La vitesse à laquelle l’orpaillage artisanal s’est développé dans la région désertique de l’Inchiri, dans le Nord-Ouest du pays est sans précédent. A tel point que des villes nouvelles sont apparues pour accueillir ces orpailleurs venus du pays tout entier – voire de pays limitrophes – en quête de gisements d’or suite aux découvertes en 2016. L’exemple de la ville de Chami, née en mars 2012, illustre parfaitement ce phénomène migratoire : entre 2013 et 2021, cette ville est passé de 2 600 habitants en 2013 à près de 48 000 aujourd’hui. Dans un pays où le chômage des jeunes atteint 31%, les perspectives de l’orpaillage artisanal ont poussé une large partie de la population à tenter leur chance dans cette aventure. Si bien que le secteur informel occupe aujourd’hui une place importante pour l’économie mauritanienne, avec la création de près de 45 000 emplois directs (orpaillage) et près de 130 millions de dollars de revenus générés pour l’Etat en 2020. Au total, l’industrie aurifère représente des revenus de l'ordre de 780 millions de dollars, secteurs formel et informel confondus.
Une ruée vers l’or aux conséquences lourdes
Mais ces quelques bénéfices pour le pays sont loin de compenser les effets négatifs causés par cette implosion soudaine et non maitrisée de l’orpaillage artisanal. En effet, si l’Etat a tenté de réglementer cette filière en expansion, en délivrant dès avril 2016 des permis aux orpailleurs, ses efforts ont été insuffisants puisque 60 à 70 % de l’or extrait artisanalement se fait aujourd’hui de façon illégale. Les risques de ce marché aurifère illégal sont multiples et de nature variée, ce qui n’a pas échappé au ministre Abdessalam Mohamed Saleh, en charge du Pétrole, de l’Énergie et des Mines. Dans une conférence de presse en octobre 2020, il déclarait ainsi que « cette ruée vers l’or a conduit au chaos et à des pertes humaines, environnementales et sécuritaires, encourageant dans certains cas la contrebande et le blanchiment d’argent ». Pourtant, bien que conscients des dangers de ce marché illégal, trop peu a été fait pour lutter contre son développement. En plus de multiplier les accidents mortels liés à des conditions de travail désastreuses, à l’image de l’effondrement du puitsTevragh-Zeina en 2018, l’orpaillage illégal détériore gravementl’environnementcomme l’a démontré uneétude de l’agence de développement allemande publiée en 2017. Mais ces activités pourraient aller jusqu’à déstabiliser la région sur le long-terme, en favorisant le développement de réseaux terroristes et criminels attirés par ce marché juteux. Ainsi, les pertes de revenus pour le pays, estimées à 300 millions de dollars en 2020, auraient permis de financer des groupuscules d’Al-Qaeda opérant dans le Sahel comme le soulignent certains experts.
Un secteur informel quasi-anarchique vs l’extrême régulation du secteur formel
Certes, l’Etat mauritanien a souhaité davantage de réglementation et d’encadrement dans le secteur informel, à l’image du directeur général des mines de Mauritanie Ahmed Ould Taleb Mohamed soulignant la volonté des autorités ‘’d'agir face à la ruée des citoyens vers cette activité pour en limiter les risques et pour protéger les domaines accordés par licences à des sociétés". Néanmoins, trop peu a été fait jusqu’à aujourd’hui : un constat partagé par l’expert en intelligence économique Ronan Wanlin, pour qui « les moyens mis en œuvre sont trop limités à ce stade pour gérer l'afflux d'orpailleurs et leurs conséquences sur la sécurité et l'environnement de la région ».
Cette frilosité de l’Etat à s’engager de manière franche pour davantage de réglementation du secteur artisanal et surtout contre l’orpaillage illégal rompt drastiquement avec l’approche agressive du gouvernement mauritanien vis-à-vis des investisseurs étrangers, qui subissent de plein fouet l’expansion de ces activités illégales. Lesacteurs miniers étrangers sont en effet soumis à des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) exigeants et une fiscalité importante, et contribuent ainsi positivement à l’activité du pays en créant de l’emploi. Parmi eux, le canadien Kinross exploite par exemple la mine de Tasiast depuis 2010 en employant àplus de 97,5 % des travailleurs mauritaniens et en se conformant à une fiscalité avantageuse pour l’Etat.
Néanmoins, l’expérience des pays voisins actifs sur le marché minier comme le Ghana ou le Mali prouve l’effet néfaste et surtout désincitatif que l’orpaillage illégal peut avoir sur les investisseurs. En nuisant à l’activité et en accroissant l’insécurité, les activités d’orpaillage illégal risquent à terme de menacer la présence des entreprises étrangères qui sont pourtant essentielles à l’économie nationale. D’ailleurs, depuis deux semaines, près de 300 orpailleurs illégaux ne se contentent plus d’exploiter sauvagement les alentours de la mine exploitée par Kinross mais vont jusqu’à en bloquer l’accès et menacer la sécurité des employés.
Une situation qui menace le secteur formel sur le long-terme
Compte tenu de cette présence croissante et de plus en plus menaçante d’orpailleurs illégaux en Mauritanie, nombreux sont les investisseurs qui préfèrent investir dans d’autres pays de la sous-région où le climat des affaires est plus favorable. Pour ceux déjà présents sur place, la question est plus épineuse et divise ceux qui préfèrent plier bagage en dépit des pertes et ceux qui continuent à espérer une réponse adéquate du gouvernement. Pour des entreprises comme Kinross ayant investi des milliards de dollars, quitter le pays est difficilement envisageable : ces entreprises guettent donc coûte que coûte le moindre signe d’une volonté politique de l’Etat de prendre ce problème à bras le corps.
Après la plainte de l’entreprise Mauritanian Copper Mines (MCM) contre l’Etat mauritanien déposée il y a un peu plus d’un mois pour fiscalité abusive, ce blocage des activités de Kinross par des orpailleurs illégaux est un nouveau coup dur pour la réputation de la Mauritanie auprès des investisseurs étrangers. Si le canadien Kinross continue d’investir afin de maintenir ses activités malgré un climat socio-politique difficilement soutenable, c’est l’ensemble de la filière formelle aurifère qui est aujourd’hui menacée. A l'heure où le gouvernement Ghazouani tente de se distancer des méthodes et de la gouvernance de l'ère Aziz, il y a toujours un espoir que l'administration actuelle s’engage à formaliser et réglementer l'orpaillage illégal en Mauritanie. Mais le temps presse, et un manque de réactivité de la part de l’Etat aura tôt fait de vider le pays de ses investisseurs étrangers, pourtant sources de revenus et d’activité essentiels pour le développement de la Mauritanie.
Ben Abdalla
Il est donc temps de prendre des mesures fortes pour ne pas mettre en danger la filière aurifère du pays. Au vu des enjeux socio-économiques, environnementaux ou encore sécuritaires, c’est désormais l’avenir de la Mauritanie et des Mauritaniens qui en dépend.