A presque mi-mandat : Le président Ghazwani peut-il changer de gouvernance ?

3 June, 2021 - 00:57

Le président de la République a procédé, il y a quelques jours, à un réajustement de son gouvernement. Un aménagement qui n’a fait place qu’à cinq nouveaux visages. Pas donc de valses ou de départs significatifs, alors que l’opinion s’attendait à un important remaniement. L’équipe d’Ould Bilal a été jugée trop amorphe par la Présidence, disent certaines sources. Au terme de ses tournées dans les différents départements ministériels, le premier ministre avait repéré des insuffisances dans la mise en œuvre du programme du Président. Le ministre des Affaires économiques signalant pour sa part de trop faibles capacités d’absorption des ressources affectées à certains ministères. Un désaveu cinglant, semble-t-il à l’origine dudit réajustement ministériel. Incompétence, quand tu nous tiens !  

Le président tente-t-il une nouvelle combinaison sans changer les fondamentaux de son équipe ? Il n’a pas voulu ou pu se séparer de certains, placés qu’ils sont par de puissantes tribus ? L’analyse de la nouvelle équipe révèle que tous les sortants ont été remplacés par des cousins de leur tribu respective. Qui a parlé de tribalisme ? Pourtant une écrasante majorité de mauritaniens attendait un véritable coup de balai, non seulement au sein du gouvernement mais également au niveau du Palais et de la Primature qui croule sous le poids des conseillers et chargés de missions passant des journées entières à se tourner les pouces. Un véritable fardeau pour les ressources publiques en cette période de pandémie et de rareté des ressources. On espérait du président Ghazwani un tour de vis dans ces postes budgétivores au Palais et à la Primature mais, hélas, leur nombre a même augmenté.

Après ce dernier remaniement, la question que l’opinion se pose est de savoir si le président de la République, depuis bientôt deux ans aux commandes du pays, peut ou veut apporter le changement attendu par les électeurs, après dix ans de régime trop centralisé de Mohamed ould Abdel Aziz. On espère ne pas attendre la fin de son premier mandat pour obtenir réponse à cette question. Si, pour certains, il faut être patient, en ce qu’il a hérité d’un gros passif et rencontré sur son chemin le COVID 19, d’autres jugent que Mohamed Cheikh Ghazwani a bénéficié d’un état de grâce largement suffisant pour opérer un certain nombre de transformations. Le climat politique est apaisé, un consensus national s’est dégagé autour de sa personne et de la gestion de la pandémie mais cela n’a pas été suivi d’effets remarquables.

 

 

Bras de fer

Outre le passif de la décennie passée, le président élu en Juin 2019 a été contrarié au début de son mandat par l’impromptu retour au pays de son prédécesseur, après une villégiature de deux mois à l’étranger. Son intrusion dans les affaires a fortement gêné le nouveau pouvoir. Sa volonté de prendre le contrôle du parti qu’il avait fondé en 2009 poussa le nouveau Président à le ramener à sa place : ancien Président certes mais surtout simple citoyen. Ould Abdel Aziz qui avait annoncé, bien avant son départ du Palais, qu’il entendait continuer à faire de la politique engage alors un bras de fer avec son ancien ami et compagnon de quarante ans. On connaît la suite. Pour le faire taire, le gouvernement active ses leviers et l’Assemblée nationale fonde une commission d’enquête sur la gestion de la décennie écoulée. Le passif est lourd, l’ex-Président et bon nombre de ses proches collaborateurs proches épinglés puis inculpés. Une première dans le pays depuis son indépendance. Qu’à cela ne tienne ! Ould Abdel Aziz refuse d’abdiquer ; « mieux », il se positionne en opposant radical du régime qu’il accuse de… corruption et clientélisme ! Réponse du berger à la bergère… Se déclarant humilié et harcelé par les convocations et enquêtes de la police des crimes économiques et de la justice, il aura surtout réussi, par ses sorties dans la presse et sa résistance, à occuper le terrain et les esprits des Mauritaniens dont bon nombre ne comprennent pas les atermoiements du régime. Le pouvoir actuel leur paraît beaucoup ménager le prédécesseur de Ghazwani, réussissant à lui faire perdre près de deux ans autour du « dossier de la décennie ». Sur ce plan et en attendant l’épilogue de la justice, Mohamed ould Abdel Aziz aura gagné cette bataille médiatique où ont brillé par leur silence le gouvernement et l’UPR. Seuls quelques limiers réagissant de temps en temps sur les réseaux sociaux. Les uns et les autres éprouveraient-ils une « gêne » à tirer à boulets rouges sur l’ex-Président ? Ou bien attendent-ils les instructions de l’actuel locataire du Palais ? Ceux qui connaissent Ghazwani disent cependant que le président-marabout ne descendra jamais si bas dans le combat qui l’oppose à son adversaire, même si celui-ci n’hésite plus à dire que son successeur a échoué sur toute la ligne.

