Le Calame : On assiste depuis quelque temps à une exaspération de la criminalité à Nouakchott. Comment vivez-vous cette situation à Arafat, une des plus des plus grandes Moughataa de la banlieue de notre capitale ?
El Hacen Mohamed Ileh : Merci de l’occasion que « Le Calame »nous offre de parler des préoccupations de notre commune. J’en profite pour vous féliciter des efforts que vous fournissez face à la rude concurrence de la presse électronique et aux réseaux sociaux.
Revenant à votre question, je vous dirais qu’Arafat n’a pas échappé, comme toutes les autres communes, aux violences auxquelles vous faites allusion. C’est un phénomène mondial qui atteint, hélas, notre capitale. Comme vous le savez, Nouakchott demeure, en dépit de sa division en trois wilayas, une seule ville. De neuf communes, certes, mais sans frontières ni cloisons entre elles. Ce qui touche l’une peut facilement atteindre ses voisines. Cela dit et comparativement à la situation d’il y a quelques années, je pense que notre circonscription a été la moins affectée par ces violences.
Certains actes comme les vols, les viols et agressions forment le quotidien des grandes agglomérations : bien évidemment, la mairie les condamne tous. La sécurité est une demande sociale, les populations ne cessent de la réclamer. Si elle n’est pas assurée, c’est qu’il y a déficit de moyens, aussi bien humains que matériels, et de motivation des forces de l’ordre. C’est l’occasion ici de demander aux pouvoirs publics d’outiller la police pour qu’elle puisse jouer pleinement son rôle. La stratégie confiant la capitale entre la police, la Garde et la gendarmerie nationales n’a pas été efficace. La Garde et la gendarmerie ont d’autres vocations.
Quant à la place de la mairie dans ce dispositif, je vous dirais que nous observions en simples citoyens ce qui se passait sur le terrain, sans aucune prise sur la gestion de la sécurité dans nos communes. Aujourd’hui, les choses sont en train d’évoluer : désormais membres des conseils régionaux et départementaux de sécurité, les maires pourront, à coup sûr, apporter un plus à ce dispositif, parce qu’ils sont proches des populations. En attendant, nous sensibilisons nos administrés :il y a aussi, de ce côté-là, un déficit de vigilance de leur part, nous l’avons constaté.
- La Mauritanie pratique la décentralisation depuis des décennies. Qu’en pensez-vous ? De quels moyens disposent les mairies pour accomplir leur mission ?
- Importante question. La décentralisation a démarré chez nous depuis trente ans déjà, mais force est de constater qu’elle reste comme un vœu pieux. Nous avons d’abord mal copié-collé : c’était en quelque sorte dans l’air du temps. Puis elle a été adoptée en ce qu’elle était l’occasion de caser des gens, non pas selon leurs compétences ou leurs aptitudes mais suivant des critères tribaux, régionaux, communautaires… Et elle était, enfin, une opportunité pour drainer des financements de partenaires techniques et financiers.
Je rappelle que la première véritable avancée fut notée sous le règne de l’ancien président défunt, Sidi ould Cheikh Abdallahi, avec la fondation d’un ministère exclusivement réservé à la décentralisation et l’idée d’instaurer des conseils régionaux. Le processus fut stoppé par le coup d’État de 2008 relançant la centralisation et la concentration des pouvoirs. Mais on constate aujourd’hui comme une volonté politique d’instaurer une véritable décentralisation : l’adoption d’une Stratégie nationale de décentralisation et la fondation du Conseil national de la décentralisation (présidé par le président de la République) peuvent être considérées comme des signaux positifs. S’ils sont mis en œuvre, on pourra dire que la Mauritanie est entrée dans la décentralisation véritable.
Les mairies sont restées jusque là des coquilles vides, elles ne disposent pas des moyens suffisants ni de police municipale ni de prérogatives dans le domaine du foncier. Il est à noter, aussi que le transfert de compétences que l’Etat a attribuées aux communes n’a pas été complet et n’a pas été accompagné d’un transfert de moyens qui devraient leur assurer un bon fonctionnement. En la matière, on ne peut pas les comparer avec ce qui se passe ailleurs.
