Les résultats du baccalauréat sont tombés, il y a quelques jours. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils sont, une fois encore, catastrophiques. C’est même un euphémisme, avec un taux d’admission de 8% et 7% pour la session complémentaire. Sur les 46 537 inscrits, seuls 3 742 sont déclarés admis, et 3.051 passeront ce qu’on appelle la seconde session. Le taux d’échec est de 79%, soit 36 790 candidats. 2 237, soit 5%, ne se sont pas présentés à l'examen, tandis que 767 candidats (2%) ont été éliminés pour avoir triché.
Le président de la République a, dans un tweet, reconnu que le secteur éducatif a encore besoin de bien des efforts et de la modernisation des mécanismes des concours nationaux. Et d’ajouter que le mécanisme chargé de l’éducation œuvrera, dans l’avenir, à corriger la situation de l’enseignement. C’est là une première pour un président qui s’est engagé à mettre en chantier une « École républicaine ». Deux ans après, on n’en voit toujours pas les prémisses.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer la régression des résultats au bac depuis quelques années. Le très faible niveau des enseignants, tant au Fondamental qu’au Secondaire : on recrute n’importe qui et forme mal. A cela s’ajoute l’absence d’encadrement pour le suivi et l’évaluation. Les inspecteurs n’ont pas les moyens de visiter les écoles. La triche est érigée en règle, l’absentéisme des enseignants, les classes pléthoriques et mal bâties, des années scolaires tronquées, la rareté des redoublements, l’absence ou l’insuffisance des manuels scolaires, les méthodes inadaptées et mal maîtrisées (APC par exemple), des réformes mal conçues et politisées, des épreuves tout aussi inadaptées, peu ou prou, sinon mauvaises formations continues, salaires minables poussant les enseignants à déserter les classes pour se muer en taximen, agriculteurs, boutiquiers, vendeurs de cartes de recharge… On ne vient pas dans l’enseignement pour faire carrière mais simplement pour toucher un salaire. Il faut enfin noter la démission des parents d’élèves dont la majorité, engluée dans les problèmes du quotidien, ne s’occupent plus de l’éducation de leurs enfants souvent happés par la drogue au pas des écoles, le banditisme, la délinquance… Les gadgets du monde moderne sont venus occuper les enfants à des futilités plutôt qu’à leurs cours et à penser à leur avenir. Dans ces conditions, comment peut-on développer une école performante et des citoyens consciencieux ? Nos enfants ont appris la triche à l’école, pour ne pas dire au berceau. Le ministre de l’Éducation a certes du pain sur la planche pour, d’abord, secouer ce mammouth malade et mettre en place ne serait-ce que les bases d’une école vraiment « républicaine ». Les premiers pas franchis, en tout cas jusqu’ici, n’incitent pas à l’optimisme. Seuls les fils à papa peuvent désormais bénéficier d’un enseignement de qualité (école française, écoles d’excellence, école militaire polytechnique et écoles privées…) et réussir en conséquence. Un état de fait propre à accentuer le fossé entre les mauritaniens nantis et les mauritaniens démunis, justifiant la fondation d’une école républicaine, facteur d’unité et de cohésion entre les enfants d’un même pays. Grave, la fracture est à soigner d’urgence… avant qu’il ne soit trop tard.
Taux de réussite par wilaya
Hodh ech-Chargui, 2.90% ; Hodh el-Gharbi, 5.31% ; Assaba, 4.03% ; Gorgol, 4.34% ; Brakna, 2.36% ; Trarza, 6.57% ; Dakhlet Nouadhibou, 10.54% ; Tagant, 4.97% ; Guidimakha, 2.89% ; Tiris Zemmour, 9.11% ; Inchiri, 2.78% ; Nktt-Nord, 10.62% ; Nktt-Ouest, 13.88% ; Nktt-Sud, 9.47%.