Autre obstacle au changement, le président Ghazwani a hérité d’un système huilé par dix années de divers graissages. Des groupes d’intérêts et des lobbies affairistes ont tissé patiemment leurs filets et leurs tentacules ont atteint tous les rouages de  l’État. Même si le président Ghazwani connaît les hommes de ce pays pour avoir dirigé la Sûreté et l’état-major des armées depuis plus de dix ans, il a tout intérêt à ne pas brusquer les choses : les nombreux profiteurs du système Aziz n’hésiteraient pas retourner leur veste, comme ils n’ont eu de cesse à s’y exercer depuis Ould Taya. Aussi reste-t-il sourd aux appels incessants de certains de ses soutiens qui lui demandent de se débarrasser de tous les cadres et acteurs politiques dont la proximité ou la complicité avec l’ex-Président est avérée. Ces derniers crieraient à la chasse aux sorcières, un créneau où celui-ci espère déjà ameuter les foules.

Comme tout le monde le sait, la lutte contre la corruption engagée par Ghazwani est un combat particulièrement délicat, pour ne pas dire hautement périlleux. Car les cadres mauritaniens de tous les niveaux ont pris goût au jeu de s’enrichir à tout prix et tout de suite. Les deniers publics sont pillés. Une pandémie qu’il faut certes éradiquer… mais non sans risque. Le luxe insolent exhibé tous les jours, via villas, palais, voitures de luxe, argent inondant les mariages, cheptels variés et tutti quanti ne peut provenir que la corruption, du détournement et du blanchiment d’argent, voire de la drogue. C’est une véritable mafia qui pille le pays. S’en prendre à elle relève de la haute voltige.

Enfin, même si l’armée reste la Grande Muette, elle ne manque pas d’être traversée par les mêmes influences et connexions tribalo-régionales. Certes, les changements opérés dans les chaînes de commandement, depuis l’arrivée de Ghazwani à la tête du pays, ont été conclus à petites touches, mais ils n’ont pu manquer de faire grincer quelques dents. Et l’homme connaît bien l’institution pour l’avoir commandée des années durant…

On se rappelle que ce fut sous Ould Abdel Aziz que s’attisèrent singulièrement les tensions régionales. Les questions de la résistance à la colonisation, de l’hymne et du drapeau national ont marqué la période. On ne peut oublier les écrits des uns et des autres qui ont alimenté les débats autour de la dénomination de l’aéroport Oum Tounsy.  C’est d’ailleurs dans cette optique qu’Ould Abdel Aziz décida de changer les paroles de l’hymne national et de modifier les couleurs du drapeau, n’hésitant pas à accuser certaines notabilités de certaines régions de complicité avec les colons. Cette plaie est encore perceptible dans le combat politique en notre arène nationale...

Il s'ajoute aussi qu'en sa qualité de militaire, le président Ghazwani est entouré de groupuscules politiques réputés hostiles à tout changement, pour ne pas dire innovation politique, ce qui ne manque pas d'impacter négativement sur son image et sa gouvernance. Autre héritage auquel il se garde bien de s’attaquer : la question du passif humanitaire, plaie pourtant toujours vive aux pieds de l’unité nationale. S’il se tient, le dialogue national que les acteurs politiques réclament depuis son arrivée au pouvoir permettra-t-il de la régler ? Ceux qui réclament une meilleure inclusion des communautés négro-africaine et harratine trouveront-ils un consensus autour de cet enjeu de taille ? En tout cas, Ghazwani ne s’en est pas non plus pris, à ce jour, aux quotas dans le gouvernement et l’administration. Est-ce pour toutes ces raisons qu'il lui est devenu difficile de secouer le cocotier ?

                                                     DL