- Depuis les dernières municipales et législatives, la Mauritanie a mis en place des conseils régionaux. Qu’en pensez-vous ? Structures de trop ? Quels sont les rapports des mairies avec la région ?
- Je ne suis pas contre les conseils régionaux mais je fais remarquer qu’ils devraient constituer une seconde étape dans le processus de décentralisation, après les mairies. Or celles-ci ne sont pas encore viables. Je pense qu’on a sauté une étape importante qui devait consolider les communes, avec un véritable transfert de compétences et de moyens comme le stipule la loi.
En supprimant le Sénat, l’ex-Président avait proposé – toujours pour caser des gens… – la fondation de conseils régionaux ; en les dotant de moyens… mais en oubliant les communes. Il n’y a cependant pas de conflit de compétences entre la région et les communes : la décentralisation repose, je le rappelle, sur le principe d’autonomie des collectivités territoriales et l’État distribue les compétences aux unes et aux autres. Ainsi avons-nous, communes, des compétences en matière d’écoles primaires et de postes de santé, tandis que les hôpitaux et les établissements secondaires relèvent de la Région. Je demeure convaincu qu’à chaque fois qu’il y a coopération et concertations entre les partenaires, on arrive à un meilleur résultat sur le terrain.
- Votre commune dispose-t-elle de structures publiques destinées à la prise en charge et de réinsertion des jeunes désœuvrés, défalqués de l’école, issus de milieux défavorisés ?
- Ces compétences ne relèvent pas des communes.
- Lors des dernières élections municipales, vous avez été contraint à un troisième tour pour vous départager avec le candidat de l’UPR, le parti au pouvoir. C’est du jamais vu chez nous ! Visiblement, le pouvoir tenait à vous arracher cette mairie… Savez-vous pourquoi ?
- Posez cette question à ceux qui en décidèrent ainsi. En tant que candidat Tawassoul et donc de l’opposition en général, je tiens pour ma part à signaler que ce fut non seulement une première dans nos annales mais aussi probablement dans le Monde entier. À l’analyse, notre longévité à la mairie d’Arafat gêne, on peut le penser, certains hommes du pouvoir qui voulaient donc faire basculer à tout prix cette commune dans leur camp. Nous avons tenu, avec l’opposition, à leur prouver que le moment n’était pas venu, qu’il était même malvenu, en ce que les populations n’en voulaient pas : elles nous ont clairement prouvé leur attachement et cela nous a permis d’administrer une leçon de plus à nos adversaires.
- Vous en êtes à votre troisième mandat à la tête de la mairie d’Arafat. Ce n’est pas donné à tous les maires de l’opposition. Pouvez-vous nous révéler les secrets de cette longévité ? Quel est le bilan de toutes ces années ?
- Vous m’offrez ici une occasion de plus de remercier les populations d’Arafat pour leur confiance maintes fois réitérée à notre parti et à l’opposition dans son ensemble. Si elles y ont consenti tout ce temps-là, c’est dû, je le crois, à notre proximité avec elles, à l’écoute constante de leurs préoccupations, à la gestion transparente des deniers de la commune et l’amour que nous nous vouons les uns les autres.
Quant au bilan, je ne saurais le décliner dans une interview. Mais ce que je puis vous affirmer ici, c’est que je n’ai jamais promis à mes administrés l’impossible. Je connais les moyens dont dispose la commune et me suis évertué à les mettre à leur disposition. D’importants efforts ont donc été accomplis dans le domaine de la santé de base, l’enseignement primaire, la jeunesse et des sports, les mosquées et mahadras… Voilà comment pouvons-nous nous réjouir aujourd’hui d’un bilan largement satisfaisant. Mais, bien évidemment, on ne peut pas satisfaire tous les besoins des populations. Certains ne relèvent pas – ou plus – de nos domaines de compétences. Je rappellerai à cet égard l’assainissement (enlèvement des ordures ménagères) qui fut arraché des responsabilités communales en 2007. Nous continuons à réclamer son retour dans les compétences des maires, comme cela se fait ailleurs. Nouakchott constitue une exception dans ce domaine. Bref et en dépit de tout cela, on peut affirmer sans risque de se tromper que la commune d’Arafat est, comparativement à d’autres communes, l’une des mieux gérées de la République. Et je conclurai ma réponse en profitant de l’occasion pour réclamer aux autorités le transfert de compétences dues aux communes, afin de leur permettre de jouer pleinement leur rôle.