Réactions des acteurs
Monsieur Yahya Bowba Taleb : « Je pense qu’un système éducatif performant exige de réunir d’abord un certain nombre de conditions. À commencer par des ressources humaines qualifiées, dévouées et motivées avec des salaires dignes ; on ne peut pas donner un salaire de 80 000 MRO et demander de s’adonner dignement et de manière assidue à cette noble et ingrate mission alors qu’on peut trouver mieux ailleurs ; il faut également assurer une formation continue pour renforcer les capacités de chaque enseignant : les méthodes et les outils évoluent vite ; mettre à niveau les curricula et programmes en harmonie avec les besoins et les ressources du pays ; offrir aux enseignants les opportunités de faire carrière.
Enfin, une école digne de ce nom doit mettre à la disposition de ses enfants des manuels scolaires et des guides pédagogiques alors que bon nombre des parents n’ont pas les moyens pour y accéder ; ainsi que des salles de classe et des tables-bancs. On ne peut pas entasser des centaines d’écoliers entre quatre murs nus et attendre d’eux des résultats probants. Les enseignants ne peuvent pas mener à bien les cours et, partant, évaluer correctement les apprenants. Je pense qu’avec tous ces problèmes, il n’est pas surprenant d’en arriver aux résultats au bac obtenus depuis des années. Le niveau de nos enfants et même de nos enseignants est trop faible, les premiers sont poussés du Fondamental jusqu’en Terminale sans aucun niveau et les grilles de correction sont très compliqués, ce qui a conduit à la loi du tout ou rien. Pour tous ces facteurs, nous devons avoir le courage de refondre sérieusement tout le système avec des gens qui s’y connaissent, pour l’adapter à l’évolution du monde et en faire une école performante et citoyenne ».
Monsieur Mohamed Saleck Taleb, DREN Nouakchott-Nord : « Contrairement à beaucoup, je pense que nous avons enregistré une nette avancée : n’oublions pas que les élèves de Terminale n’ont pas assimilé les programmes de sixième année l’année dernière, à cause du COVID, et, cette année, ils n’ont effectué que deux trimestres, l’année scolaire ayant démarré le 18 Janvier 2021 : deux années scolaires tronquées donc. Ces facteurs ont fortement pesé sur les apprenants et les programmes. C’est pourquoi je pense que les résultats obtenus sont mérités, compte-tenu des blocages qu’a imposé la pandémie. Les enfants restent à la maison plus de 18 heures par jour et les parents ne font pas grand-chose pour les occuper. Besoin de toiletter les programmes, renforcer la formation des enseignants, mettre à disposition des manuels et guides d’examens, développer des sites de renvoi pour permettre aux apprenants et candidats de travailler, au lieu des cours de soutien ou autre. Saluons les efforts contre la triche, ils ont eu aussi un impact sur les résultats ».
Monsieur Sitaty Dicko, SG Alliance des Professeurs de Mauritanie (APM) : « Les résultats du baccalauréat sont de plus en plus catastrophiques depuis quelques années. Nous sommes passés de 58 % en 1974, à 16 en 1980 et 8, cette année. Comme monsieur le Ministre, nous ne sommes pas surpris de ces résultats que plusieurs facteurs peuvent expliquer. D’abord, l’absence de gestion rationnelle du système éducatif avec l’intrusion du politique : les compétences ne sont pas nommées à des postes de responsabilité ; les promotions sont dictées par des appartenances politiques, non sur des critères objectifs, donc pas « d’homme qu’il faut à la place qu’il faut » ; nous naviguons à vue et même les réformes engagées peinent à réussir, parce que les hommes et les femmes choisis pour les conduire n’ont pas les compétences requises. Nous sommes dans le seul secteur où vos compétences ne peuvent pas vous conduire à assumer des responsabilités et à mener une carrière digne du nom.
