La longue période d’état de grâce que le président de la République Mohamed Cheikh El Ghazwani a connue est-elle en train de s’achever ? Ce qui se passe aujourd’hui : gestion du dossier de la décennie, agitations de l’ex-Président, multiplication de manifestations de corps socioprofessionnels, flambée des prix, charge des partis de l’opposition ; en somme, une espèce de lame de fond ; pousse à répondre par l’affirmative.
Revenons un peu dans le temps. La tension politique avait fortement baissé au lendemain de l’élection présidentielle d’Août 2019 – les Mauritaniens avaient hâte de se débarrasser de la décennie d’Ould Abdel Aziz en permanente guerre avec son opposition – et, surfant sur ce souhait de ses concitoyens, le nouveau Président avait tendu la main jusqu’aux plus « radicaux » opposants qu’il reçut au Palais. Presque tous trouvèrent en lui, un homme ouvert, disponible, capable d’écoute et ne manquèrent pas de superlatifs pour qualifier le successeur d’Ould Abdel Aziz, jusqu’à le soutenir tacitement lors de la bataille pour la référence de l’UPR.
Premières fissures
À quelque chose, malheur est bon, le COVID 19 débarque et oblige la classe politique à accepter une sorte de pacte de solidarité avec le gouvernement. Dans la foulée, les partis de l’opposition et de la majorité représentés à l’Assemblée Nationale mettent en place une coordination pour le soutenir dans sa guerre contre la pandémie. Mais l’ouverture d’un fonds spécial de riposte au COVID voit apparaître les premières fissures en cette union sacrée. Les parlementaires dénoncent l’opacité et leur mise à l’écart de la gestion du fonds. Manifestations et autres contestations au demeurant très minimes, état d’urgence aidant. Les mécontents se contentent de communiqués. Ghazwani tente alors de reprendre la main avec la fondation de la Commission d’Enquête Parlementaire (CEP) et la publication de son rapport qui accable l’ex-Président et ses équipes. Un signal fort dans le combat contre la corruption.
Patatras ! Le scandale de la BCM vient rappeler aux Mauritaniens que le loup n’est pas sorti de l’enclos. Et les assoiffés de changement, pour ne pas dire rupture d’avec la gouvernance sortante, commencent à s’interroger bruyamment sur des nominations ou maintiens de responsables cités dans le rapport de la CEP. Dans le domaine économique et social, les améliorations se font attendre, tandis que le COVID sert de prétexte pour obliger le peuple à se serrer davantage la ceinture. On entend dire plus souvent maintenant que le nouveau Président n’est pas pressé de démanteler le système de son ami et prédécesseur. Une impression que viendront appuyer les lenteurs dans les enquêtes de la police économique et des convocations des présumés cités dans le rapport de la CEP.
Treize d’entre eux sont inculpés depuis quelques semaines. Mais cela n’empêche nullement l’ex-Président, placé lui-même sous contrôle judiciaire strict, de continuer à narguer le pouvoir de son ex-ami. « Si Ould Abdel Aziz peut se le permettre », analysent divers observateurs, « c’est au constat que le cap du gouvernement n’est pas clair, que la rue grogne et qu’en face, l’opposition traitée hier de « radicale » s’est murée dans un silence complice ». Une brèche où l’ex-Président s’engouffre pour se positionner au secours du peuple, chargeant et le pouvoir et l’opposition. Celle-cise voit donc obligée de sortir du bois. Quatre partis se fendent d’un communiqué très critique vis-à-vis du gouvernement. Pour l’UFP, le RFD, SAWAB et UNAD, la responsabilité de la situation actuelle incombe au gouvernement qui a mis trop de temps à apporter les changements attendus par les Mauritaniens. Exprimant leur opposition à tout retour en arrière, ils mettent en garde contre les risques de voir les forces hostiles au changement et, surtout, au dialogue exploiter la « situation explosive » du pays. Et de dénier vigoureusement à Ould Abdel Aziz le rôle de « rédempteur » qu’il prétend s’arroger, sans aucune vergogne, dans sa lettre ouverte adressée à l’opinion mauritanienne. Les quatre partis accusent l’ex-président de la République de tenter de « politiser » son dossier pendant devant la justice.
Face à cette situation, le pouvoir reste toujours silencieux, suscitant des interrogations. Où veut nous mener le président Ghazwani ? C’est dire combien son silence déroute et intrigue. Le gouvernement n’innove pas. Ses nominations sont qualifiées de « clientélistes », n’obéissant, dans la majorité des cas, qu’à des critères très « subjectifs », comme au temps de son prédécesseur.
Voilà bientôt deux ans que le président Ghazwani est aux commandes du pays. Son bilan ne doit pas se réduire à une querelle avec Ould Abdel Aziz. Certes, l’héritage de celui-ci ne l’a pas aidé, mais cela ne justifie pas l’immobilisme auquel on assiste. On ne le répètera jamais assez : les Mauritaniens ont hâte de réels changements. Et son discours d’investiture avait suscité un grand espoir, ses qualités humaines et intellectuelles et professionnelles saluées par nombre de nos partenaires traditionnels, il faut maintenant y répondre. Sinon avec force – ce n’est apparemment pas le genre de la maison – du moins avec clarté.
DL