices prometteurs, rien ne sera achevé, tant que les prix n’auront pas baissé, que le chômage ne sera pas résorbé, et surtout, que la réforme éducative, clé de voûte de toute réussite, n’aura pas abouti. C’est elle seule qui mettra fin aux écarts et disparités que nous ressentons et nous permettra de vivre en citoyens égaux en droits et devoirs. Telle est, en bref, notre ultime conviction.

Enfin et pour clore ce chapitre des deux années qui forment, tout de même, la moitié ou presque du présent mandat présidentiel et nous paraissent globalement positives, en dépit du Corona et de la courte durée considérée, il est dans la logique de l’ouverture à l’opposition visant à apaiser le climat social d’aller à un dialogue politique – je dis bien politique – pour concrétiser ces bonnes intentions par des actes forts, dissiper ainsi les malentendus et gouverner en toute transparence et quiétude : en pouvoir en charge la gestion du pays par la force des urnes ; tout comme en opposition disposant d’un droit de regard critique et se préparant à gagner l’estime du peuple, pour une éventuelle relève. Ainsi permettrons-nous à notre jeune démocratie de se développer, à l’instar des vieilles. Un espoir rendu possible après seulement deux ans. Voilà pourquoi nous estimons le pays (re)mis sur les (bons) rails.