L’autre facteur aussi délicat, ce sont les répercussions négatives du Fondamental sur le Secondaire. Depuis quelques années, on fait en effet passer automatiquement les élèves des classes de 3ème et 4ème vers la 5ème et la 6ème année, ils passent alors le concours d’entrée au collège avec un niveau très bas, pour ne pas dire médiocre, et réussissent avec 75 points au lieu des 100 requis par le service des examens. Du coup, on envoie des enfants sans niveau vers le Secondaire, en dévalorisant les examens et concours, étapes importantes d’élection désormais laissée à un service représentant de l’administration et l’on rend un très mauvais service aux enfants, aux parents d’élèves et, donc, au pays. On a privilégié la quantité par rapport à la qualité. C’est extrêmement grave. Aujourd’hui, le bac reste le seul diplôme de référence sérieux, les autres sont dévalorisés pour ne pas dire sabotés. Comme je l’ai dit tantôt, les élèves arrivent au Secondaire quasiment sans niveau. Les cours de rattrapage sont loin d’être la solution, il faut remettre le système à plat, même si ça doit prendre des années.
Démotivation de tout le personnel enseignant. Le fait de n’avoir que très rarement la possibilité d’accéder à une promotion – clientélisme… – survivre avec des salaires très bas. Malgré les maigres augmentations dont on parle, le tapage qu’on fait, les traitements des enseignants demeurent insignifiants par rapport au coût de la vie. Si l’on se réfère au salaire des professeurs des années 80, celui-ci devrait se situer entre 400 000 et 450 000 MRO. On en est très loin aujourd’hui. C’est pareil pour les instituteurs. Du coup, les rares compétences qui restent encore cherchent des compléments ailleurs, ce qui ne manque pas de se répercuter négativement sur leurs prestations en classe. D’autres y viennent à défaut d’avoir trouvé mieux. C’est donc dire que les compétences ne viennent désormais plus dans l’enseignement par conviction, par amour du métier ou par abnégation. Vous comprendrez donc pourquoi notre système éducatif est en telle léthargique. On peut enfin ajouter la conception des sujets, en particulier du français, totalement inadaptés depuis des années, et nous déplorons l’absence de concertation lors de la formulation des épreuves.
Voilà un ensemble de facteurs qui couvaient depuis quelques années et qui disposaient DE suffisamment de temps pour être régler. Hélas, rien n’a été fait. Nous méritons donc aujourd’hui ces résultats que nous déplorons tous. Et ils continueront à dégringoler si une véritable réforme du système n’est pas engagée, à commencer par une réelle politique et une ferme décision de dépolitiser l’école ».
Monsieur Moctar Hareth, secrétaire général du Syndicat national des promoteurs de l’enseignement privé : « Je pense que les résultats de cette année ne diffèrent que très peu de ceux de l’an dernier. Cette légère différence s’explique par les efforts accomplis pour contrer la triche des candidats. La circulaire du ministère de l’Éducation interdisant l’entrée des téléphones dans les salles d’examen a pesé les résultats. Combien de téléphones saisis et de candidats renvoyés ? Ajouté à ceux admis aujourd’hui, ce nombre ramènerait les résultats de cette année à celui de l’an passé. Il faut noter que beaucoup de candidats de Nouakchott ont choisi de passer leur examen à l’intérieur du pays, pensant que les conditions de triche y sont favorables, ce qui explique le taux relativement élevé des admis de l’intérieur où nombre de centre d’examens sortaient avec des zéros pointés. Quant à la question de savoir pourquoi les écoles d’excellence et de l’armée ne sont pas affectés par la baisse des résultats, je vous dirai que ces établissements ont toujours fourni des lauréats et des meilleurs résultats parce qu’ils disposent de meilleures conditions d’apprentissage : on choisit les meilleurs professeurs qu’on rémunère bien, le nombre d’élèves par classe est réduit, bon encadrement… Les apprenants y accèdent par une sélection rigoureuse et les passages en classe supérieure sont conditionnés à des moyennes élevées… Les bons résultats de ces établissements ne sont donc pas surprenants, ils ont toujours ravi les premières places lors de nos examens ».
Note : Nous avons sollicité la réaction du président de la Fédération Nationale des Associations de parents d’élèves et étudiants de Mauritanie (FNAPE) en vain.