- Les populations des communes de la banlieue sont souvent confrontées à des problèmes de litiges fonciers, eau et santé... Vous saisissent-elles au quotidien ? Si oui, que pouvez-vous faire pour satisfaire leurs doléances ?
- Comme je le disais tantôt, les communes manquent cruellement de moyens, parce que le transfert de compétences traîne. Aussi déplore-t-on la faiblesse des services de base, comme l’eau et l’électricité (éclairage public) dont, notons-le au passage, le coût est trop onéreux pour les gens. On peut ajouter à cela les problèmes d’assainissement, de transport public et scolaire, ainsi que l’anarchie dans l’aménagement de l’espace… Or la plupart de ces domaines ne relève pas de la mairie. De manière générale, les citoyens viennent poser des problèmes personnels que nous exposons, pour eux, aux autorités, avant de les suivre, avec eux.
- Comment évaluez-vous les infrastructures scolaires et sanitaires de votre commune ?
- Celles qui relèvent de nos compétences sont bien tenues. Nous les équipons en personnel et en matériel, les aménageons et procédons à leur extension, si le besoin se fait sentir. Vous pouvez aller sur le terrain vérifier auprès des populations et des responsables.
- Vous avez été président de l’Institution de l’Opposition Démocratique (IOD). Pouvez-vous nous dire à quoi sert-elle ? A-t-elle les moyens d’accomplir sa mission ? Quel rapport avez-vous entretenu avec l’ex-Président pendant votre mandat ?
- L’IOD est une nouvelle institution dans les pays francophones et la Mauritanie en est une pionnière. Elle naquit sous la transition de 2005-2007. Mais, comme les mairies, elle manque de moyens et, de surcroît, son statut demeure flou. Tantôt son président est un élu, tantôt il ne l’est pas. Cette institution doit avoir un statut clair et des moyens pour fonctionner, elle doit servir de courroie de transmission entre la majorité et l’opposition, faire progresser la démocratie et contribuer à resserrer les rangs de l’opposition. Mais c’est hélas loin d’être le cas. Et, pour cause, on attend toujours, depuis l’adoption de la loi l’instituant et qui comportait, il faut le souligner, beaucoup d’insuffisances… son décret d’application.
Quant au second volet de votre question, je vous dirais qu’elles n’étaient pas cordiales. Au début, il s’est montré ouvert et disponible, ce que je lui ai bien rendu, mais il a changé par la suite. J’en ai pris acte et adopté la même attitude jusqu’à mon départ de l’IOD.
- Que pensez-vous de la gestion par le gouvernement de la pandémie COVID 19 ? Quelle place ont eu à occuper les mairies dans le dispositif de riposte et le plan de relance du gouvernement ?
- Après le règne d’Ould Abdel Aziz, la Mauritanie a poussé un grand ouf de soulagement et prié pour un changement véritable. Je n’étais pas de ceux qui l’attendaient de l’actuel Président, mais après son élection, nous avons pensé qu’il pouvait tout de même avancer vers le changement dont les Mauritaniens ont besoin.
Presque deux ans ont passé : on peut dire qu’il a réussi à stabiliser le pays, même si cette réussite n’émane pas de lui seul. L’opposition lui a facilité la tâche et la COVID 19 lui a donné un long délai de grâce. Je note également à son actif une attention particulière à l’égard des couches vulnérables et une gestion acceptable de ladite pandémie… mais il y a deux bémols : le choix des hommes qu’il faut à la place qu’il faut et une réticence à accepter un dialogue politique inclusif pour régler les questions nationales liées, notamment, à l’unité nationale, à la bonne gouvernance, au processus électoral et au développement.
Propos recueillis par Dalay Lam